Je suis toujours fasciné par la capacité des autrices et auteurs de manga d’élaborer des synopsis originaux, puis de tenir le rythme sur le long terme – surtout au regard des cadences qui leur sont imposées – et de traiter un sujet dans toutes ses dimensions. Les promeneuses de l’apocalypse, dont le premier tome est sorti en juillet 2022, correspond à cette fascination et à ces idées qui provoquent immanquablement chez moi un « WTF ! », silencieux ou non, et qui aboutit à une excellente surprise.
Le titre porte parfaitement son nom et souligne l’ambiguïté volontaire de ce manga, qui trouve un subtil équilibre entre légèreté avec ses personnages lumineux et gravité sur fond d’apocalypse tragique.
L’histoire se déroule au Japon, après une apocalypse qui s’est déroulée dans un futur relativement proche. La géographie, la culture ou encore les véhicules pourraient correspondre à ceux du XXIe siècle mais l’humanité savaient produire des cyborgs (des humains plus ou moins partiellement remplacés par des composants cybernétiques) ainsi que des robots très avancés. Sans spoiler, l’une des deux héroïnes est justement l’un d’eux et capable de performances assez… impressionnantes ; la SF japonaise s’affranchit assez difficilement du thème robotique. Quant à l’apocalypse elle-même, l’auteur n’en révèle pas grand chose : l’humanité parait être quasiment éteinte et s’est réfugiée dans des abris, la nature a repris ses droits, sous le sceau du gigantisme provoqué par les radiations, le niveau de la mer a monté et de nombreux vestiges qui de l’ampleur de la dévastation, comme un sous-marin en pleine rue. Cause climatique ou militaire ? Les deux voire autre chose ? C’est dans ce décor qu’évoluent les deux héroïnes, en véritables pélerines, avec l’envie de redécouvrir les lieux les plus symboliques du Japon.

Le récit de SF post-apo est un grand classique et tourne souvent autour de la survie, de la recherche des causes de l’apocalypse ou de la volonté de reconstruire une société. Le mangaka reprend de façon très légère ses thèmes mais ils ne sont pas centraux. La survie est bien sûr un enjeu, toutefois nos deux héroïnes se comportent comme des campeuses itinérantes et ont suffisamment de ressource(s) – oui, il y a bien une canne à pêche sur la couverture – pour dénicher leur pain quotidien, à la méthode chasseuses cueilleuses ou en dénichant des produits (très)transformés qui ont résisté à la fin du monde (si vous achetez un jour des snacks japonais, ne regardez PAS leur composition). Il y a bien sûr des péripéties entre nature hostile, pannes, ou autres IA déréglées afin de faire un peu frissonner la lectrice ou le lecteur et ainsi éviter de conclure qu’une apocalypse peut être une bonne chose. Néanmoins nos deux héroïnes sont solaires, ont quasiment toujours la banane et sont désireuses d’aller de l’avant, sans regretter leur choix. Les scènes où elles s’amusent et s’émerveillent devant leurs découvertes alternent avec les obstacles et donnent à l’ensemble une très belle ambiance feel-good. Et arriver à associer apocalypse à feel-good est tout de même une jolie performance ; rebâtir une société ou découvrir les causes de la fin du monde seraient des objectifs finalement bien plus plombant.

Sakae Saito est aussi à l’aise avec son histoire qu’avec les dessins. Un manga sur le thème du voyage, et encore plus quand les personnages se promènent et cherchent des paysages précis, nécessite une quantité de travail phénoménale, entre documentation et exécution des planches. Et le mangaka est généreux en nous proposant de superbes et vastes cases où le Japon est à l’honneur, il a à cœur de nous faire visiter ses lieux emblématiques. Le trait est particulièrement soigné, pour tous les éléments, personnages, décors évidemment, et aussi les véhicules. Il explique d’ailleurs dans les pages de fin de chapitre l’amour qu’il porte à la moto qu’utilisent les héroïnes (version électrique of course) pour avoir lui-même fait des road trip avec ce modèle ; elle est une sorte de troisième personnage et apparait sur de nombreuses pages. Le premier chapitre, avec un char d’assaut devenu fou, est clairement un petit plaisir de l’auteur. Enfin, il propose un découpage toujours réussi, avec des cadrages parfaitement adaptés à son intention, qu’il s’agisse de mettre en scène action ou contemplation.
Avec Les promeneuses de l’apocalypse, Sakae Saito écrit et dessine un manga qui lui ressemble, où il se fait plaisir, mais qui fonctionne parfaitement, tout en montrant que les idées les plus incongrues sont (parfois) les meilleures. J’ajoute que le tome 2 est déjà sorti, et que la qualité se maintient.
Résumé éditeur
Elles visitent les endroits les plus célèbres du Japon avec leur moto tout terrain. Admirer le mont Fuji depuis Hakone, pêcher sur le pont de la baie de Yokohama, sans oublier d’aller au Tokyo Big Sight. Voilà le voyage qui attend nos deux jeunes filles à moto. Hélas, le monde s’est effondré…
Les promeneuses de l’apocalypse Tome 1 de Sakae Saito, traduit par Marylou Leclerc, aux éditions Akata (2022, VO de 2021), 200 pages.

Quel joli article !
Je suis d’accord avec toi sur la capacité des mangakas à nous embarquer avec des sujets totalement inattendus.
Ici, j’ai adoré la surprise et le voyage du premier tome. J’ai déjà trouvé le deuxième un peu plus plan plan et moins innovant. Ce n’est pas facile de tenir avec un tel sujet. Il va falloir soir des lieux connus, soit des rencontres/échanges d’une façon ou d’une autre, pour ma part, pour que je tienne.
Mais j’aime cette ambiance à la Aria / Escale à Yokohama 🙂
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Merci ! Chronique très facile à écrire, tant l’intention de l’auteur est claire. Et j’ai beaucoup aimé le 2e aussi, et je suis hypé par le cliffhanger final ^^’
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Le post-apo n’est clairement pas le genre que je préfère mais je ne dis jamais non à une bonne surprise, surtout quand c’est du post-apo ‘différent’. Tu confirmes complètement que cette série pourrait avoir sa place dans cette catégorie, je tenterai à l’occasion (et doigts croisés pour que ça se maintienne sur la durée).
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Le titre mérite pour moi qu’on lui donne sa chance 🙂
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