Deuxième lecture de cet auteur, après Un feu sur l’abîme, lu il y a déjà une bonne douzaine d’années et que j’avais trouvé un poil trop long et complexe, mais aux qualités indéniables. Je me disais donc qu’un texte plus court, paru dans la collection Une Heure Lumière, pouvait regrouper les qualités de l’auteur sans ces défauts. C’est exactement ça.
L’auteur exploite le décor de la Silicon Valley pour nous livrer une novella aux airs de thriller, puis de conte, et qui plonge petit à petit dans une SF de plus en plus hard, le tout au service d’une question : les firmes transnationales (numérique, mais pas que) nous veulent-elles du bien ?

Dixie est une jeune femme qui souhaite tourner la page, après une vie certes courte mais qui a déjà connu son lot de galères. Aussi, intégrer la dynamique FTN LotsaTech, au sein du cerveau du monde qu’est la Silicon Valley, est un moyen de repartir à zéro, même s’il s’agit d’un bullshit job de téléconseillère dans un service client. Les conditions semblent idéales, loin des plateaux d’assistance téléphonique habituellement délocalisés dans les Etats du Sud, Inde ou Maghreb en tête, car la qualité du service prime. Pour faire court, elle a tout le temps nécessaire pour faire son travail, et bien. Le cadre de l’incarnation 2.0 du rêve américain, où tout semble être pensé pour subvenir aux besoins des salariés résidents, ajoute à cette perspective de bonheur relatif. Mais au moment où elle commence à apprivoiser son travail et ses voisins de boxes, elle reçoit un étrange message qui fait référence à un secret douloureux et intime.
« Dixie Mae n’avait jamais travaillé dans un service client ; jusqu’à ce qu’elle passe le test du Pr Reich, la semaine précédente, son job le mieux payé avait consisté à faire griller des hamburgers. Bien sûr, comme tout un chacun, elle souvent été la victime des services client. Elle achetait un livre neuf, ou une jolie robe, et celle-ci était trop petite, et le dos de celui-là se cassait ; lorsqu’elle contactait le service client, on ne répondait pas à sa requête, sauf avec des phrases préenregistrées, ou alors on cherchait à lui vendre un autre truc – quand bien même la pub affirmait que la priorité de la boîte était d’aider ses clients.
LotsaTech semblait résolue à changer toute cela. Ses patrons avaient compris que pour venir en aide à une clientèle humaine, mieux valait un personnel humain. »
Avec quelques collègues fraichement rencontrés, elle décide alors d’utiliser son temps de pause pour aller enquêter. Il faut dire qu’elle ne goûte pas à ce qui ressemble à une plaisanterie de mauvais goût, mais qui témoigne aussi de ressources importantes car son secret est censé être très bien gardé. Commence alors un jeu de piste au sein de la zone d’activités où elle travaille, chaque indice menant à l’étape suivante et où l’auteur de ce message semble vouloir être débusqué. On trouve alors de nombreux références et clins d’œil – plus ou moins visibles en fonction de ses propres références – à des contes comme Alice évidemment ou encore le Magicien d’Oz avec cette quête et cette équipe de collègues dysfonctionnelle voire à des jeu de rôle à l’ancienne avec un parcours très fléché, pointé par des PNJs typés et de l’exploration de lieux aux ambiances différentes ; Vernor Vinge se permet même des mises en abyme particulièrement savoureuses. Il faut bien avancer dans le récit pour rencontrer le premier élément totalement science-fictif, très déstabilisant, mais qui montre que l’auteur sait exactement où il va : narration, intrigue et contexte s’imbriquent à la perfection. Le lecteur avisé devinera peut-être avant les personnages.
« Dixie Mae regarda elle aussi sa montre. Les chiffres étaient précis et totalement erronés : Ven. 15 juin, 12:31:18 PDT, 2012. « Ellen, j’ai consulté ma montre avant de venir ici. Elle indiquait la date du 22 juin. »
Ellen se pencha sur la table et regarda la tablette de Victor. « Je n’en doute pas. Mais ta montre et cette tablette obtiennent leurs données de ce bâtiment. Vous êtes réglés sur notre horloge locale – et celles-ci vous dit la vérité.
Dixie Mae sentait la colère monter. « Ecoute, Ellen. Quoi que dise l’horloge locale, je n’ai pas pu inventer toute une semaine de mon existence. » Sans compter la formation aux produits maison. »
J’aurais du mal à en révéler davantage sans dévoiler l’élément clé de l’intrigue. L’auteur invente un côté sombre à la Silicon Valley, à la fois en terme d’objectifs mais aussi de moyens et de capacités. Il y a une volonté chez l’auteur de casser l’image construite avec habileté par les communiquants des FTN et des start-up des technopoles, basée sur un état d’esprit cool et la part faite à l’initiative des employés. Outre un texte avec des éléments de hard SF informatique, Vernor Vinge interroge finalement la question de l’éthique et de ce qu’il est possible de faire pour des gains de productivité. Le titre, parfaitement trouvé, est un excellent indice.
Vous aimerez si vous aimez la SF informatique et que vous aimez détester la Silicon Valley.
Les +
- L’idée de base, vertigineuse
- Le rythme
- Un livre court, mais très riche, sur le fond et la forme
Les –
- Peut-être un peu frustrant
Cookie Monster sur la blogosphère : Aelinel le conseille et révèle les mystères sous-jacents, mais prévient ; Première UHL pour Feyd qui le conseillait sans réserves non plus.
Résumé éditeur
Non, vraiment, la vie de Dixie Mae n’a pas toujours été rose… Mais grâce à LotsaTech, et au boulot qu’elle vient de décrocher au service clients de ce géant high-tech, les choses vont changer. Telle était du moins sa conviction jusqu’à ce que lui parvienne l’email d’un mystérieux expéditeur, message qui contient quantité de détails intimes liés à son enfance et connus d’elle seule… Dixie Mae, telle Alice, devra passer de l’autre côté du miroir et payer le prix de la vérité — exorbitant : celui de la nature ultime de la réalité au sein de la Silicon Valley…
Cookie monster de Vernor Vinge, traduction de Jean-Daniel Brèque, couverture d’Aurélien Police, aux éditions Le Belial, collection Une Heure Lumière (parution vo en 2003 – présente édition en 2016), 112 pages.
Prix Hugo 2004 (roman court), Prix Locus 2004 (roman court).

« Le lecteur avisé devinera peut-être avant les personnages » : mais mieux vaut prendre la surprise en pleine poire, c’est sûrement plus appréciable. Quoique, peut-être que le titre est encore ce qui est le plus appréciable et surprenant. ^^
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Oui je suis bien d’accord 😀
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