C.A. Fletcher est scénariste et écrivain, connu essentiellement pour ses écrits jeunese. Le nom ne me disait rien, et je n’avais pas vu du tout vu passer les retours lors de la sortie en grand format. Mais un titre accrocheur, une couverture efficace et une quatrième de couverture bien écrite, comprendre qui appâte sans trop en dévoiler, sont autant d’éléments qui ont entrainé l’achat.
Le livre aurait peut-être végété quelques temps en PAL, même s’il avait vocation à entrer dans le défi 2022 (catégorie 1 « un animal joue un rôle important » – pour laquelle il pourrait compter triple voire plus), si Elwyn ne m’avait proposé de le lire en lecture croisée. Une belle réussite car nous avons tous les deux beaucoup aimé notre lecture – coup de cœur pour moi – et que Un gars et son chien à la fin du monde se prêtait parfaitement à l’exercice. Un univers post-apo intéressant (et bourré de références métatextuelles), une histoire parfaitement construite et rythmée, ainsi qu’une belle galerie de personnages, Griz et sa quête initiatique en tête.
Bien souvent, les récits d’apocalypse sont profondément pessimistes, ou du moins déprimants. Entre les causes que l’on pourrait éviter et qui nous promettent cette fin du monde – l’actualité n’aide pas – ou la description des vestiges de l’humanité où toute trace d’humanité a disparu, la SF joue à plein son rôle de lanceuse d’alerte. Néanmoins, comme le montre par exemple le manga Les promeneuses de l’apocalypse, d’autres manières d’utiliser ces contextes semblent possibles. Un gars et son chien à la fin du monde fait le choix d’un apocalypse sans explosion, sans catastrophe brutale, sans effets spéciaux ; C.A. Fletcher nous raconte le monde après la Castration, quand l’humanité est devenue presque totalement stérile – les raisons restent inconnues – puis réduite à quelques milliers d’individus, la dernière génération née s’étant éteinte naturellement ou presque. Griz et sa famille habitent sur une petite île où ils arrivent à survivre, chichement mais sans se battre au quotidien pour leur survie, en explorant parfois des zones proches et accessibles en bateau. Outre les objets nécessaires du quotidien, comme les médicaments ou la nourriture, Griz voue une passion intense pour les livres, et surtout les romans de SF, au grand dam de son père qui préfère les manuels techniques et utilitaires. Un gars et son chien à la fin du monde a donc une dimension souvent métatextuelle, où le narrateur évoque les différents récits postapocalyptiques (Un cantique pour Leibowitz, La route… – que je n’ai pas lus) et s’amuse à les classer ou à les comparer à sa propre situation.
« Une apocalypse molle, même si ceux qui l’ont vécue l’ont trouvée dure. Elle a eu lieu, et nous – ses ultimes vestiges toujours plus rares -, nous voilà seuls, coincés ici. »
Si la quatrième de couverture était alléchante, j’avais un soupçon d’appréhension quant à l’histoire. Une course poursuite dans un monde en ruine et désert, sans moyens technologiques ou de transport rapide, à fortiori quand le narrateur est très jeune, peut vite enchainer incohérences et deus ex machina ; pourtant, C. A. Fletcher évite tous les pièges qu’il se tend lui-même. Griz est jeune, le voleur de son chien bien plus expérimenté et dangereux, ce qui rend la retrouvaille très risquée, et même non souhaitable. Notre jeune personnage se questionne d’ailleurs énormément sur ce qu’il fera quand il retrouvera le voleur, entre capacité à récupérer son chien, voire à blesser ou tuer. Mais l’auteur est astucieux et tout s’enchaîne avec une très grande crédibilité, expliquée par la rigueur de la construction : le jeu de piste fonctionne et crée de la tension, d’autant plus que l’on sait que Griz survit – à minima – puisqu’il nous raconte son histoire. Le monde se déploie devant nous, entre vestiges des sociétés anciennes, qu’il étudie avec curiosité, parfois envie mais aussi regard critique. Le road movie fonctionne aux grès des dangers et des rencontres. Surtout, l’auteur n’oublie jamais le contexte qu’il a inventé et n’hésite à nous gratifier de moments intenses de suspense et de beaux rebondissements qui donnent le l’ampleur à l’histoire.
« Cette photo, c’était clairement une relique. Tu avais eu de l’importance pour quelqu’un, même si tu n’étais que toi. Je t’ai trouvé sous la table de snooker. Puisque c’était bizarre et secret, cette découverte, et qu’une photo est un tout petit objet, je t’ai pris sans que personne le sache et maintenant tu vis entre les pages du carnet où j’écris tout ça ; et jusqu’à ce que quelqu’un le lise, j’imagine que tu vas rester un secret. »
On croise logiquement assez peu de personnages dans Un gars et son chien à la fin du monde, mais toutes et tous sont mémorables. L’auteur leur donne des motivations claires et les inscrits dans ce contexte post-apo sans humains ou presque et n’oublie pas que chaque rencontre doit donc être importante : ils servent l’histoire et ont une histoire. Il y a par exemple John, qui a sûrement représenté un effort conséquent de traduction, ou l’antagoniste principal que l’on apprend à aimer détester… Et bien sûr Griz, dont on admire la capacité à se lancer tête baissée dans l’inconnu pour retrouver son chien, mais aussi probablement pour céder à l’appel de l’aventure. Si on peut regretter sa capacité à commettre des erreurs, imputées largement à son jeune âge, le récit devient de plus en plus initiatique quand il rencontre d’autres personnes, cette altérité lui permet de mieux se connaitre, et la découverte du monde – enfin, d’une petite partie. Le choix d’une narration à la première personne est logique et favorise l’immersion, elle-même accentuée par le discours de Griz, qui parle à une lectrice imaginaire, habitante du monde d’avant, dont il a retrouvé la photo.
Par petites touches, Un gars et son chien à la fin du monde devient un excellent roman. Le contexte est fascinant, les personnages complexes et attachants, le rythme soutenu et les rebondissements nombreux. Plus on avance, plus les pages se tournent rapidement. Pendant le temps d’un livre, vous vivrez à la fin du monde, mais cela sera supportable grâce à Griz et ses chiens.
Vous aimerez si vous aimez post-apo initiatique
Les +
- Le sens du rythme et impossible à lâcher à la fin
- Maitrisé et pensé de bout en bout
- De beaux personnages, animaux compris
- Une traduction qui n’a pas été toujours facile
Les –
- L’évolution de Criz, peut-être un peu lente
Retours choisis sur la Blogosphère : Lilly évoque « une bien belle histoire » ; Elwyn, qui l’a lu en même temps que moi, a beaucoup aimé aussi (et a été vigilante pour ne pas spoiler).
Résumé éditeur
Griz vit avec sa famille et ses chiens sur une île au large de l’Écosse. Ses premiers voisins sont à trois îles de là, et les suivants… si loin que ce ne sont sans doute plus des voisins. En fait, si Griz additionnait toutes les personnes croisées au cours de son existence, on pourrait à peine former une équipe de football. Car, une génération après la Castration, la Terre compte moins de dix mille habitants. Et pas beaucoup de chiens.
Alors, quand on lui vole un des siens, son sang ne fait qu’un tour.
Ainsi débute l’épopée de Griz au cœur des vestiges de notre civilisation laissée à l’abandon, avec pour seuls compagnons son autre chien, son journal et la nostalgie d’un monde entraperçu au travers des livres trouvés sur son chemin.
Un gars et son chien à la fin du monde de C.A. Fletcher, traduction de Pierre-Paul Durastanti, aux éditions J’ai lu (2022, première sortie Nouveaux millénaires en 2020, sortie VO en 2019), 384 pages.

Merci pour ce retour. un auteur totalement inconnu pour moi, j’ai hâte de le découvrir maintenant
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Ça vaut le coup 😉
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Le post-apo n’est pas vraiment un genre qui m’attire mais si la construction des persos est aussi excellente et les rebondissements bons, je vais peut-être tentée de le placer dans ma liste de Noël ^^ qui augmente régulièrement…..
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