Chronique – After Atlas, Emma Newman

Il y a un an et demi, je vous parlais d’un coup de cœur, PlanetFall d’Emma Newman, planet opera aux personnages torturés. Sur les réseaux sociaux et dans les commentaires, beaucoup (dont Vert et le Maki) m’ont encouragé à lire la suite en me promettant que ça serait encore meilleur et que l’histoire était indépendante. Je mettais en avant chez Emma Newman une rigueur dans la narration et un talent pour construire ses protagonistes ; les attentes pour After Atlas étaient donc élevées : retrouver une autrice dont la narration et l’univers m’avaient convaincu.

Pour cette suite, Emma Newman retourne sur Terre et change donc de style, en se tournant vers le polar, dans une version procedural. A nouveau un personnage très cabossé, à la fois intégré et marginalisé, dont l’histoire personnelle est intimement liée aux enjeux du premier roman. Et c’est un deuxième coup de cœur.

Planet Fall était un Planet Opera enfiévré de ferveur religieuse ; sa suite, After Atlas, parait être l’opposé, à savoir un polar, et donc construit autour d’une froide enquête. Il s’agit de résoudre un meurtre atroce (il faut, à nouveau, avoir parfois le cœur bien accroché à l’évocation de la scène de crime) dans la suite d’un des hôtels les plus luxueux qui soient. Mais rien n’est simple : l’enquête a pris deux jours de retard en raison des interférences des Etats-Unis et de l’Europe, ainsi que le Cercle, sorte de congrégation religieuse anti-techno très puissante dont la victime, Alejandro Casales était le leader. Notre enquêteur, Carlos Moreno, a appartenu au dit cercle et a quasiment été élevé par Casales. Un sac de nœud. L’enquête est passionnante, avec son lot de fausses pistes et rebondissements ; il y a une réelle tension entre le brio dont fait preuve Moreno et tous les obstacles qu’il doit contourner, tant l’enquête est scrutée, verrouillée par contrats d’avocats et potentiellement explosive… pour tout le monde, y compris pour lui-même, émotionnellement impliqué. Les technologies avancées donnent une teinte cyberpunk que j’ai beaucoup aimé : la technologie facilite mais est aussi souvent un obstacle, un moyen de truquer la réalité ou les preuves. Rien n’est totalement ce qu’il semble être dans un univers où tout semble pouvoir être modifié, et où le virtuel se confond avec le réel.

« Je désactive le V-clav. Mieux vaut ne pas trop faire attendre ma patronne. Avant de quitter ma chambre, je prends le temps de me remettre de mes émotions. Le début d’une enquête m’excite toujours. Mon cerveau grouille de questions, d’interrogations diverses. Mais cette fois, tout se résume à une grosse boule dans ma gorge. Il me faudrait du recul, mais c’est illusoire. Je pose ma paume sur ma poitrine, ferme les yeux, puis appuie en expirant lentement. Le mouvement m’apaise. Je découvrirai les détails de cette affaire, je travaillerai méthodiquement, j’identifierai le meurtrier. Aucun puzzle ne m’a jamais résisté. Celui-ci ne fera pas exception. »

Carlos Moreno est un personnage intriguant. Dès les premières pages du roman, il fait la queue pour acheter des légumes car il refuse de manger de la nourriture imprimée – des assemblages de nutriments texturés et aux saveurs artificiels – et préfère donc la gastronomie à l’ancienne. Petit à petit, on se rend compte que cela relève davantage de la phobie et que les traumas sont nombreux. Surtout, il n’est pas libre, au sens premier du terme : esclave, il est la propriété de son employeur, le ministère de la Justice, incarnation du paradoxe entre la Valeur et la Compétence régalienne représentées par l’institution. Le contrat qui le tient n’est pas réciproquement profitable, la moindre erreur, de conduite ou professionnelle, allonge la durée de sa servitude. Les aspects de sa vie sont réglementés, dans le moindre détail, le contraignant à une solitude quasi absolue. L’APA, IA implantée que tout le monde ou presque utilise, est à la fois un outil mais aussi un traceur redoutable, tout étant enregistré. La liberté et les formes de servitude sont un des thèmes fort du roman, traité dans de multiples dimensions. Le personnage est un mystère en lui-même, sa jeunesse et sa vie d’adulte sont racontées assez tôt dans le texte, mais il faut patienter pour combler toutes les zones d’ombre et comprendre les causes de sa situation et de son comportement.

« Les trucs qu’ils disaient sur ma mère… ça m’énervait quand j’étais môme, oui. Je les croyais. A l’époque quand je n’avais par les moyens de filtrer les fils d’actu. Je pouvais lire ce que tout le monde pensait d’une mère qui avait abandonné son bébé pour partir avec l’Atlas. On organisait des débats entiers sur sa décision, on la comparait aux pires mères de l’histoire. Elle était toujours dans le Top 10. D’autres avaient aussi abandonné leurs enfants pour embarquer sur le vaisseau, mais ça ne comptait pas. Cinq nouveau-nés, dix adolescents, de nombreux jeunes adultes. En tant que bébé, j’étais un peu plus voyant. Et tous les autres avaient été laissés par leur père. On aurait dit que les médias du monde entier nourrissaient une rancœur particulière pour cette femme. Les hommes, non, mais elle, oui. »

On m’a vendu After Atlas comme étant lisible indépendamment du premier et de la suite. Oui. Mais. L’enquête tient dans ce seul roman et est totalement résolue à sa fin, mais une partie des enjeux sont directement liés à l’histoire de l’Atlas (le premier roman racontant ce qu’il s’est passé à son arrivée… ailleurs), par le passé du héros, connu comme le fils de, ou les motivations des différentes factions. En effet, un troisième mystère se superpose – se confond – avec les précédents, sous la forme d’une sorte de capsule temporelle, qui contiendrait peut-être les secrets de l’Atlas et qui doit être ouverte dans les jours à venir. Les médias ne parlent que de ça et Moreno est lui-même objet d’enquêtes, de spéculations voire de harcèlement. Il est possible d’apprécier ce récit sans connaitre l’histoire de l’Atlas toutefois, les enjeux sont juste moins évidents. Cependant, la fin du récit reprend certains éléments, en éclaircit d’autres et surtout ouvre sur des évènements à venir. La conclusion globale – au delà de l’enquête en elle-même – est vertigineuse, marquante, et donne furieusement envie de se plonger dans les tomes suivants.

Vous aimerez si vous aimez aimer les polars cyberpunk impeccablement construits… et que vous savez gérer un peu de frustration (ou que vous lisez en VO).

Les +

  • La construction rigoureuse et efficace
  • Les personnages, tous réussis
  • Un univers crédible, mais effrayant

Les –

  • Pas de suite en VF…

After Atlas sur la blogosphère : Lisez After Altas ! pour le Maki, très prenant et avec un superbe univers pour Vert.

Résumé éditeur

Carlos Moreno est un esclave. Son contrat d’inspecteur auprès du ministère de la Justice l’engage jusqu’à la fin de ses jours, ou presque. Quand sa supérieure lui demande d’enquêter sur la mort suspecte d’Alejandro Casales, l’un des plus puissants leaders religieux de la planète, il n’a d’autre choix que d’accepter. Mais pourra-t-il garder la distance nécessaire à l’exercice de ses fonctions, quand la victime n’est autre que l’homme qu’il aimait jadis comme un père et qui l’a sauvé lorsque sa mère, Lee Suh-Mi, est partie dans les étoiles à bord de l’Atlas?

After Atlas d’Emma Newman, J’ai Lu (2019, parution VO en 2016, première sortie VF chez Nouveaux Millénaires en 2018), 416 pages.

7 commentaires sur “Chronique – After Atlas, Emma Newman

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  1. J’ai le tome 3 en VO dans ma PàL, faut que je me motive pour le lire (mais oui c’était deux très chouettes textes, tellement dommage que les suites n’aient pas été traduites)

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