Chronique – Le Moineau de Dieu, Mary Doria Russell

Le Moineau de Dieu de Mary Doria Russell

Parfois, un livre atterrit dans vos mains plus ou moins par hasard, végète un peu dans la PAL, mais finit par devenir un coup de cœur. Le Moineau de Dieu est, livre qui m’a été offert par Anne-Laure (de Chut maman lit !) car elle sait que j’affectionne les histoires de first contact, est dans ce cas. Et à fortiori, une histoire de premier contact mené par des jésuites ne pouvait que titiller ma fibre historique.

Comme je n’en avais jamais entendu parlé, j’étais persuadé qu’il s’agissait d’une « nouveauté », jusqu’à découvrir les nombreux prix qu’il a obtenu en 1997 et 1998. Les attentes commençaient donc à devenir élevées, surtout quand Steph (de Outrelivres) m’indique que le livre me plaira probablement et qu’il est chargé d’émotions.

Le Moineau de Dieu est tout ça : un livre de low SF, avec de très beaux personnages, et qui s’interroge surtout sur le dessein divin…

Le Moineau de Dieu est bien un roman de SF. Il lorgne sur le planet opera avec sa description précise de la planète Rakhat, faune et flore comprises, et surtout de sa civilisation alien. La manière dont le premier contact, d’abord un signal, est découvert puis décrypté est racontée en détail, en lien avec le programme SETI. Toutefois, il ne s’agit pas d’un roman de Hard SF, presque au contraire même. L’autrice a choisi de se concentrer sur ce qui l’intéressait vraiment et de passer outre sur les aspects scientifiques ou une volonté d’être de dépayser totalement. Par exemple, les aliens, même s’ils sont différents des humains, restent relativement anthropomorphes, avec un système biologique proche, et des langues qu’il est possible d’apprendre (vous ne retrouverez pas la complexité d’un Ted Chiang). La planète Rakhat est respirable et capable de sustenter l’expédition, malgré quelques désagréments digestifs. Pour un fan de SF technique (et même crédible), c’est surtout le voyage spatial entre la Terre et Rakhat qui demandera une nette suspension de l’incrédulité. Il faut expliquer comment les jésuites arrivent à organiser ça vite, avec peu de moyens, et surtout à effectuer ce voyage en seulement quelques années (ce n’est pas Baxter ou Reynolds aux manettes). Je préfère prévenir, certains aspects mettront en PLS les fans de SF très rigoureuse sur l’aspect science.

« Il fallut des années aux Nations Unies pour parvenir à une décision que la Compagnie de Jésus pris en dix jours. À New York, les diplomates multiplièrent les débats acharnés, ponctués d’innombrables suspensions et ajournements, afin de savoir s’il fallait consacrer des ressources humaines à une éventuelle prise de contact avec le monde que l’on connaitrait ensuite sous le nom de Rakhat, alors qu’il y avait sur Terre tant de besoins pressants, et pourquoi. À Rome, les questions que l’on se posa n’étaient pas si et pourquoi, mais dans quel délai la mission pourrait être tentée et qui envoyer. »

Mary Doria Russell s’intéresse par contre énormément à ses personnages, qu’elle aime et nous fait aimer. Ce n’est pas pour rien que le roman dépasse les 750 pages, sans compter la postface (très intéressante) alors qu’il ne s’agit pas d’un roman choral. Chaque protagoniste est présenté avec beaucoup d’attention et d’affection. Il y a Jeanne et George Edwards, athées mais toujours prêts à aider leur prochain, doyens de l’équipage dont ils sont les deux piliers. Jimmy Quinn qui travaille pour le projet SETI, débrouillard et plein de vie. La mystérieuse, brillante et sublime Sofia Mendes, au passé tourmenté, qui devient de plus en plus attachante quand on découvre son passé et ses motivations. Et puis Emilio Sandoz, le jésuite, linguiste surdoué, tourmenté mais gouailleur, beau comme un dieu et qui est l’âme de cette petite famille. Car c’est une famille que l’autrice nous présente. Les liens se tissent, se renforcent, entre amitié, amour et sens du devoir. Le lecteur rit et pleure avec eux. Une mention spéciale pour Jeanne, personnage lumineux et parfaitement écrit.

« Allongé dans son lit, par cette chaude nuit du mois d’août, il ne sentait aucune Présence avec un grand P. Il n’entendait aucune voix. Il se sentait aussi seul que d’habitude en plein milieu du cosmos. Mais il avait de plus en plus de mal à éviter de se dire que si jamais quelqu’un avait eu envie d’un signe de Dieu, Emilio Sandoz en avait reçu un en plein poire ce matin-là, à l’observatoire d’Arecibo. »

L’autrice ne choisit pas de minimiser les aspects les plus scientifiques, d’insister sur les relations humaines et d’inventer une mission jésuite sans raisons. Le récit déroule deux fils temporels : le « présent » du livre (en 2059), où Sandoz, revenu sur Terre, raconte la mission ; le passé où les personnages se rencontrent, tissent leurs liens, découvrent l’existence d’une planète de chanteurs puis partent pour l’expédition. Dès le début, et dès la lecture de la quatrième de couverture, le lecteur sait qu’elle s’est très mal passée. Euphémisme. Sandoz est revenu seul, affreusement mutilé et brisé psychologiquement. Les chapitres du passé sont donc davantage chargés émotionnellement : les personnages vivent, ont des projets, Sandoz semble solide et est volontiers volubile. Chaque page tournée rapproche le lecteur d’une issue qu’il sait tragique mais espère différente. On souffre avec ce prêtre jésuite, qui n’ose pas admettre que Dieu pourrait l’avoir choisi – est-il un martyr voire un saint ? – car les coïncidences se multiplient, incarnations pures du deus ex machina. En faire une œuvre de SF, en écho avec l’histoire des jésuites et leurs missions en Amérique notamment, permet de mettre certains éléments à distance (transposer le même roman avec des peuples amérindiens ou africains serait totalement contre-productif) tout en augmentant la portée du texte. La question de l’existence de Dieu, et surtout des dogmes, serait bien évidemment bouleversée par la découverte d’une vie extra-terrestre. D’une idée d’abord incongrue, finalement totalement pertinente, Mary Doria Russell tire un grand et beau livre.

Vous aimerez si l’articulation SF et religion vous parle et que vous n’avez pas peur de verser votre larme.

Les +

  • L’idée de base, tellement évidente et pourtant…
  • Les personnages, tous !
  • Chargé en émotions
  • L’intelligence de l’autrice quant au traitement de la foi, tout en subtilité et nuances

Les –

  • Des aspects SF quand même bien aux fraises
  • Une couverture assez moyenne

Le moineau de Dieu sur la blogosphère : Xapur a trouvé ça intéressant en dépit de quelques longueurs, Steph a aimé autant que moi (donc beaucoup).

Résumé éditeur

2019, un signal musical est capté par la Terre. Pendant que l’ONU palabre sans fin, la Compagnie de Jésus a déjà trouvé les financements et mis sur pied son expédition. À son bord, des athées et des jésuites, dont Emilio Sandoz, jeune prêtre et brillant linguiste, pour un voyage d’exploration vers la planète Rakhat et ses habitants.
2059, Emilio Sandoz, mutique, les mains mutilées et marqué du sceau de l’infamie, est le seul rescapé de la mission. Sur Rakhat, il aurait tué et se serait prostitué. Qu’a-t-il donc pu se passer pour que la mission tourne si mal ?

Le Moineau de Dieu de Mary Doria Russel, traduit par Béatrice Vierne, aux éditions Pocket (présente édition de 2019, première édition VF en 1998, parution VO en 1996), 800 pages.

Prix John-Wood-Campbell Memorial 1997, prix British Science Fiction du meilleur roman 1997, prix Arthur-C.-Clarke 1998, prix Otherwise 1998.

8 commentaires sur “Chronique – Le Moineau de Dieu, Mary Doria Russell

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  1. Je ne sais pas si c’est un livre que je lirai, mais j’ai en tous cas beaucoup apprécié lire ta chronique. L’affection et l’appréciation de ta lecture se retrouve dans tous les mots et ça fait plaisir à lire !

    Aimé par 1 personne

  2. Je suis contente que le livre t’ait autant plu ! J’avoue que j’hésitais à le lire, je ne sais pas si ce genre de livre est pour moi…
    En tout cas concernant la couv’, ActuSF vient de sortir une belle version collector en hard cover ^^

    Aimé par 1 personne

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