Chronique – Quitter les monts d’Automne, Émilie Querbalec

Alors que Les chants de Nüying, sorti en août chez Albin Michel Imaginaire, bénéficie déjà de retours très enthousiastes au sein de la blogosphère, Quitter les monts d’automne sortait à la même date, en poche. Lauréat du Rosny aîné 2021, écrit par une autrice francophone et appartenant au genre du Space opera étaient autant de bonnes raisons pour un achat. La lecture intervient dans le cadre d’une lecture croisée – gérées de main de maître par Cecilia, merci à elle – du groupe Facebook les Mordus de SFFF, et dont le thème était le voyage. Avec Damien, mon binôme – merci à lui aussi – nous avons épluché nos PAL et ce roman s’est imposé de lui-même. Une lecture intéressante, qui en outre était tout à fait adapté à une lecture croisée en raison des mystères qu’il contient. Émilie Querbalec part d’un monde qui ressemble en partie au Japon médiéval pour déboucher sur des enjeux sans cesse plus grands et dont le pivot est la question du langage écrit.

L’autrice a une partie de ses racines au Japon et y puise pour imaginer la planète Tasai et ses monts d’Automne d’où est originaire Kaori, l’héroïne. Le contexte du début rappelle énormément le Japon féodal, notamment par son architecture ou ses tenues. Outre ces aspects culturels, la société de Tasai s’en inspire aussi, par sa rigidité et le poids, parfois oppressant, des traditions et de l’autorité des aïeux. Kaori est une adolescente en quête d’émancipation, ainsi que de son identité, et vit donc mal cette organisation et l’absence de choix qui l’accompagne : une carrière de danseuse lui est imposée, avec toutes les contraintes, notamment d’entrainement et de gestion collective, que cela implique. La première partie du roman penche plutôt vers une ambiance de (science)fantasy, surtout en raison de l’incapacité de l’héroïne à expliquer, voire accepter certains phénomènes qui paraissent « magiques ».

« Cet auditoire peut paraitre dérisoire comparé aux spectacles organisés dans les grandes cités tasaiennes, mais pas pour nous, modestes artistes itinérantes, qui n’avions jamais connu d’horizon plus vaste que celui de ces régions reculées. Et pour ces montagnards, qui ne connaissaient guère d’autres distractions que les forains de passage deux ou trois fois l’an, chaque représentation de Lasana prenait l’ampleur d’un véritable évènement. Ma grand-mère était une personnalité locale respectée, au même titre que les chefs de village ou les sages-femmes, et son autorité faisait foi. Pourtant, ce soir-là, de dos, elle me sembla curieusement menue, presque vulnérable, comme si les ans avaient fini par la tasser, lui retirant l’aura de puissance qui l’accompagnait habituellement. »

En avançant dans le roman, il est évident qu’il s’agit tout d’abord de SF, quand apparaissent les premiers objets technologiques : véhicules, bâtiments, et même robots. Plus précisément, Quitter les monts d’Automne appartient au Space Opera car Tasai n’est qu’une planète parmi tant d’autres, au sein d’un univers que l’on devine vaste. Si le contraste entre un début à l’ambiance médiévale puis un récit de plus en plus SF peut déconcerter le lecteur ou la lectrice, il sert tout à fait l’esprit du roman. Kaori ignore tout du monde qui l’entoure – des mondes même – et les découvertes ou surprises sont donc partagées, au sein de ce récit initiatique. Surtout, le propos s’articule autour de la découverte, souvent de manière dramatique, du secret qui entoure l’interdiction de l’écriture.

« J’avais conscience de m’être exprimée de manière assez directe, chose peu habituelle sur Tasai où nous sommes coutumiers des conversations à demi-mot, surtout entre un homme et une femme. Mais Ekisei n’était pas de chez nous, et j’avais passé trop d’heures à tourner en rond dans ma cabine pour avoir la patience d’attendre qu’il aborde lui-même le sujet.
– Nous allons sur Ayanai, me répondit-il ?
– Ayanai ?
Ce nom ne me disait rien.
– Le deuxième continent, m’expliqua-t-il. Celui qui vous est interdit.
»

Le livre est construit par emboitement d’échelles, chacune apportant son lot de révolution. Des monts d’Automne à la ville, de la ville à l’autre continent, de l’autre continent à l’espace, de l’espace à… Seul le Flux, une sorte de force que l’on devine consciente au début du récit, est omniprésent et recouvre toute l’histoire. J’avais un peu peur, au fil des pages, que tout ne soit pas dévoilé : Émilie Querbalec s’attarde longuement sur ces monts d’Automne que Kaori doit quitter, accélère ensuite assez brutalement pour ralentir à nouveau, telle une Odyssée cosmique. La fin apporte les réponses et oriente le tout dans une direction qui m’a rappelé l’âge d’or de la SF, avec peut-être un petit côté Arthur C. Clarke. C’est d’ailleurs peut-être ce qui m’a un peu gêné, car l’autrice s’est attardée sur des moments aux enjeux moindres, pour expédier ceux plus impressionnants, mais ce qui est cohérent pour un roman initiatique.

Même si ça n’est pas un coup de cœur, Quitter les monts d’automne est un livre très recommandable, qui raconte avec subtilité la découverte de l’Univers et du secret qui entoure l’écriture par Kaori ; découverte dont le prix est souvent terrible et qui souligne le courage que nécessite l’accès au savoir.

Vous aimerez si vous aimez le Space Opera initiatique

Les +

  • La description des monts d’automne
  • L’écriture
  • Kaori, personnage tout en subtilité

Les –

  • Certains personnages trop secondaires

Retours choisis sur la Blogosphère : Marc le Chroniqueur a beaucoup aimé et souligne des aspects dystopiques ; Apophis a bien aimé mais est est aussi nuancé sur la fin (et a une vision opposée sur les personnages).

Résumé éditeur

Recueillie par sa grand-mère après la mort de ses parents, Kaori vit dans les monts d’Automne où elle se destine à être conteuse. Sur Tasai, comme partout dans les mondes du Flux, l’écriture est interdite. Seule la tradition du « Dit » fait vivre la mémoire de l’humanité. Mais le Dit se refuse à Kaori et la jeune fille se voit dirigée vers une carrière de danseuse. Au décès de sa grand-mère, Kaori hérite d’un rouleau de calligraphie, objet tabou par excellence, dont la seule détention pourrait lui valoir une condamnation à mort. Pour percer les secrets de cet objet, mais aussi le mystère qui entoure la disparition de ses parents, elle devra quitter les monts d’Automne et rejoindre la capitale.

Quitter les monts d’Automne d’Émilie Querbalec, couverture de Manchu, aux éditions Le livre de poche (2022, première sortie Albin Michel Imaginaire en 2020), 544 pages.

Prix Rosny ainé 2021

7 commentaires sur “Chronique – Quitter les monts d’Automne, Émilie Querbalec

Ajouter un commentaire

  1. Contente que tu te sois lancée dans cette découverte.
    J’ai découverte l’autrice avec ce titre et j’ai été charmée par sa plume et ses idées.
    Tout son travail sur l’écriture et la mémoire en générale m’a séduite.
    C’est vrai qu’il y a du C. Clarke dans cette fin maintenant que tu le dis ^^

    Aimé par 1 personne

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