Chronique – La maison hantée, Shirley Jackson

La maison hantée est considéré comme un des romans fondateurs de l’horreur moderne, culte pour de nombreux lecteurs, et dont l’autrice est adoubée par Stephen King lui-même. Une leçon que je récite parfaitement, sauf que j’ignorais jusqu’au nom de l’autrice il y a encore quelques semaines ; nom découvert, un de plus, grâce au Tag Autrices incontournables en SFFF (donc Vert a fait le bilan sur son blog). Spontanément, je ne serai pas allé vers ce livre car je n’aime pas l’horreur – je déteste avoir peur – et surtout parce la maison hantée me parait être un cliché tellement éculé que je n’achèterais pas un livre dont c’est le ressort principal. Néanmoins, j’aime consolider ma culture et donc lire les œuvres fondatrices, en essayant bien d’avoir cet idée en tête lors de ma lecture.

Mais si La maison hantée est effectivement un récit d’horreur bien mené, dont la maison est peut-être le personnage principal, c’est aussi un récit où la psychologie des personnages est très intéressante. On peut être hanté de plusieurs manières…

Le postulat du roman est très simple – et relève aujourd’hui du poncif – car il met en scène un groupe hétéroclite réuni par le docteur Montague pour étudier les phénomènes surnaturels qui surviennent à Hill House. Ce casting réunit Eleanor Vance, qui a été victime d’un phénomène surnaturel quand elle était jeune, et qui vit sous le régime tyrannique de sa sœur depuis le décès de leur mère ; Theodora, personnage extravagant qui aurait quelques talents extralucides ; Mike Sanderson, voleur, escroc et petite frappe mais surtout futur héritier de la maison ; et enfin le docteur Montague lui-même, probablement compétent mais surtout très condescendant, peut-être un moyen pour lui d’oublier quelque temps la grande soumission dont il fait preuve vis-à-vis de son épouse. Le protocole mis au point par ce dernier peut prêter à sourire puisqu’il suffit de s’installer dans la maison, d’y vivre quelques temps, et de noter scrupuleusement tout ce qui se produit. Cette introduction peut prêter à sourire, mais le talent de l’autrice et l’intention réelle qui se cache derrière valent de passer outre.

« Aucun œil humain n’est capable d’isoler l’élément précis, qui, dans la composition malheureuse des lignes et des espaces, donne une allure diabolique à une maison. Il y avait là cependant un je-ne-sais-quoi – une juxtaposition insensée, un angle mal conçu, une rencontre hasardeuse entre ciel et toiture -, par lequel Hill House respirait le désespoir. Vision d’autant plus terrifiante que la façade semblait en éveil, avec ses fenêtres sombres évoquant les yeux d’un vigile, surmontées de temps à autre par le sourcil inquiétant d’une corniche. Presque n’importe quelle maison, saisie dans une perspective inhabituelle, peut revêtir un air éloquent. Une malicieuse petite cheminée, une lucarne pareille à une fossette, et le visiteur se sentira happé dans une sorte de connivence. Mais une maison qui exhale l’arrogance et la haine, qui jamais ne baisse la garde, ne peut être que mauvaise. Hill House paraissait s’être construite toute seule, s’érigeant selon ses propres plans entre les mains de ses bâtisseurs. »

Une des grandes qualités du roman est sa construction très efficace. Effrayer n’est pas aisé, et demande une grande maitrise du rythme : les scènes horrifiques fonctionnent mieux quand il y a des effets de contraste. La découverte de la maison, puis de ses colocataires temporaires, se fait par les yeux d’Eleanor qui ne s’est jamais réellement éloignée de chez elle et est ravie de s’offrir une parenthèse d’aventures. Un décalage s’instaure entre le lecteur qui connait le titre du roman, devançant ainsi ce qui pourrait se passer, et les personnages qui partent pour vivre une expérience légère, digne d’un parc d’attraction. L’alternance des jours et des nuits symbolise et provoque les périodes de calme, où le danger parait moindre, et les phases surnaturelles horrifiques. Les moments qui suivent le souper, quand les personnages se réunissent pour faire connaissance puis évoquer la maison, alors que la nuit tombe, sont des moments clés du récit, où l’autrice en profite pour faire un peu d’exposition et narrer l’histoire par la bouche du docteur. La tension augmente au fil des pages et des minutes. Shirley Jackson réussit à évoquer le côté malsain de Hill House, qui devient un personnage à part entière, avec ses objectifs insondables ; les phénomènes surnaturels sont marquants et impressionnants, sans jamais tomber dans la surenchère d’effets démonstratif ou d’hémoglobine. Ils me marqueront durablement.

« Mrs. Dudley se détourna pour laisser passer Eleanor et parla comme si elle s’adressait au mur
« Je pose le dîner sur la desserte de la salle à manger à six heures précises, dit-elle Vous vous servez toute seule. Je débarrasse le matin. Le petit déjeuner est prêt pour neuf heures. C’est ce qui a été convenu. Je ne peux pas maintenir les chambres aussi propres que vous le souhaiteriez, d’autant plus qu’on ne trouve aucune aide. Je ne fais pas le service. D’après ce qui a été convenu, je ne suis pas là pour ça ». »

La maison hantée est un récit subtil, qui s’intéresse avant tout à ses personnages, Eleanor en tête. Celle-ci est déjà hantée par le décès de sa mère dont elle s’est occupée en dépit d’une haine tenace. La maison n’est pas un antagonisme qu’il faut vaincre ou un lieu dont on veut s’échapper, mais pourrait au contraire être le lieu d’un nouveau départ, entouré d’amis en lieu et place d’une famille abusive. Elle noue une relation très ambiguë avec Theodora, jalouse Sanderson et considère Montague comme une figure d’autorité, voire paternelle. Shirley Jackson propose de fascinants doubles dialogues, entre l’incarnation d’une Eleanor sociale, qui donne le change en obéissant à son surmoi et la version qui se laisse dominer par ses sentiments, la voix du ça. Dès lors, le roman évitant les longues explications, il est parfois difficile de deviner ce qui est réel, ce qu’Eleanor imagine, voire souhaite. À l’horreur classique d’une maison hantée, l’autrice ajoute le malaise des relations sociales malsaines et nous fait visiter les pièces de la psyché humaine.

La maison hantée mérite son statut de roman culte et fondateur. Il réussit le pari d’être un livre effrayant mais ne tombe dans aucun des pièges liés au genre. Mieux, il donne à réfléchir sur ce qu’est l’horreur et la manière dont on peut s’en accommoder, voire la désirer.

Vous aimerez si vous aimez les huis clos, les maisons hantées.

Les +

  • L’ambiance
  • La galerie de personnage
  • Tout en subtilité, finesse, sans tomber dans le piège du démonstratif

Les –

  • Les réactions des personnages parfois un peu surprenantes

Retours choisis de La maison hantée sur la blogosphère : Célinedanaë évoque un « roman d’horreur psychologique » ; la Geekosophe souligne que l’on peut faire peur sans gore.

Résumé éditeur

Construite par un riche industriel au XIXe siècle, Hill House est une monstruosité architecturale, labyrinthique et ténébreuse, qui n’est plus habitée par ses propriétaires. On la dit hantée. Fasciné par les phénomènes paranormaux, le docteur Montague veut mener une enquête et sélectionne des sujets susceptibles de réagir au surnaturel. C’est ainsi qu’Eleanor arrive à Hill House avec ses compagnons. L’expérience peut commencer. Mais derrière les murs biscornus, les fantômes de la maison veillent et les cauchemars se profilent…

La maison hantée de Shirley Jackson, traduction de Dominique Mols révisée par Fabienne Duvigneau, aux éditions Rivages/Noir (2016, première édition VF en 1979 aux Editions du Masque, parution VO en 1979), 250 pages.

5 commentaires sur “Chronique – La maison hantée, Shirley Jackson

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  1. Passionnante ta chronique ! Qui me fait dire que j’ai bien fait d’avoir choisi ce titre pour une catégorie du pumpkin autumn challenge – je ne sais plus laquelle par contre. J’aime particulièrement l’aspect subtil que tu mentionnes, car moi non plus je n’aime pas avoir peur dans mes lectures (je fais des cauchemars après, comme les enfants).

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