J’aime la SF car elle est une expérience de pensée, un « et si » qui nous fait rêver ou espérer – parfois – et qui nous met aussi en garde – souvent. Je suis également un anxieux chronique, anxiété alimentée jusqu’à la nausée par l’actualité, qu’elle soit climatique ou géopolitique. Masochiste également puisque le solastalgique que je suis se complait à lire des récits post/pré-apocalyptiques ou dystopiques et que ma profession ne me permet pas de faire l’autruche quant à ce futur joyeux qui attend mes enfants et ceux avec qui je travaille…
Ce petit topo autocentré a pour but de présenter Symphonie Atomique, d’Etienne Cunge, qui anticipe un futur où l’humanité doit affronter l’apocalypse environnementale qu’elle a provoqué et dont l’ego se mesure encore par la capacité à porter le feu nucléaire. C’est aussi un roman construit comme un blockbuster (ne voir ici aucune idée péjorative) d’une grande efficacité, mais qui porte également en germe un soupçon – petit – d’espoir. Un coup de cœur que j’ai détesté adorer.
Symphonie Atomique raconte tout d’abord une apocalypse lente, qui n’en finit pas, celle du dérèglement climatique qui s’est emballé sous l’effet de nombreuses rétroactions systémique ; ainsi qu’un apocalypse brutale, celle du feu atomique, capable de précipiter la première et de réduire à néant les vagues efforts et espoirs de l’humanité pour sa survie. Etienne Cunge, spécialiste de l’environnement réussit de manière simple et efficace à nous faire comprendre et imaginer ce qui pourrait advenir : perte de biodiversité, méga incendies, élévation du niveau de la mer… L’humanité vit désormais durant l’Ere de l’Effondrement (provoqué par une successions de Plaies, qui sont autant de grandes catastrophes) marquée d’une nouvelle année zéro. Humanité désunie car le monde est désormais quadripolaire : des Etats-Unis plus libéraux que jamais, une Chine totalitaire qui s’est étendue par ses Routes de la soie, une Russie autocratique redevenue impériale, et une Union Européenne convertie à l’écologie qui a décidé de réduire drastiquement, par tous les moyens, son empreinte carbone. Les instances multilatérales ont volé en éclat et l’équilibre de la terreur est de mise : les armes nucléaires sont désormais en orbite (je vous invite à étudier la couverture avec soin). Etienne Cunge distille son univers par petites touches, à la fois avec l’action du roman à proprement parler, mais aussi et surtout grâce à de savoureux – et angoissants – exergues intertextuels baptisés « radio collapse » qui sont de petits moments de (fin de) vie de témoins extérieurs à l’intrigue.
« Les prévisions les plus pessimistes des modèles climatiques du début du siècle n’arrivaient pas à la cheville de la réalité. Les cataclysmes se succédaient à un rythme effréné. Les scientifiques nommaient ces vagues les « marqueurs de l’effondrement ». Au nombre de cinq, ils portaient les doux noms de réchauffement climatique, désagrégation des écosystèmes, montée des eaux, incendies géants et, enfin, dernier en date : rupture du cycle de la matière organique. Le fondateur de la très apocalyptique secte des Témoins des Derniers Jours avait popularité, plus tard, un autre terme : les Plaies. Un vocable passé depuis dans le langage courant. »
Même si Symphonie atomique s’appuie sur des fondements scientifiques, l’auteur ne succombe pas aux sirènes de la hard-SF, lui préférant un récit qui n’oublie pas l’intrigue et l’action (ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit – explicitement – sur la hard SF). Etienne Cunge construit un récit choral qui met en scène trois protagonistes principaux (et deux antagonistes) et organisé par des chapitres d’une dizaine de pages, chacun d’entre eux se terminant souvent par un petit cliffhanger. Chaque personnage participe a une ambiance différente : huis clos spatial, enquête teintée de cyberpunk ou guerre révolutionnaire, autant de type de récits qui donnent envie de connaître les dénouements, et la manière dont tout va s’imbriquer. Enfin, les chapitres ont une heure et une date mais le prologue se déroule deux jours après le début de l’histoire à proprement parler : le lecteur se demande donc comment ce climax est atteint, et surtout comment cela peut se dénouer d’une manière à peu près positive. Cette maitrise formelle et le suspense d’une catastrophe annoncée font de Symphonie atomique un page turner redoutable.
« Cette marque à l’encre sous sa peau signifiait son appartenance au mouvement Fin de lignée, dont l’origine remontait aux premières années de l’Ere de l’Effondrement. Pour ses partisans, l’unique moyen de donner une chance à l’espèce d’échapper au cataclysme à venir consistait à réduire de façon drastique le nombre d’humain sur terre. Pour cela, ils faisaient le serment de ne pas engendrer de progéniture, de renoncer à cette liberté individuelle pour le bien commun. Les membres ne s’engageaient pas à la légère : ligature des trompes ou section des canaux spermatiques s’imposaient. Un rituel médical à l’issue duquel on tatouait ces deux lettres encerclées de verdure aux nouveaux venus dans cette communauté particulière. »
Au delà du divertissement, ces récits apocalyptiques me posent toujours la question de leur finalité, et en creux celle de l’intention de l’auteur. Avec de tels enjeux, et la volonté de susciter une prise de conscience, peut-on écrire un texte optimiste ? Mais un texte trop pessimiste ne risque-t-il pas de provoquer fatalisme – et une envie intense de brûler la chandelle par les deux bouts, tant qu’à faire – et de verser dans le cynisme crasse. Etienne Cunge s’en sort très bien. D’une part, il reste nuancé et montre que mêmes les solutions ne sont probablement qu’un pis aller, et qu’elles représenteraient d’énormes sacrifices ; le seul personnage qui manque, pour moi, un peu trop de nuance est Rob, allégorie des patrons des GAFAM et autre Tesla, à la vision messianique (les personnes présents à la leçon d’ouverture des Utopiales 2022 seront en terrain connu). D’autre part, et le géographe qui est en moi a apprécié, l’auteur s’interroge aussi sur l’échelle d’action appropriée : le récit met en scène des personnages là au bon – mauvais – moment mais aussi de puissantes organisations, Etats ou confédérations en tête. Je ne spoilerai pas mais j’ai apprécié la réponse d’Etienne Cunge, et c’est un des rares moments où il est peut-être un peu plus prescriptif.
Symphonie atomique est un roman profondément angoissant, par son contexte et son intrigue, qui ne vous lâchera pas. Il est un rappel nécessaire que, pour ne pas être prophétique, l’urgence est absolue. A mettre entre toutes les mains donc, de personnes influentes ou non, même si je doute malheureusement que les sceptiques vulgaires – l’un d’eux est présent presqu’à l’identique dans le roman – ne le lise un jour.
Vous aimerez si vous avez envie de déprimer davantage.
Les +
- Le titre ! (et son explication)
- Radio collapse
- Rythmé et addictif
- Un roman cathartique
Les –
- Un peu trop d’exposition pour expliquer les tenants et aboutissants
- Le personnage d’Agathe qui ressemble parfois à une facilité scénaristique
Retours choisis sur la Blogosphère : Un roman qui « vaut le détour » pour Chut maman lit ! ; « Captivant » pour le Maki.
Résumé éditeur
Vous êtes bien sur Radio Collapse. Si vous souhaitez survivre à l’apocalypse atomique et au monde de demain, ne zappez pas !
Fin du XXIe siècle. Le monde d’après n’en finit plus de s’effondrer. Mais une crise plus grande encore menace de signer la fin de l’humanité. L’équilibre de la terreur atomique se joue désormais dans l’espace et est tout entier entre les mains de quatre hyperpuissances : les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Europe devenue fédérale. Alors, lorsqu’une des stations orbitales chargées d’ogives nucléaires est visée par des tirs, le fil ténu de la paix est sur le point de se rompre. Juan, Agathe et Ashkat, que rien ne prédestinait à faire partie de la grande histoire, se retrouvent à la croisée des chemins, et peut-être bien pour le pire…
Symphonie atomique d’Etienne Cunge, Pocket (2023, première sortie Critic en 2021), 544 pages.

C’est bien ça : idéal pour achever sa dépression. Mais qu’est-ce que c’est bon !
Je vais bientôt me mettre au dernier paru chez Critic, Antarcticas. On verra si c’est du même tonneau.
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Faut-il confirmer sa dépression ou rendre dépressifs ceux qui ne le sont pas assez 😅
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Je me reconnais tout à fait dans ce que tu dis au début de ta chronique ainsi que dans le questionnement concernant l’alerte permanente et anxiogène face à ce qui nous attend. Mais où mettre le curseur pour exposer la réalité des faits auprès de nos jeunes sans étouffer dans l’œuf tout espoir et incitation à réagir ? Difficile au quotidien…
Bref , encore un livre que je vais mettre dans ma liste de lecture de solastalgique !
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Je compatis 😅
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Je rejoins tout à fait ton avis et merci pour le partage de lien 😉
Son nouveau roman sort ce mois-ci (même s’il est pas vraiment nouveau mais a été fortement remanié par rapport à la première version parue chez Rivière Blanche) je ne sais pas si mon anxiété va s’en remettre 😅
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Quadrature du cercle : à lire quand on va bien et saccager son moral… Ou quand on va mal et s’enfoncer dans l’abîme…
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Argh, ça a pas l’air mal, mais le côté angoisse climat, c’est pas possible pour moi en ce moment, tant pis !
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Je comprends 😅
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