Chronique – Days, James Lovegrove

Days de James Lovegrove

James Lovegrove est un auteur que je connaissais déjà par sa série les Dossiers Cthulhu, qui mettent en scène Holmes contre les créatures de Lovecraft, et dont j’ai lu deux premiers tomes. Si je n’avais pas été totalement convaincu par le fond, le contraste entre les deux univers nuisant à l’ambiance horrifique à mon humble avis, j’avais néanmoins trouvé une belle inventivité et un sens de la fiction. Days m’avait été quant à lui conseillé il y a quelques temps et attendait sagement au fond de ma wish list. Réédité en octobre 2021, il était temps de lui donner sa chance. J’ai beaucoup aimé ce pamphlet, même s’il manque parfois un peu de subtilité, où la consommation est devenue une forme de religion. L’auteur n’oublie toutefois pas d’écrire une histoire, aux airs de vaudeville. Lecture intéressante en ce mois de décembre et ses fêtes qui approchent…

James Lovegrove utilise toutes les figures de style possibles pour faire comprendre au lecteur l’importance de Days, « le premier et le plus beau gigastore du monde ». Ceux qui comme moi, ont connu la glorieuse époque des Virgin Megastore, propriétés de Richard Branson, compatriote de l’auteur, goûteront la référence. Dès les premières pages, la description du magasin, tel un monument contemporain, annonce la couleur : un carré de deux kilomètres de côté, quasiment cent mètres de hauteur, tout de briques et de verre. Ecrit en 1997, Days reprend les tropes de la modernité même si la réalité des nouveaux centres commerciaux et autres villages de marques, sans oublier la verticalisation effrénée des nouvelles skylines des pays émergents, a rattrapé la fiction. On trouve tout à Days. Tous les produits inventés et fabriqués, voire les être vivants, sont disponibles. Le magasin incarne un libéralisme absolu, dans un monde totalement dérégulé et où seul compte le principe de profit. Le gigastore est la loi même. Les voleurs ou autres escrocs sont bannis à vie du magasin, comme ostracisés, et les vigiles ont le droit de tirer pour tuer – la sécurité de leur arme se désactive avec leur carte de crédit – , en cas de délit de fuite ou de refus d’obtempérer. L’auteur préfigure ainsi les firmes transnationales qui se placent au-delà des Etats et donc des législations nationales, notamment les GAFAM et surtout Amazon évidemment, mais dans un récrit très territorialisé. D’ailleurs, les rayons ressemblent à des nations, avec leurs propres codes et enjeux, et se livrent de farouches guerres – quasiment au sens premier du terme – pour obtenir quelques mètres carrés de surface en sus, à l’image du conflit entre les rayons livres et informatiques qu’il nous raconte avec l’humour.

« Il y a une gare ferroviaire à chaque coin du bâtiment, et une ligne de bus dessert quatre arrêts situés au milieu exact de chaque côté du carré. Ce qui signifie que les clients arrivant par les transports en commun doivent parcourir au minimum cinq centre mètres pour atteindre l’une des entrées du gigastore. Ceux qui viennent en taxi ou dans leur voiture s’en sortent beaucoup mieux. Des voies réservées aux taxis permettent aux chauffeurs de déposer leurs clients à la porte même du complexe, tandis qu’un parking souterrain comprenant sept niveaux accueille des milliers de véhicules chaque jour. La logique de cette organisation est sans faille. À condition d’avoir l’esprit d’un détaillant. Car les clients qui viennent en train sont obligés de limiter leurs achats, de se concentrer sur les objets les plus petits, les plus légers et, en général, les moins onéreux. Bien sûr, l’emplacement des gars ferroviaires et des arrêts de bus encourage tout le monde à louer les services d’un taxi ou à prendre sa voiture. Dans laquelle on peut stocker une grande quantité de marchandises. Sans compter que les parkings sont également payants. »

Pour accentuer davantage l’importance du magasin, James Lovegrove ajoute une dimension quasiment mystique, voire religieuse. Elle imprègne les personnages, l’ambiance des lieux et met en exergue les aspects irrationnels de la consommation de masse. Le magasin s’appelle « jours » et son logo est donc un disque blanc et noir, alternance du jour et de la nuit. Il est placardé partout, tel un symbole religieux, et les usagers, les fidèles, n’osent marcher sur la mosaïque qui orne le sol de l’entrée du magasin ; un acte qui serait sûrement iconoclaste. Pour prolonger ce thème, l’auteur s’appuie sur la numérologie. Un des héros envisage de démissionner après 33 années de bons et loyaux services, le chiffre 666 est mentionné, mais c’est surtout le chiffre 7, comme les jours de la semaine, qui particulièrement important. James Lovegrove s’est d’ailleurs amusé à noter toutes les occurrences de ce chiffre, dans l’histoire ou dans les mythes, et à les transcrire dans les incipit de début de chapitres. Il paraitrait que le Christ a parlé à 7 reprises lors de sa crucifixion… Le message manque certes parfois un peu de subtilité mais cela renforce le côté comédie burlesque.

« Comme si cela suffisait pour obtenir une carte Silver.
En fait, son haussement d’épaules dissimulait cinq années de lutte, de boulot acharné, de sacrifices, de renoncement, de discipline, de centimes mis de côté, de débrouille et de week-ends passé à travailler. Cinq années à raccommoder des vêtements usés jusqu’à la corde, à rester à la maison tandis que les voisins sortaient, à avoir froid l’hiver, à ne pas acheter de sapin et à s’offrir des cadeaux plus que modestes. Cinq années à repousser sans cesse la conception d’un enfant car les enfants, tout le monde le sait, cela coûte très cher. Cinq années durant lesquelles Gordon et elle ont grapillé petit à petit le minimum nécessaire à l’obtention d’une carte Silver. (Bien sûr, ils auraient pu demander une carte Aluminium dès la création de celle-ci, mais Linda voulait une Silver et rien n’aurait pu la faire changer d’avis. L’Alumimium est tellement… ordinaire.)
Est-ce que cela en valait la peine ? Et comment ! Impossible de regretter le moment où ils avaient déchiré le papier kraft du paquet et trouvé un catalogue Days ainsi qu’une fine enveloppe. »

L’auteur peuple son magasin d’une brochette de personnages qui lui permet de couvrir toutes les facettes de cet univers, que nous suivons sur une journée complète, riche en changements. Les patrons sont sept frères, dont le père est lui-même un septième fils. Habitant le septième étage, ils ne sortent jamais et mènent une vie dystopique, paraissent heureux mais sont prisonniers de leurs habitudes, de leur magasin, et de leur soif de profit. Il y a également Frank le vigile, très doué dans son domaine, mais qui ne peut plus se regarder dans la glace. Il est décrit comme un détective privé, ambiance polar, capable de repérer un voleur à la tire de manière infaillible. Froid et sérieux, il en devient drôle et pathétique à la fois. Enfin, un magasin ne serait rien sans ses clients et nous suivons un couple qui vient enfin d’obtenir une carte de crédit, et donc le droit d’entrer dans Days et de profiter des ventes flash de dix minutes sur les instruments de musique exotique, et de tuer pour acheter un lot de cravates. Cette petite troupe donne au récit une ambiance de vaudeville, matinée de roman noir et d’histoire de puissants, une sorte de Au bonheur des dames version fin XXe.

Vous aimerez si vous aimez les récits ironiques.

Les +

  • L’idée, poussée à son paroxysme
  • Le ton du récit
  • Le final très réussi

Les –

  • A peut-être un peu vieilli dans son thème. Quoique…

Days sur la blogosphère : Zina a beaucoup aimé et est glacée par cette problématique contemporaine.

Résumé éditeur

Chez Days, vous pouvez tout acheter : un livre rare, un tigre albinos, les filles du rayon Plaisir. Tout… pourvu que vous disposiez de la somme nécessaire sur votre carte de crédit. Car Days est le plus grand magasin du monde, presque une ville. Ce matin, Frank a décidé de démissionner. Il travaille chez Days, à la sécurité. Il a le permis de tuer. Mais il ne peut plus se voir dans un miroir.

Au contraire, Linda vient enfin d’obtenir sa carte Days et a hâte de jouir de son nouveau droit d’acheter. Un jour comme les autres… ou presque. Il suffit d’un grain de sable dans les rouages d’une vie pour basculer dans le drame.

C’est un jour de la vie de ces gens-là que raconte Days, minute par minute. Des gens qui vivent dans un supermarché. Comme vous ?

Days de James lovegrove, traduction de Nenad Savic, Couverture de Jean-Charles Pasquer, aux éditions Bragelonne (parution vo en 1997, première édition française en 2005, présente édition de 2021), 456 pages.

4 commentaires sur “Chronique – Days, James Lovegrove

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