Chronique – Opexx, Laurent Genefort

Après avoir parlé de Colonies, j’ouvre une semaine consacrée au prolifique Laurent Genefort (et il y en aura davantage car j’ai le premier tome de Spire en PAL et que d’autres titres me font de l’œil), plus précisément à trois de ses textes. Le premier que j’évoque, Opexx, était un achat évident pour moi : j’ai déjà eu en effet l’occasion – les nombreuses occasions – de déclarer ma flamme à la collection Une Heure Lumière du Bélial. De surcroit, Laurent Genefort est en passe de devenir un de mes auteurs favoris, et il lui tenait à cœur d’intégrer cette aventure éditoriale qui a su s’imposer comme la référence des novellas.

Avec Oppex, l’auteur propose un texte qui pourrait ressembler, de prime abord, à de la « simple » SF militaire dans un contexte Space Opera mais qui se double surtout d’une réflexion sur le thème de l’altérité.

Opexx s’inscrit tout d’abord dans la veine de la SF militaire. En effet, dans le jargon, l' »opex » est une « opération extérieure », donc au-delà des frontières françaises. L’illustration de couverture – même si je ne suis pas très fan du casque, trop moto à mon goût – avec ce soldat sur fond planétaire confirme le propos et pose l’ambiance. Pour ma part, j’ai une relation ambivalente avec le sujet militaire, voire l’armée en général, et j’ai tendance à fuir les récits qui glorifient la guerre (qu’ils soient de SF ou de Fantasy, où c’est parfois encore plus marqué mais sans assumer) ; j’affectionne par contre tout particulièrement un Vieil homme et la guerre de John Scalzi et son ton sarcastique. Dans Opexx, le héros, ou disons plutôt le protagoniste principal et également narrateur, est un soldat de rang envoyé sur différents mondes de l’Univers – oui, j’ai bien écrit « univers » – pour accomplir des missions variées, allant de l’escorte à la reconnaissance ainsi que la logique situation de combat. Laurent Genefort équipe son personnage de la panoplie mégatextuelle classique : armes assistées, tenue de combat, affichage tactique sur la visière… D’autres planètes donc, ainsi qu’un niveau élevé de technologie, mais pourtant un futur très proche, peut-être même un présent.

« La première demi-heure, j’ai épuisé la réserve de mon fusil et je dois insérer de nouvelles munitions, des cartouches polyvalentes configurables en fonction des besoins. Avant d’intégrer les unités Opexx, je pensais que l’on nous fournirait des lances-faisceaux ou d’autres armes du même genre. Il faut croire qu’ l’on a rien inventé de mieux que des projectiles. Hypervéloces, blindés ou dotés d’un potentiel explosif hors-norme, ou au contraire conçus pour ne pas causer aucun dégât létal. Mais au final, un fusil reste un fusil, un instrument qui lance des trucs biens réels destinés à éliminer votre ennemi. »

Ces technologies ont été « offertes » à l’humanité par le Blend, vaste coalition regroupant des millions de civilisations extra-terrestres et qui vient donc d’intégrer la Terre. L’échelle parait absolument vertigineuse, à la fois en terme de taille, puisque le Blend pourrait en fait recouper tout l’Univers, ni plus ni moins ; ainsi qu’en terme de durée, car certaines espèces auraient des dizaines, voire des centaines de milliers d’années d’existence. Il n’y a que la Culture de Banks qui me viendrait comme point de comparaison et on y retrouve d’ailleurs une forme d’utopie, le Blend apportant de nombreux bienfaits à l’Humanité. Pourtant, il y a un prix : les Terriens doivent faire la guerre, ou du moins jouer un rôle militaire, là où on leur demande, car ils seraient les seuls dans l’univers encore capables de le faire. La jeune planète Terre accepte, naïvement ou non, mais sans avoir finalement les moyens de vérifier les allégations de la fédération universelle ; elle fait la guerre, mais sans choisir ses combats. Laurent Genefort nous fait entre-apercevoir cet univers vaste, à la fois angoissant et merveilleux, et il décrit – au sens faire imaginer – des paysages grandioses et dépaysants, ainsi que des races aliens à la limite de nos champs de perception et de compréhension. Il prouve à nouveau sa maitrise du sense of wonder et se permet même un soupçon de mise en abyme en évoquant Star Wars ou le travail du romancier.

« Il serait impossible de nommer l’Alsvior. C’est moins une question de prononciation que de longueur. Formulé dans son intégralité, son nom fournirait la matière de plusieurs volumes. Parmi des milliers d’autres informations, il comprend également les longueurs d’onde du rayonnement de son étoile d’origine, la place de son système stellaire dans la galaxie, mais aussi sa lignée sur des centaines de générations. Son âge figure aussi quelque part : autour de cent mille ans. Le nom à rallonge est à l’image de l’esprit de son propriétaire. Il porte en lui la mémoire alsviore, dont il n’existe plus que quelques spécimens voyageant de monde en monde. Pour le Blend, les Alsviors sont précieux, des mémoires littéralement vivantes des temps anciens, d’autant plus rares qu’ils refusent de les laisser numériser. »

Pour accomplir leurs missions, les soldats qui partent en opexx sont améliorés, en recevant notamment les connaissances nécessaires, téléchargées directement dans leurs cerveaux. Pour éviter une surcharge cognitive traumatisante, et peut-être pour des raisons moins avouables, ils sont ensuite « déprogrammés », la DP dans le langage de l’armée, euphémisme pour parler d’un effaçage des souvenirs de l’opération en bonne et due forme. Mais le narrateur est atteint du syndrome de Restorff et fait donc preuve d’un certain détachement, ce qui est plutôt une bonne chose dans le cadre des opexx, mais qui lui permet également de se souvenir de ses missions. Cette particularité fait de lui un être humain doublement différent : souvent observateur ou décalé en raison des effet du syndrome ; témoin ou mémoire de l’immensité de l’univers. Les opérations deviennent alors une véritable addiction, toujours désireux d’en connaitre davantage et se souvenant partiellement de qui lui a été implanté et de qu’il a vu et vécu. Avide de nouveaux mondes et de rencontrer les autres, il est obligé de mentir à sa hiérarchie, ses collègues de rang ou sa famille pour éviter une interdiction de partir à nouveau et rester enfermé sur Terre.

Avec Opexx, Laurent Genefort prouve qu’il est possible d’associer thème complexe et solide sense of wonder dans un texte court et que Space opera ou SF militaire ne se réduisent à des combats avec de gros lasers multicolores.

Vous aimerez si vous aimez être surpris et aller au-delà des apparences.

Les +

  • Un propos tout en nuances
  • Le world building vertigineux
  • Le dénouement

Les –

  • On aimerait en (s)avoir davantage (ce qui nuirait peut-être à l’efficacité du texte)

Opexx sur la blogosphère : Steph a beaucoup aimé (et va devoir continuer à approfondir l’œuvre de l’auteur) ; Les yeux allumés a beaucoup également ici et participe donc à la promotion du texte tout en pestant sur les conseils avisés des blogueuses et blogueurs.

Pour aller plus loin, je vous invite à consulter la vidéo de l’interview de Laurent Genefort réalisée par le Belial. On y parle d’Opexx, évidemment, mais aussi de son roman Les temps ultramodernes (et dont j’espère que les droits poche ont été acquis).

Résumé éditeur

Le Blend : une communauté de millions d’espèces sentientes vivant en paix dans ce qui ressemble au meilleur des mondes, un concert des nations à l’échelle galactique auquel vient de se joindre la Terre. Depuis l’arrivée de la délégation extraterrestre au siège des Nations Unies, l’humanité bénéficie de nombreux cadeaux destinés à lui faciliter la vie. Mais cela n’est pas sans contreparties. Ce qui intéresse le Blend, c’est une activité que cette société d’outre-espace patchwork ne sait plus pratiquer : la guerre. Un contrat a donc été conclu entre l’ONU et le Blend. Les premiers prêtent des soldats pour des opérations d’encadrement et de maintien de l’ordre. Les seconds se chargent d’équiper ces derniers, de les emmener sur zone puis de les rapatrier.
Lui, c’est un soldat de la force Opexx. Atteint du syndrome de Restorff, un déficit empathique, son efficacité en mission s’en trouve renforcée. Une qualité qui n’exclut pas les questions au fil des déploiements sur les théâtres d’opérations extrasolaires. « Répondez à l’appel de l’ailleurs ! » Tel est le slogan d’Opexx. Un ailleurs qui pourrait bien être avant tout un autrement…

Opexx de Laurent Genefort, couverture d’Aurélien Police, aux éditions Le Bélial, collection Une Heure Lumière (2022), 120 pages.

12 commentaires sur “Chronique – Opexx, Laurent Genefort

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      1. Ça fait envie ! Belle chronique en tout cas.
        Mais au risque de paraître ridicule, ça veut dire quoi « mégatextuelle » ?
        Je connais « métatextuel » mais a priori ce n’est pas la même chose, d’autant qu’il existe aussi « macro-textuel ». 🤔

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      2. Merci 🙂
        J’ai entendu le terme « megatexte » pour la première fois dans la bouche de Simon Bréan mais je crois que la notion vient des EUA. En gros, c’est la culture partagée par tous les acteurs de la SF : les robots, les portes spatiales, les IA… normalement, cela parle à tout le monde sans explication préalable.

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