Chronique – Le magicien quantique, Derek Künsken

Depuis 2017, la collection Albin Michel Imaginaire est devenue une référence dans l’édition de l’imaginaire en France, même si les titres ne rencontrent pas toujours le succès mérité ; les textes proposés sont souvent assez ambitieux mais n’oublient pas aventures et Sense of wonder. Cependant, comme le nom l’indique, Mondes de poche a été créé pour mettre en avant les publications en petit format. Aussi, je guette les titres qui sortent chez AMI et j’attends, parfois avec impatience, voire désespoir, l’achat des droits par d’autres maisons d’éditions, et assez souvent par Le livre de poche imaginaire (le seul « grand » pochiste avec lequel je n’ai pas de partenariat). La règle est à nouveau confirmée avec la sortie du Magicien quantique, en même que temps que sa suite, Le Jardin quantique, en grand format. D’ailleurs, nul besoin de se précipiter sur la suite : l’histoire de ce premier volume se termine.

Lors de la sortie de ce tome, les lecteurs évoquaient un « Ocean Eleven dans l’espace ». C’est en effet un bon résumé : c’est bien une histoire de casse, mais dans univers qui lorgne vers la hard SF.

Il s’agit de mon premier retour dans le cadre du Summer SW 2022 !

Le lecteur (ou spectateur) de SF est en terrain connu avec Le magicien quantique : l’humanité a essaimée dans l’univers grâce à des trous de ver qu’elle a découvert (et donc qu’elle n’a pas construit). Elle a depuis acquis la technologie pour en matérialiser d’autres, de manière temporaire, mais les plus anciens sont devenus des carrefours stratégiques et par conséquent des enjeux pour les différentes « nations ». L’univers est esquissé à grands traits : pas d’aliens, les grandes nations ou civilisations de la Terre l’ont quitté et ont reproduit plus ou moins – du moins au début – cette géopolitique dans l’espace, et aucune information n’est donnée sur l’origine des trous de ver. C’est d’ailleurs l’un d’entre eux qui est le déclencheur de l’intrigue : l’Union subsaharienne souhaite faire passer une flotte de vaisseaux, très spéciaux, à travers un trou de ver sous juridiction ennemie, et ainsi franchir une étape décisive vers l’émancipation.

« Le cerveau des Homo quantus était le fruit de travaux poursuivis sue onze générations pour en développer les aptitudes tant mathématiques que géométriques, et pour le doter d’une mémoire eidétique. Cela avait suffi à produire des enfants capables de prouesses mentales remarquables, mais pour affronter les problèmes conceptuels les plus complexes du cosmos, il fallait davantage aux Homo quantus.
Chacun d’eux disposait, placées sous les côtes et conçues à partir d’ADN de poisson électrique, de piles de muscules appelées électroplaques qui se comportaient comme des batteries. Belisarius en fit sortir un microcourant polarisé et continu pour alimenter le lobe temporal gauche de son cerveau, zone associée aux informations sensorielles et au langage. »

Dans ce futur, l’humanité a énormément évolué – je n’ose employer le terme « progressé » – et toutes les sciences « bio-quelque chose » ont permis de transcender l’humanité. Belisarius, le personnage principal, est un de ces post-humains, appartenant quasiment à une nouvelle espèce, ou étape – provoquée – de l’évolution en tant qu’homo quantus. À minima, c’est un individu extrêmement intelligent, ou plutôt calculateur, aux sens exacerbés, notamment pour tout ce qui est lié aux champs magnétiques. Il est également capable d’entrer en fugue quantique, un état où l’individu disparait pour atteindre un niveau de perception d’échelle cosmique. L’auteur utilise ici, ainsi que durant les passages liés aux voyages et vaisseaux, des éléments de hard SF mais il n’est indispensable de tout comprendre : les lecteurs comme moi utiliseront l’emploi du qualificatif « magicien ». Belisarius fonctionne finalement un peu comme certaines personnes qualifiés de « haut potentiel » : il est peu à l’aise en société et s’ennuie vite. Il a besoin d’énigmes et de challenges à la hauteur de ses capacités, avec le petit shot bonus d’adrénaline lié aux risques, et a dès lors entamé une lucrative carrière d’escroc et de casseur. Aussi, la mission impossible (j’assume, comme l’auteur), ainsi que la technologie utilisée par la flotte à faire passer, ne peut qu’éveiller sa curiosité et le sortir de sa toute récente routine.

« Un escroc du nom de Gander lui avait autrefois enseigné qu’il n’existait pas plus de trois paris.
Parfois, on joue en se basant sur les cartes.
Parfois, on joue en se basant sur le joueur.
Parfois, on se contente de lancer les dés. »

Derek Künsken avait tout le spectre offert par la SF pour son récit, et finalement écrire un « simple » casse dans le futur, ce qui aurait déjà été intéressant. L’auteur décide pourtant de faire preuve d’originalité et de ne pas se contenter d’une simple aventure. La planète où l’essentiel de l’action se déroule est peuplé de Fantoches, post-humains également, mais eux ont été modifiés pour vénérer sans réserve leurs créateurs ; quoi que ces derniers leur fassent, ils en retirent une extase religieuse. J’en profite pour alerter quiconque a l’intention de lire Le magicien quantique : les passages liés aux Fantoches sont parfois à la limite du supportable (dans tous les sens du terme). L’équipe composée par Belisarius comporte également un post-humain, en la personne de Stills, qui appartient à une lignée modifiée pour les profondeurs extrêmes et dont le physique, ainsi que partiellement la psychologie, n’a plus grand chose d’humain. Ces mondes et personnages permettent de questionner, comme dans tout récit post/transhumaniste, la notion d’humanité. Quels sont les éléments physiques ou mentaux qui font de nous des êtres humains ? La réflexion est encore appuyée par le personnage de Saint Mathieu, IA qui a… la foi. Au-delà, cela interroge l’éthique et la pertinence de modifier l’Homme a des fins plus ou moins vertueuses. L’auteur fourmille d’idées et la composition de l’équipe est un moment très séduisant. Je regrette toutefois de n’avoir que très peu le point de vue des victimes du casse, ce qui fait qu’il est parfois difficile de bien comprendre l’intérêt de tous les rouages du plan, d’autant plus que ce qui est esquissé est intéressant ; finalement, la possibilité d’un échec n’est peut-être pas assez importante (la faute à un héros parfois un brin Gary Sue).

Le magicien quantique est un roman très recommandable qui associe tous les éléments d’un récit rythmé et distrayant, mais n’oublie pas non plus de poser des questions bien plus profondes.

Vous aimerez si vous aimez les histoires de casse et les bidules quantiques.

Les +

  • Un belle galerie de personnages
  • La réflexion sur les « post humains »
  • Une couverture d’un Manchu en grande forme

Les –

  • Des descriptions parfois difficile à visualiser
  • Un brin de « ta gueule c’est quantique »

Le magicien quantique sur la blogosphère : Le chroniqueur recommande aussi, Célindanaé a aimé aussi mais pointe l’aspect parfois trop scientifique.

Résumé éditeur

Belisarius Arjona est un homme quantique, capable de transformer la probabilité en réalité. Ses pairs ont été créés pour pousser les capacités cognitives de l’humain à un niveau extrême. Toujours sur le fil, Belisarius a trouvé un équilibre précaire en tant qu’escroc. Et quand un client lui offre une fortune pour déplacer une flotte de vaisseaux de guerre à travers un « trou de ver » ennemi, il accepte la mission. Il se met alors en quête d’un équipage composé de post-humains comme lui, mais aussi d’une intelligence artificielle surpuissante répondant au doux nom de saint Mathieu. Belisarius et ses complices réussiront-ils leur mission, au risque de déclencher une guerre interstellaire ?

Le magicien quantique de Derek Künsken, traduction de Gilles Goullet, couverture de Manchu, aux éditions Le livre de poche (2022, première édition française chez Albin Michel Imaginaire en 2020, parution VO en 2018, p), 576 pages.

7 commentaires sur “Chronique – Le magicien quantique, Derek Künsken

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  1. Contente que la découverte t’ait plu. J’avoue avoir moi aussi eu certaines difficultés avec certaines descriptions et sur la vision d’ensemble. Mais l’ensemble m’avait plu et le tome z est encore mieux 😊

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