Il y a quelques jours, je vous disais tout le bien que je pensais de Symphonie Atomique d’Etienne Cunge. Le livre m’a intéressé en tant que lecteur, mais également d’un point de vue professionnel : environnement et géopolitique sont deux sujets très présents dans mon enseignement. Aussi, j’ai décidé de contacter Etienne pour lui demander s’il accepterait de se prêter au jeu de l’interview… et voici donc ce billet, avec un petit concours à la fin.
Bonjour Etienne ! Merci de vous prêter au jeu de l’interview.
Avec grand plaisir. Merci de votre intérêt pour Symphonie atomique et les différents thèmes abordés par le roman.
Symphonie Atomique raconte un futur où l’Homme a provoqué l’effondrement de l’environnement et n’a réalisé l’ampleur des dégâts qu’au pied du mur. Quand et comment s’est manifestée votre propre prise de conscience ?
Chance ou pas, dans ce domaine ma prise de conscience – et les angoisses associées aussi bien que mon engagement – remonte à l’adolescence. J’imagine que c’est dû à mon enfance passée entre Grenoble et les Hautes-Alpes et à la pratique de la montagne. Cette expérience de vie m’a toujours animé d’un sentiment profond et d’une curiosité sans bornes pour la nature, les plantes, les animaux et les paysages. Aujourd’hui encore mes loisirs sont en lien avec l’environnement.
Mais pour revenir à ma prise de conscience je m’en souviens très bien, c’était le milieu des années 80, j’avais 12 ou 13 ans, je regardais un documentaire sur l’Amazonie qui me fascinait par sa beauté mais qui se concluait par l’exploitation et la déforestation avec une probable disparition de ce milieu unique dans la première moitié du XXIème siècle. Ça a été une immense claque. D’une part car je me suis senti révolté par la destruction sans retour de tant de beauté, d’autre part parce que, même à cette époque, il m’apparaissait évident que l’homme ne peut pas survivre sans une nature équilibrée dont il dépend. Depuis, ce sentiment ne m’a jamais quitté et je n’ai eu de cesse de me documenter comme de consacrer mon temps et mon énergie à la préservation de la nature. J’ai donc suivi un cursus universitaire en biologie puis je me suis engagé dans ma vie professionnelle dès la fin des années 90 et, enfin, je suis devenu auteur de romans de climate fiction.
Ce vécu me fait me sentir proche de la jeune génération actuelle, de son éco-anxiété, et j’écris beaucoup en pensant à elle car j’ai le sentiment d’avoir expérimenté avec un peu d’avance sa situation psychologique. C’est pourquoi les personnages du roman font face avec courage aux événements et au contexte dramatiques qu’ils affrontent : c’est la seule réponse digne possible à mes yeux, rester fidèle à ses valeurs humanistes et démocratiques quelles que soient les difficultés que nous rencontrons dans la vie. C’est un des messages principaux que je voulais faire passer dans Symphonie atomique. C’est aussi ce qui apporte une certaine lumière au texte.
Il semblerait que l’urgence de la question émerge peu à peu avec par exemple une médiatisation de plus en plus importante des travaux du GIEC. Quelle contribution peut apporter la SF à la diffusion de ces problématiques ?
Je travaille à la sensibilisation du grand public et des professionnels depuis près de 25 ans. Il est vrai que nous ne nous trouvons plus dans la situation du début des années 2000 où l’on entendait régulièrement que c’était impossible que l’homme modifie le climat ou, au pire, que le phénomène concernerait nos arrières-petits-enfants. Les changements sont rapides et deviennent perceptibles par tous depuis quelques années ce qui contribue très largement à une prise de conscience par les faits. Néanmoins je crois que l’immense majorité sous-estime toujours l’ampleur des risques. En parallèle, la science avance et les données scientifiques sont de moins en moins contestables – voire plus du tout sans une grosse dose de déni ou de mauvaise foi. Pour autant la science à ses limites pour jouer le rôle de sensibilisation attendu d’elle. Son vocabulaire technique, indispensable entre spécialistes mais peu favorable à l’appropriation par le grand public. Son besoin d’exactitude ensuite : en tant qu’expert je ne peux pas affirmer « voilà ce qui va se passer » parce qu’il subsiste toujours des incertitudes même minimes, ce qui ouvre une brèche aux arguments du climato scepticisme. L’honnêteté intellectuelle et l’intégrité des chercheurs nuit de la sorte à l’objectif de communication. Enfin la science s’adresse à la raison et je suis intimement convaincu que le moteur de la mise en mouvement des humains est émotionnel plus qu’intellectuel. Sans émotions pas de changement.
La SF permet de se libérer de ces contraintes et de toucher le plus grand nombre en mettant à sa portée une vision du futur probable si aucun changement d’orientation de notre modèle de société n’intervient. L’écriture permet également de faire ressentir au niveau émotionnel les conséquences humaines découlant des perturbations de la biosphère via les personnages, ce qui me paraît à même de faire bouger le lecteur en le touchant au cœur. Enfin le roman met ces informations à portée de chacun par un vocabulaire accessible et au travers d’une intrigue prenante vécue comme un moment ludique et non comme un pensum (contrairement au rapport du GIEC assez peu digeste en particulier pour les non spécialistes).
De fait je suis convaincu que c’est un moyen idéal de sensibiliser aux enjeux environnementaux comme à leurs conséquences sociales et je suis très heureux d’avoir écrit Symphonie atomique et des retours qui m’en sont faits, en particulier des nombreux avis signalant l’absence de message moralisateur ou culpabilisant.
Les scientifiques envisagent d’ailleurs plusieurs scénarios de dérèglement climatique, plus ou moins optimistes. Qu’en est-il pour Symphonie Atomique ?
Symphonie atomique retient le scénario du pire ou presque. L’’univers du roman projette l’intrigue dans un monde qui n’a pas réussi sa transition pour plonger le lecteur dans la réalité d’une terre à +3 ou +4°C. Le but étant que l’anticipation de l’ampleur des problèmes quotidiens à venir rende plus acceptable les renoncements et difficultés prévisibles qui nous attendent pour y faire face sans sombrer dans des systèmes de valeur déshumanisés et anti-démocratiques.
Hélas, c’est aussi à mes yeux le futur le plus probable. Je ne suis pas un grand optimiste notamment parce que le changement climatique se manifeste plus vite et plus fort que prévu mais aussi parce qu’il n’est qu’un des problèmes qui interviennent en synergie, avec la destruction de la biodiversité – qui selon moi est encore pire -, l’érosion et la mort des sols, les pollutions multiples qui s’accumulent et l’épuisement des ressources en matériaux. D’autre part, l’effort à consentir en termes de sacrifices individuel et collectif pour enrayer ces fléaux en diminuant la consommation ne me semble pas acceptable par les populations et les décideurs à ce stade quelles que soient les zones géographiques considérées. D’autant moins dans un système particulièrement inégalitaire dans la distribution des ressources ou chacun regarde le mieux loti que lui-même et refuse – à juste titre le plus souvent du point de vue éthique – de se restreindre alors que d’autres profitent – et polluent – plus. Par ailleurs cette forme de décroissance ne serait pas facile à mettre en œuvre au plan opérationnel (j’ai tout de même proposé un système de ce type en Europe dans le roman pour creuser la question). Je ne crois pas trop non plus aux solutions technologiques pour s’en sortir par la fuite en avant : s’il en existera peut-être pour le climat et le CO2 (fusion nucléaire par exemple), il est peu vraisemblable d’en trouver pour la biodiversité. En fait le problème pour ces deux options (décroissance ou technosolutionnisme) est le manque de temps pour transformer notre modèle face à l’urgence mis en perspective avec les besoins quotidiens de 8 milliards d’humains qui doivent être assurés au mieux (les plus basiques ne l’étant toujours pas pour beaucoup sur la planète) et à l’inertie inhérente au fonctionnement des organisations humaines. Ces deux axes de solutions, diminution de la consommation et réduction des impacts de la production, devraient néanmoins être recherchés conjointement sans relâche.
Symphonie atomique s’inspire également de la Guerre froide, dans une version quadripolaire. Pourquoi l’ajout d’une dimension géopolitique à celle de l’environnement ?
La dimension géopolitique de la dégradation de l’environnement et de l’épuisement des ressources m’apparaît comme une évidence mais est souvent sous-estimée. Face à des tensions sur la ressource donc la qualité de vie des populations, les Etats – tout comme les individus – tendent à se refermer sur eux-mêmes pour préserver leurs intérêts ce qui est source d’accroissement des tensions et de diminution des échanges ; phénomènes peu favorables à la compréhension réciproque ou à la collaboration au service de l’intérêt collectif. D’ailleurs la réduction des échanges entre blocs imaginée dans le roman paraissait improbable à sa sortie et l’on s’y dirige tout droit actuellement avec la guerre économique en cours sur les technologies de pointe. De fait l’histoire montre que des événements climatiques ont déterminé pour partie certains moments clés (famine liée à des éruptions volcaniques engendrant des révoltes par exemple ou invasions suite à des changements climatiques favorables ou défavorables).
Je pense donc que la dimension géopolitique des enjeux environnementaux relève d’une prise de conscience tout aussi indispensable que celle liée à l’évolution de notre milieu de vie car, pour trouver des solutions pour le futur, on ne peut en faire l’impasse sans se fourvoyer. De plus je n’ai jamais cru à la disparition de la menace nucléaire. Enfin, cette ambiance de guerre froide créait un contexte favorable à l’intrigue en elle-même qui ne traite pas d’environnement.
Entre l’Ukraine, les autocrates de plus en plus nombreux, les sécheresses déjà annoncées, les réactions politiques face aux militants… n’avez-vous pas l’impression de ne plus écrire tout à fait de la fiction ?
J’avoue que j’ai moi-même été surpris par la vitesse à laquelle la réalité a rattrapé la fiction. J’ai écrit le roman en 2019 et début 2020, quand tout allait bien, avant le covid, la canicule de 2022 et la guerre. À tel point que l’expérience de lecture entre la sortie du roman en octobre 2021 et celle vécue six mois plus tard n’a, à mon sens, pas grand-chose en commun. À dire vrai, je n’écrirai pas ce roman exactement de cette façon aujourd’hui car il était conçu comme une claque salutaire dans un contexte d’aveuglement et de déni qui est moins d’actualité aujourd’hui.
En conclusion, on est plus proche du réel que de la SF pure et dure, mais c’était un de mes buts. Même si je le déplore, de ce point de vue, mon objectif est atteint. Cette réalité m’épargne aussi sans doute beaucoup de commentaires sceptiques qui n’auraient pas manqués sans la survenue de ces événements dramatiques, que ce soit sur le retour de la guerre froide, l’effondrement de l’environnement ou la fin de la mondialisation.
L’un des antagonistes rappelle énormément les ambitions de certains milliardaires américains, comme Bezos ou Musk. Pourquoi cette mise en garde particulière ?
C’est peut-être un des points de facilité du roman. Mais je suis aussi très inquiet du pouvoir grandissant d’individus plus riches et puissants que beaucoup de nations et qui vont beaucoup plus vite que les régulations réglementaires. De fait, leurs décisions d’entrepreneur induisent des choix qui s’imposent à l’humanité entière sans débat démocratique, donc sans choix de société, juste parce qu’ils peuvent le faire. Par exemple la privatisation de l’espace et le déploiement irrémédiable de millier de satellites par une entreprise est-il raisonnable, souhaitable, désirable ? Et si oui, par qui et à quelles fins ? Ces questions n’ont pas eu le temps d’être posées ou débattues que la réalité s’imposait déjà. Le même phénomène est à l’œuvre sur l’émergence des IA génératives, des implants cérébraux et demain du génie génétique… Ce système laisse la majorité de l’humanité à la merci d’une simple erreur d’estimation ou de la stabilité mentale de ces responsables industriels presque sans garde-fou au regard de la rapidité des évolutions technologiques qu’ils portent. Encore une fois c’est la rapidité du changement qui est une source de danger.
Par ailleurs, la fortune de quelques-uns leur permet d’espérer échapper aux conséquences du changement climatique en abandonnant les moins nantis à leur triste sort, voire avec une bonne dose de cynisme à précipiter les plus faibles dans l’abîme au nom de la survie d’une frange de l’humanité. Ce qui est peut-être vrai du point de vue pragmatique mais insoutenable au plan éthique. Je voulais aborder ce thème puisque, vous l’aurez compris, pour moi la question de l’adaptation du système socioéconomique pour contrer les conséquences négatives de nos activités sur l’environnement passe par un rééquilibrage de valeur entre intérêts individuel et collectif. Sans redonner du poids au second nous ne nous en sortirons jamais dans le respect de la dignité humaine et au profit du plus grand nombre.
Parlons un peu de littérature. Quelles sont les œuvres de SF, en lien avec ces questions ou non, qui vous ont marqué ? Et si vous deviez nous conseiller un ou deux titres récents ?
J’ai été marqué par les classiques de la SF dans ma jeunesse. En particulier par des auteurs comme AE. Van Vogt avec Le monde des A, Clifford D. Simak avec Demain les chiens, Ian M. Banks et son cycle de la Culture, Dan Simmons et le cycle d’Hypérion, Pierre Bordage et sa trilogie des Guerriers du silence et enfin parmi la multitude de références possibles j’ai été imprégné par l’œuvre de Philippe K. Dick. Donc pas vraiment par des textes centrés sur l’environnement. Concernant ceux-ci je ne peux que recommander les ouvrages de Jean-Marc Ligny qui traite avec constance ce sujet depuis longtemps avec, par exemple, Exodes. Dans mes lectures récentes je vais citer principalement des auteurs français. En particulier Emilie Querbalec avec Quitter les Monts d’automne ; Emmanuel Chastelière avec Celestopol ; David Bry avec La princesse au visage de nuit ; Jean Krug avec Le chant des glaces ; Estelle Faye avec Porcelaine ou encore Aurélie Wellenstein avec Yardam. Autant de lectures que j’ai appréciées dont certaines traitent d’environnement. Pour une référence anglo-saxonne, je citerai Un psaume pour les recyclés sauvages de Becky Chambers qui est un contrepoint parfait à Symphonie atomique par sa légèreté.
Enfin, quelle est votre actualité, en cours et à venir ? Quelle sera la place de ces thèmes dans vos écrits à l’avenir ?
Mon actualité après la sortie poche de Symphonie atomique aux éditions Pocket imaginaire est la réédition aux éditions Critic et dans une forme très retravaillée de mon premier roman (publié aux éditions Rivière Blanche) « Antarcticas ». Celui-ci parle aussi d’environnement puisqu’il est centré sur l’exploitation minière de l’Antarctique et ses enjeux sociaux et géopolitiques. C’est un roman beaucoup moins sombre que Symphonie atomique mais bâti sur le même principe de thriller et de climate-fiction. On y suit des braconniers de minéraux sur les terres australes et une COP en Europe qui doit statuer sur l’ouverture du continent à l’industrie. C’est un choix et un pari ambitieux et difficile que de retravailler mon premier roman après le bon accueil de Symphonie atomique car il est complexe de mettre à niveau un texte sans trahir sa nature. Néanmoins, je pense que cet ouvrage méritait ce travail et cette réédition et je suis très heureux que les éditions Critic lui offre une nouvelle vie. J’espère avoir été à la hauteur du défi dans la réécriture.
Je finalise aussi un nouveau roman, de fantasy cette fois, qui aborde l’environnement sous une forme très positive. Je ressentais le besoin d’exprimer toute la beauté et la joie qu’offre une nature préservée à celui qui y vit. J’espère le voir publié en 2024.
Enfin, je pense avoir exprimé ce que je voulais concernant les enjeux environnementaux à court et moyen terme avec Symphonie atomique et Antarcticas et j’envisage pour la suite une réflexion sur de l’anticipation de long terme et une éventuelle utopie à venir après le chaos. L’avenir dira si je trouverais l’inspiration pour une telle histoire.
Je vous remercie chaleureusement d’avoir accepté de consacrer au temps à Mondes de Poche et de vos réponses !
Ne nous quittez pas car je profite de cette interview, avec la gentille participation des éditions Pocket, pour vous faire gagner un exemple dédicacé de Symphonie atomique. Pour ce concours, deux choses à faire :
1) partager cette interview (pensez à me taguer – Twitter : @LoisyJean, Instagram : mondesdepoche, Facebook : Jean-Yves Loisy-Saurel )
2) répondre à la question suivante : citez un roman qui aborde la thématique de l’environnement. Vous pouvez également laisser un commentaire sur le blog (c’est plus sûr et surtout sympa)
Date limite de participation : samedi 20 mai. Annonce du résultat : lundi 22 mai. Tentez votre chance ! Et si vous ne gagnez pas, achetez le !
Symphonie atomique d’Etienne Cunge, Pocket (2023, première sortie Critic en 2021), 544 pages.

Szia!
C’est un plaisir de suivre ton blog et l’interview vaut la lecture.
Bien à toi,
M.
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Interview vraiment intéressant. Merci beaucoup
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Merci 🙂
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Super intéressant, merci !
Pour le concours je pense à Un éclat de givre d’Estelle Faye (;)) et Aqua TM de Jean-Marc Ligny. Il y en a sûrement plein d’autres…
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Bon choix 🙂
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