Chronique – Colonies, Laurent Genefort

Laurent Genefort fait partie de ces auteurs et autrices francophones dont les livres sont régulièrement présents sur les étals des librairies. Le hasard de mes différents achats et envies de lecture fait qu’il est longtemps resté dans la catégorie mentale « à lire » ; ce n’est qu’en 2019 que je franchis le cap avec la sortie du Sang des immortels, également chez FolioSF. Il y a ensuite eu Lum’en, que j’ai également apprécié à un moment où je boudais pourtant le genre de la nouvelle et autres fix-up.

La toute récente sortie en poche de Colonies ne pouvait donc me laisser indifférent. C’est encore une bonne pioche et j’y ai retrouvé les mêmes qualités que dans les livres cités précédemment : une très grande maitrise du genre Space Opera, des récits à dimension humaine, avec des questionnements intéressants tout en restant accessible.

À la lecture de mon troisième livre de Laurent Genefort, j’ai de nouveau eu la sensation d’être en terrain connu. Colonies se situe dans son univers de Space Opera, la Panstructure, même si ce terme n’est pas cité. L’humanité a très largement essaimé dans l’univers via les portes de Vangk, artefacts technologiques évoquant ceux de Stargate (mais dans l’espace) qui permettent de parcourir des distances invraisemblables, « abandonnées » par une race ancienne et disparue et dont le nom a été donné aux portes (ainsi qu’à des jurons). La technologie est très avancée : immortalité, IA évoluées (mais qui ne me paraissent pas conscientes), vaisseaux et bases gigantesques, ascenseurs spatiaux, terraformation… Ajoutez à ça une infinité de mondes et d’espèces aliens, dont certaines sont sentientes. Cela ne parait pas original, n’y voyez aucune intention péjorative ici, tant cela semble être une synthèse de ce qui a déjà été écrit. Mais justement, cela permet d’éviter de longues pages d’exposition et de présentation de l’univers pour se concentrer uniquement sur ce qui fait intrigue et les personnages. Certaines et certains hurleront peut-être, mais je préfère ce choix à un Hamilton où le world building me parait toujours hypertrophié (voire masquant le creux du propos).

« L’image mentait de toute manière. Dans un passé presque oublié, les généticiens de l’Eudox avaient bloqué ses compteurs biologiques, aussi la notion d’âge avait-elle perdu de son sens. L’Eudox avait été dissoute quatre-vingts ans auparavant ; il n’en restait plus trace, mais ses traits s’étaient figés dans un présent éternel. Derrière ce visage ovale aux pommettes hautes, barré par la fine ligne des lèvres encadré d’une chevelure argentée, par la trouée de ses yeux noirs perçait un esprit amer et froid, dur, monomaniaque. »

L’univers se dessine en creux au long des dix textes qui forment ce fix-up, articulés en deux parties, les colonies planétaires et les colonies spatiales. Le choix n’est pas anodin car j’y ai trouvé des ambiances différentes. Le propos de l’auteur, appuyé ici par le format court, n’est pas de nous raconter l’histoire de ces colonies en intégralité et détails, de sa genèse à sa disparition éventuelle, mais de se concentrer sur ce qu’elle a de particulier et sur un ou plusieurs de ses habitants. Point d’histoires de civilisations, de récits politiques -même si le sous-texte l’est souvent – ou de guerre, mais bien des aventures à taille humaine. Jeunes et vieux, hommes et femmes, puissants ou simples citoyens, avec leurs qualités et (surtout) leurs défauts. Adrien Resnik, de la nouvelle Le lot n°97 appartient à une famille richissime dont il est le mouton noir en raison de son goût pour l’art extrême et bigarré ; Ou-I-Pai est un jeune homme qui chercher à se hisser, le plus rapidement possible et à tout prix, au sein d’une hiérarchie mafieuse dans le texte T’ien-Keou ; Olga est la commerciale sans scrupules d’une compagnie multimondiale (on dirait aujourd’hui « transmondiale ») dont les pratiques ne sont pas sans rappeler celles de grandes FTN de l’agro-alimentaire. Laurent Genefort ne nous présente donc pas des héros dont la vocation est de faire basculer l’univers mais plutôt des habitants ordinaires, confrontés au contexte des colonies.

« Les blocs avaient une taille gigantesque, un seul d’entre eux aurait pu contenir plus de cent ballons. Ils étaient faits de métal. En soi, un trésor fabuleux à même d’alimenter la fabrication d’armes et de pièces de kamineg pour l’éternité. Comment des hommes avaient-ils pu ériger des constructions si majestueuses ? »

La diversité des colonies inventées par l’auteur est un gisement inépuisable de thématiques ; pourtant, il y a certains thèmes transversaux qu’il aborde avec nuances. Le premier, et probablement le plus logique, concerne l’environnement, enjeu central – vital – des colonies, qu’elles soient planétaires ou spatiales. À minima, il y a des colonies de peuplement, que les sociétés se contentent de façonner pour y vivre mais on devine surtout des colonies d’exploitation où tout ce qui ne constitue pas une ressource est supprimé de manière implacable pour être remplacé. C’est le cas par exemple dans le texte Le dernier salinkar où les colons ne prennent pas la peine de nommer les formes de vie, puisque condamnées à l’anéantissement. Comme dans toute relation société/milieu, la valorisation entraine des risques, plus ou moins grands, d’autant plus que l’Homme n’est pas le constructeur des Portes. Leur dysfonctionnement ou destruction condamne inéluctablement les colonies à la régression, voire l’anéantissement (un juste retour ?) comme dans Le Bris. Il parait difficile d’affronter subitement l’immensité de l’univers, de construire ou modifier des mondes sans un bouleversement profond de la psyché humaine. Le changement d’échelle et les avancées scientifiques révolutionnent également le domaine dans l’art, comme par exemple dans la nouvelle Le lot n°97 ou Le jardin des mélodies (et d’autres, mais de manière moins prégnante) : quels processus créatifs dans un univers ou tout, ou presque, est possible et existe ? Enfin, Laurent Genefort profite de ces colonies pour multiplier les genres, avec des incursions vers le polar ou le huis-clôt. L’auteur nous montre sa capacité à explorer un sujet, sans fausse note et sans caricature.

Vous aimerez si vous aimez le space opera qui associe grande et petit échelle.

Les +

  • La maitrise du genre Space Opera (et de la SF en général, autant le S que le F)
  • Aucun manichéisme
  • La couverture (je me rends compte que j’aime bien les couvertures SF d’Alain Brion)

Les –

  • Quelques fins parfois un peu abruptes

Colonies sur la blogosphère : Tigger Lilly annonce un « sans faute », Céline évoque « une invitation ».

Résumé éditeur

Dix récits. Dix histoires de colonies futures, planétaires ou spatiales. Et huit lettres pour un mot qui porte en lui l’essence du space opera. Chacune de ces nouvelles nous invite à pénétrer dans un monde fascinant et singulier, explorant l’une des multiples facettes de la colonisation : idéologie, aventure, cruauté, conséquences de l’isolement… La nature humaine sous l’éclairage de soleils étrangers, en somme.

Colonies de Laurent Genefort, illustration de couverture d’Alain Brion, aux éditions FolioSF (première édition en 2019, Le Belial, présente édition de 2022), 384 pages.

8 commentaires sur “Chronique – Colonies, Laurent Genefort

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