Chronique – L’homme tombé du ciel, Walter Tevis

Quand, au détour d’une conversation, on évoque les auteurs « classiques » de l’imaginaire et plus précisément de SF, il est assez peu probable que le nom de Walter Tevis soit cité en priorité. Nous lui devons pourtant l’excellente dystopie L’oiseau moqueur, ainsi que Le jeu de la dame, adapté en série avec succès par Netflix. Cette dernière aura donc au moins eu le mérite de remettre cet auteur peu prolifique sous le feu des projecteurs, avec notamment les rééditions de ces romans par l’éditeur Gallmeister, au sein de la collection Totem. Notons d’ailleurs que rien sur la couverture ne classe le livre dans le genre SF).

Le titre, ainsi que ladite couverture, sont assez évocateurs. Walter Tevis nous livre un touchant récit de premier contact qui évoque pêle-mêle la solitude et l’altérité. C’est aussi et surtout un récit de son temps – il est écrit en 1963 -, tant sur le fond que sur la forme

Le thème du premier contact est un de mes sujets favoris en science-fiction et L’homme tombé du ciel me paraît être une étape significative dans son évolution. Il ne s’agit d’un premier contact où l’Homme explore l’espace et une nouvelle planète, mais bien d’une forme d’invasion de notre monde… sans guerre. Newton est envoyé par les quelques survivants de son peuple pour préparer leur arrivée future, ultime chance de survie. En effet, son monde natal est agonisant et les rares ressources qui étaient encore disponibles ont été mobilisées pour cet aller simple. Charge à lui ensuite de s’adapter, puis d’obtenir l’influence et les ressources nécessaires pour permettre l’exode du reste de son peuple. Pour cela, il peut compter sur l’avance scientifique de son monde natal et les technologies qu’il peut monnayer. Néanmoins, même si l’auteur reste allusif, il semblerait qu’il ne s’agisse pas réellement d’un premier contact car l’espère humaine et les Anthéens sont apparentés, ce qui explique le relatif anthropomorphisme de Newton.

« Et tout à coup, en regardant à nouveau la pièce, ses discrets murs gris et ses meubles vulgaires, il se sentit dégoûté, fatigué de cet endroit sordide et étranger, de cette culture bruyante, rauque, sensuelle et sans racines, de cet agglomérat de primates habiles, susceptibles et narcissiques – qui restaient vulgaires et indifférents alors même que leur piètre civilisation était en train, comme le pont de Londres et tous les autres ponts, de s’effondrer, s’effondrer, s’effondrer. »

Newton est un personnage tragique, profondément mélancolique. Il porte le destin d’une civilisation – littéralement – sur ses épaules et a été envoyé sur Terre car il est le plus capable d’accomplir sa tâche. Dès le début, sa position est ambiguë : l’accomplissement du plan nécessite des contacts avec l’humanité, plus précisément avec des individus influents. Sans possibilité de communiquer avec les siens, il est seul au sein d’un univers potentiellement hostile, au moins physiquement en raison de la gravité plus importante sur la planète bleue. Le titre n’est pas anodin : Newton est tombé, comme l’ange qui chuta ou la pomme qui terminera au pied de l’arbre. Il apparait assez rapidement qu’il n’a pas l’âme d’un envahisseur quand il se prend d’affection pour les humains, au fur et à mesure où le mépris qu’il éprouvait vis à vis d’eux s’étiole. Le hasard des péripéties débouche sur des rencontres et il finit par tisser des liens avec des terriens aussi solitaires que lui, fascinés par son étrangeté. Le vice de l’alcool – en lien avec l’auteur lui-même ? – est à la fois une pratique qui facilite le contact puis qui finit par l’isoler davantage. Petit à petit, il se met en danger, à la fois pour avoir l’impression de (re)vivre, mais aussi dans l’espoir, teinté de d’angoisses, d’être démasqué et pouvoir de nouveau assumer qui il est réellement.

« Les Anthéens n’ignoraient pas l’alcool, bien que le sucre et les graisses eussent un rôle très mineur dans l’écologie de cet univers. Il existait une baie sucrée avec laquelle on faisait parfois une sorte de vin très léger. L’alcool pur pouvait naturellement être fabriqué artificiellement, et en de très rares occasions il pouvait arriver à un Anthéen d’être ivre. Mais le fait de boire régulièrement n’existait pas ; on n’avait jamais entendu parler d’un Anthéen alcoolique. De toute sa vie, Newton n’avait jamais connu aucun Anthéen qui bût autant que lui, sur la Terre, buvait – tous les jours maintenant, et de plus en plus. »

Car Newton est finalement un espion qui travaille pour une puissance étrangère, puis finit par être séduit, au moins partiellement, par la culture qu’il observe. La Terre ressemble énormément à son monde d’origine et il réalise avec fatalisme que son avenir pourrait bien être identique. D’ailleurs, l’Anthéen a pour monnaie d’échange d’importantes percées scientifiques qui pourraient être exploitées pour servir les intérêts des Etats-Unis dans un contexte de Guerre Froide. L’ombre de cette dernière plane tout au long du récit. Cette date d’écriture est aussi pour moi un point faible du roman : l’écriture (la traduction ?) me parait bien datée, avec un style sec, avare en figures de style. Surtout, les réactions des personnages sont assez souvent surprenantes, avec des rapports sociaux toujours très policés. Je ne suis pas tout à fait convaincu qu’un premier contact se passe si « bien » que ça, sans violence, quand on voit comment ils se terminent sur Terre.

Vous aimerez si le thème du premier contact, et ce qu’il nous dit sur le monde des années 60, vous intéresse.

Les +

  • Le personnage de Newton, très attachant
  • Un premier contact qui change d’une approche nécessairement guerrière
  • Une couverture qui met dans l’ambiance

Les –

  • Quand même un peu vieillot
  • Déprimant

L’homme tombé du ciel sur la blogosphère : TmbM a été marqué par le désespoir qui transpire et conseille de le lire pour déprimer ; Le Maki relève la solitude et conseille de le lire pour déprimer.

Résumé éditeur

Débarquant sur Terre en provenance d’un monde mourant, Newton est chargé d’une mission vitale, longuement préparée. Une série de brevets inspirés par la haute technologie de sa planète d’origine lui permet d’atteindre rapidement son premier objectif : amasser une immense fortune. Mais, obligé de vivre caché, mal adapté à la chaleur et à la forte gravité de la Terre, il souffre bientôt d’un mal-être existentiel bien humain. Plus grave encore, en dépit de sa prudence et de son camouflage, il commence à susciter un peu trop de curiosité. Que veut donc ce milliardaire fantasque et mystérieux ? La situation devient vite inconfortable, car si les humains sont moins avancés que le peuple de Newton, ils sont aussi plus dangereux.

L’homme tombé du ciel de Walter Tevis, traduit par Nicole Tisserand, Illustration de couverture par Alexander Wells, aux éditions Gallmeister collection Totem (présente édition de 2022, première édition VF en 1973, parution VO en 1963), 288 pages.

6 commentaires sur “Chronique – L’homme tombé du ciel, Walter Tevis

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  1. « Notons d’ailleurs que rien sur la couverture ne classe le livre dans le genre SF » : hormis le fait qu’il y a un homme qui tombe du ciel tu veux dire ? =P
    Normalement ça devrait me faire fuir, mais pour Walter Tevis j’accepterai de déprimer. ^^

    Aimé par 1 personne

  2. Gallmeister ,comme d’autres, a peur de l’étiquette sf,c’est fatigant ce manque de clarté de peur de faire fuir son lectorat et pourtant sf et « polar » sont très proches en tant que « mauvais genres »

    Aimé par 1 personne

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