Vous lisez le premier des trois billets que je consacrerai cette semaine aux éditions 1115, spécialisées dans le très petit format. C’est à se demander pourquoi je n’en ai pas parlé plus tôt. Manque corrigé : il me fallait un peu de temps et l’opportunité.
Cette chronique de la nouvelle Les tiges me permet de rattraper également un autre retard par , puisqu’il s’agit de mon premier texte de Thomas Geha, auteur français important à plus d’un titre : auteur donc, mais aussi éditeur, organisateur d’évènements, et j’en oublie certainement. Avec cette nouvelle, il prouve avec talent que l’on peut écrire un texte très dense, véritable expérience de pensée propre à la SF, d’une grande efficacité par son rythme et les émotions qu’il procure. Une réussite.
Nouvelle de Space Opera, Les tiges place l’humanité entre deux espèces extra-terrestres rivales, les Ailaidarlis et les Tiges, qui donnent leur nom au texte ; on ne voit que peu les premiers mais ils semblent être une civilisation mécanique et métallique, les seconds ont toutes les apparences du végétal. Il est toutefois difficile de les caractériser de manière certaine car leurs fonctionnement échappent en partie aux concepts et valeurs humaines, mais surtout l’humanité a été vaincue, à priori à deux doigts de l’extermination, et cette position de perdant ne lui a pas laissé l’opportunité d’effectuer études et autres classements taxonomiques dont elle a le secret. Il ne lui reste finalement plus qu’un rôle de second plan, pris deux espèces qui l’asservissent et envoient humains au front, entre transformations corporelles et effacements de souvenirs. À ce stade, Les tiges était déjà convaincant pour moi, le texte faisant écho à des lectures assez récentes, comme Semiosis pour la forme de vie végétale ou La monture à propos de l’asservissement à une autre espèce ; toutefois Thomas Geha a une idée plus profonde en tête. Je ne spoilerai pas, mais l’auteur n’oublie pas l’aspect « science » de la SF et se livre à une jolie expérience de pensée, qui lui permet d’expliquer ce trio belliqueux et la survie de l’humanité, en donnant au passage une forme « à chute » à cette nouvelle. Une petite recherche sur le net m’a permis d’approfondir ma culture et découvrir la théorie qui sous-tend le récit ; la rencontre de la science et de la fiction en somme.
« Mais ses soldats connaissent aussi ce mal incurable, cette perte de repère, cette sensation d’égarement. Déraciné, l’Homme n’a plus de raison de vivre, a-t-il fini par conclure ces dernières heures. Sur terre, tout était plus facile. Il n’y avait que la Terre et le reste de l’Univers dont tout le monde se fichait. L’humanité était au centre de la Création. Il fallait pourtant s’attendre à ce qu’elle prenne une bonne vieille claque dans la figure un jour. »
Le format de la nouvelle avait tendance à me laisser sur ma faim et je croyais qu’elle ne pouvait pas traiter d’enjeux importants – comprendre : à très petite échelle – ou peut-être en faisant l’impasse sur l’émotion. Cette opinion avait déjà évolué (les imbéciles, tout ça tout ça) mais Thomas Geha enfonce le clou sur le cercueil de mes représentations. Les tiges abordent des questions très intéressantes, dont celle du libre-arbitre ou de ce qui caractérise l’espèce humaine ; on fait difficilement enjeux plus grands. La construction ne respecte pas la chronologie – on commence quasiment par la fin – mais ce système d’aller-retours crée une tension et une attente qui poussent à enchainer les pages les unes à la suite des autres – je vous conseille d’ailleurs d’être attentif aux épigraphes. Le procédé est devenu assez classique en SF mais il est efficace, surtout quand il est bien utilisé, en exposant très tôt le climax de l’histoire sans le résoudre. Ce dernier est d’autant plus fort qu’il est appuyé par un thème portant une forte charge émotionnelle, parfaitement lié au propos du texte. Enfin, mention spéciale pour les personnages, relativement nombreux pour un texte de cette taille mais qui jouent leurs rôles et pour lesquels empathie et sympathie sont immédiates.
Les tiges est un texte d’une remarquable densité, qui arrive à paraitre plus long que ce qu’il n’est réellement et qui est un bel exemple de ce que la SF peut fournir de meilleur. Si vous n’avez pas le temps de lire – et même si vous l’avez d’ailleurs – et que voulez vous plonger dans l’imagination et le questionnement propres à ce genre, n’hésitez pas.
Vous aimerez si vous aimez les expériences de pensée que permet la SF et les récits maitrisés.
Les +
- Une remarquable densité
- De l’intelligence
- De l’émotion
Les –
- RAS !
Retours choisis de Les tiges sur la blogosphère : Feyd a beaucoup aimé, Célinedanaë aussi et nous rappelle que le texte s’inscrit dans un univers plus vaste (mais que sa lecture n’est pas obligatoire pour savourer pleinement la nouvelle)
Résumé éditeur
Avec « Les Tiges », Thomas Geha nous emmène sur la Station Terre, où ce qui reste d’humanité vit en symbiose avec une espèce extraterrestre. À ceci de particulier que l’espèce en question n’est ni zoomorphe, ni humanoïde, et que la relation qui les unit aux Hommes n’est pas sans conséquence pour ces derniers. Loin s’en faut !
De l’importance de bien connaître – et comprendre – ses alliés, surtout quand ils viennent d’un autre monde.
Les tiges de Thomas Geha, couverture de Victor Yale, aux éditions 1115 dans la collection Chronopages (2022, 32 pages)
Prix Rosny aîné 2013

C’est moche ce que tu fais. Je n’ai jamais été pleinement convaincu par mes lectures de l’auteur, ça ne matche pas entre nous, et je m’étais dit que je m’arrêtais là. Mais tu me fais me demander si je ne devrais pas en lire un petit dernier… Non, vraiment, c’est moche de bousculer mes certitudes durement acquises. 😵
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Ça reste de la SF finalement assez « classique », avec une bonne maîtrise des codes du genre et des procédés narratifs. Mais je n’ai rien lu d’autre de lui, donc j’aurais bien du mal à te dire si c’est proche ou non 😅
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