Chronique – Une cosmologie de monstres, Shaun Hamill

Shaun Hamill est un auteur peu prolifique, pour le moment, avec seulement quelques nouvelles et un unique roman, Une cosmologie de monstres. Celui-ci semble placer la barre très haut puisque Stephen King l’a adoré, c’est même marqué sur la couverture et sur la quatrième, où l’avis dudit King fait fonction de résumé. Faut-il lui faire confiance ?

Même s’il n’est pas exempt de défauts, Une cosmologie de monstres est une très belle réussite pour un premier roman. Il réussit à être effrayant, particulièrement dense et aux accents de saga familiale.

Faire peur sans images, sans tomber dans le gore ou en évitant le grand guignol n’est pas chose aisée. Shaun Hamill y arrive : il suscite la peur, les peurs même. Il y a tout d’abord cette menace invisible qui plane au-dessus de la famille Turner, sur plusieurs générations, avec cette ombre qui rode en arrière-plan, en périphérie des sens et qui se manifeste un peu plus la nuit. C’est d’ailleurs peut-être ce qui fonctionne le moins bien dans le roman, car cette menace finit par devenir moins mystérieuse, et donc moins effrayante même si elle est intéressante. Une cosmologie de monstres contient également de jolies mises en abyme, avec des références très appuyées aux œuvres horrifiques, celles de Lovecraft en tête (les titres des chapitres sont des titres de récits du « Maitre de Providence ») ; la couverture française de l’édition Albin Michel Imaginaire est d’ailleurs un clin d’œil très appuyé, avec ses tentacules. La famille Turner est donc fascinée par tout ce qui est effrayant, au point de se spécialiser dans la construction de maisons et labyrinthes horrifiques, version parcs d’attraction. Enfin, il y a l’horreur banale, qui prend la forme des accidents injustes de la vie, comme la maladie, ou celle de sordides faits divers. Petit à petit, l’auteur développe donc une véritable réflexion sur ce qu’est la peur, ce qui le provoque et peut la rendre souhaitable. Il y a celle que l’on maitrise, celle qui nous tombe dessus ou encore celle qui permet de fuir le réel. Il n’y a pas un monstre, mais des monstres.

« Je me suis mis à collectionner les lettres de suicide de ma sœur Eunice à l’âge de sept ans. Je n’en ai jeté aucune, je les garde dans un pince-notes noir rangé dans le tiroir du bas de mon bureau. A part ça, on ne m’a pas permis d’emporter grand-chose. Je les ai souvent relues ces derniers mois, en quête de réconfort, de sagesse, ou simplement d’une confirmation que j’ai fait le bon choix, pour nous tous. »

Ces réflexions sur la peur et un récit sur un temps long permettent à Shaun Hamill de livrer un texte très dense. Stephen King fait par exemple la comparaison avec Irving en raison notamment de l’absence de la figure paternelle, Noah le narrateur ne connait pas son père – que nous, nous connaissons – ou encore de relations sous emprise et donc non consenties. La famille Turner affronte la pauvreté et les difficultés de (sur)vie au quotidien dans une banlieue déclassée ou encore les maladies, mentales ou physiques. L’auteur aborde aussi la question de la religion, avec laquelle il n’est pas tendre : outil de contrôle et d’asservissement, davantage que soutien face aux peurs et injustices de la vie. Attaque frontale contre la bigoterie. L’ensemble forme un roman très américain, à la fois dans sa géographie, sa culture et les inégalités sociales qui gangrènent le pays.

« Harry courait dans sa direction, un objet serré dans la main. Il s’arrêta à une trentaine de centimètres d’elle et lui tendit un livre de poche au dos crevassé : La Tombe et autres nouvelles, par H. P. Lovecraft. Le nom de l’auteur et le titre apparaissaient en blanc sur fond noir ; sur la couverture, des insectes rouges sortaient en masse du front d’un homme fendu en son milieu, depuis l’emplacement où aurait dû se trouver son cerveau.
« Pour te faire une idée, expliqua Harry. Ma mère me l’a offert pour mes treize ans. » »

Une cosmologie de monstres est construit avec plusieurs fils narratifs. Dès le début, il apparait que le protagoniste principal est Noah et qu’il raconte son histoire, mais aussi l’histoire de sa famille. La première partie du livre raconte la rencontre de ses parents et nous découvrons que le mystère est peut-être encore plus ancien, en remontant à son aïeule. Toutes ces générations sont complètement dysfonctionnelles, en lien ce qui relève du surnaturel mais aussi – surtout ? – de leurs personnalités. Les personnages sont tous très réussis, très complexes. Ils sont parfois détestables, assez souvent lâches, mais qui ne le serait pas face à ce qui leur arrive ? Souvent, ils font semblant de ne pas voir, cherchent des explications ou excuses rationnelles, se gardent bien d’en parler, comme si une simple évocation pouvait aggraver les phénomènes ou invoquer quelque chose. Mais finalement, est-ce que ce n’est pas le quotidien, la vie elle-même, et qui est horrible et dont il faudrait se soustraire ? Shaun Hamill réussit pleinement à nous attacher à cette famille, dont nous devenons presque un membre, en nous faisant réaliser que finalement nous ne ferions pas mieux.

Une cosmologie de monstres fait preuve d’une belle originalité et transcende le simple récit horrifique. En confrontant une famille ordinaire, accablée par les petits tracas et les grands drames de la vie, au surnaturel, Shaun Hamill donne une grande profondeur à son récit et nous renvoie à nos peurs, quel qu’en soient leurs formes.

Vous aimerez si vous les histoires de familles et les maisons hantées.

Les +

  • La famille Turner
  • La couverture, qui saisit parfaitement l’ambiance et l’esprit
  • Les procédés narratifs mais qui aboutissent parfois à…

Les –

  • …trop de « tell » et pas assez de « show »
  • Les aspects explicites diminuent la portée effrayante du surnaturel

Retours choisis sur la Blogosphère : Feyd évoque l’histoire d’une famille américaine qui glisse lentement hors de l’Amérique ; Un coup de coeur sur Sometimes a book.

Résumé éditeur

« Dans Une Cosmologie de monstres, Shaun Hamill allie brillamment les univers angoissants de H.P. Lovecraft avec l’histoire contemporaine d’une famille menacée de destruction par des forces surnaturelles. Il réussit son coup, parce que ces braves gens pourraient être nos voisins. L’horreur ne fonctionne que lorsque nous nous attachons aux personnes concernées ; nous nous attachons aux Turner, et leurs cauchemars deviennent les nôtres. La prose de Hamill est sobre, tout simplement belle. Voilà à quoi ressemblerait un roman d’horreur signé John Irving. J’ai adoré ce livre, et je pense qu’il vous plaira aussi. »
Stephen King

Une cosmologie de monstres de Shaun Hamill, traduction de Benoît Domis, Le livre de poche (2022, première sortie Albin Michel Imaginaire en 2019, sortie VO en 2019), 512 pages.

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