De John Langan, j’ai déjà raté The Fisherman, qui avait été accueilli par un concert de louanges. Aussi, quand celui-ci est sorti, je ne me suis posé aucune question ; achat rapide, et lecture qui l’était tout autant. Je suis content de l’avoir lu en premier, car nous sommes en présence d’une aventure éditoriale classique : un auteur qui met du temps à traverser l’Atlantique, qui est traduit directement avec son meilleur texte ; puis d’autres viennent, plus anciens et peut-être moins bons ?
Je peux donc parler de House of Windows, son premier roman, sans faire de comparaison. Et j’ai beaucoup aimé ce texte qui semble être de prime abord une simple histoire de maison hantée – vue et lue 1001 fois – mais qui interroge surtout les relations familiales toxiques et les traumas de l’Amérique.
La maison hantée, dont le titre est formalisé par le roman de Shirley Jackson, est un grand classique de la littérature – et des autres médias – d’épouvante. Même si on met de côté le sujet de l’originalité, l’écriture de tels récits est une gageure et soulève de nombreuses interrogations : est-ce qu’il y a réellement un élément surnaturel ou est-ce juste une divagation des personnages ? si cet élément existe, que faut-il l’expliquer, au risque de rendre le texte moins effrayant ? faut-il suggérer, ou décrire les détails, au risque de sombrer dans le gore ou grand guignol ? une fin « heureuse » est-elle possible ? On peut supposer que John Langan s’est posé ces questions, au moins de manière inconsciente, puis a abouti aux réponses qui font de House of Windows un roman de genre réussi. La maison est quasiment le personnage principal du texte : elle est, elle existe, elle obsède, au point de donner l’impression d’avoir ses propres plans, sa réalité qui n’est pas celle que nous connaissons, qui transgresse les règles de la physique les plus élémentaires. Surtout, elle n’est pas un ressort narratif, l’élément de l’intrigue qu’il faut résoudre ou dont il faut sortir, à s’en sortir, un obstacle à vaincre et dont il faut se débarrasser. L’auteur renforce cet aspect par une habile mise en abyme, avec des personnages principaux qui gravitent eux-mêmes dans le milieu de la littérature, et évoquent à de nombreuses reprises des textes où le mot « maison » figure dans le titre. La narratrice s’interroge elle-même plusieurs fois, montre qu’elle a conscience des clichés qu’elle vit… et que l’auteur écrit.
« C’en était fini de Roger aussi. Pas tout de suite, mais si je devais situer le point de départ de sa chute, ce serait ici. Peut-être pas le seul. Je ne peux pas ignorer l’effet que son retour à Belvedere House a eu sur lui.
Il avait pris cette décision tout seul. Si nous en avions discuté, je lui aurais dit que j’étais d’accord pour quitter l’appartement – il était trop petit, et rapetissait tous les jours -, mais, pour l’amour du ciel, pas pour Belvedere House. Je ne sais pas s’il aurait servi à quelque chose que nous fassions nos bagages et partions loin d’ici – dans un autre État. Je suis sûre que Roger aurait pu trouver un poste à B.C. ou UConn sans problème. Un tel déménagement n’aurait pas pu être pire que ce qui nous attendait dans les couloirs de cette maison. »
Une maison, c’est surtout un foyer, et finalement beaucoup plus rarement un vestige abandonné pour ados abandonnés. L’édifice a sa propre histoire, et un récit fantastique peut émettre l’hypothèse qu’elle influence les occupants, à laquelle s’ajoutent celles des dits occupants successifs. La maison aux fenêtres devient alors un catalyseur du passé des personnages et leurs héritages familiaux : déménager ne suffit pas à faire passer son passé, et le balayer sous le tapis d’une maison déjà chargée fait courir le risque d’un dangereux retour de flamme. Au fil des pages, John Langan s’attache à nous raconter la vie de ses personnages, à l’aide de flashback – qui permettent de surcroit de maitriser le rythme et la tension – en nous montrant ce qu’elles ont d’ordinaire, avec les marques qui subsistent et qui se transmettent. Les personnages sont des adultes, celles et ceux entre deux générations, qui doivent se débattre, tiraillés entre leurs propres parents et leurs enfants. L’auteur questionne les relations père/fils et mère/fille en jouant la carte des familles dysfonctionnelles et/ou recomposées, auxquelles il ajoute ici une dyslexie, là de l’alcoolisme, ou un couple volage… La maison devient alors une sorte de boite de Pandore, d’où les secrets ou traumas enfouis sortent avec avidité, se nourrissent les uns les autres et se télescopent. Elle met les individus au pied du mur : le lieu qui devrait être le plus rassurant, devient celui où l’on ne peut plus fuir, le nexus ce que ses habitants portent en eux.
« Elle tronait là, attirant irresistiblement son attention, trou noir personnel qui aspirait la moindre de ses pensées. Chaque fenêtre était un écran de cinéma qui diffusait une scène prise au hasard des trente-trois années qu’il avait passées là. Est-il nécessaire de préciser que Ted et lui figuraient dans chacune d’entre elles ? La fenêtre de la chambre qu’il avait partagée avec Joanne – celle qui donnait sur Frenchman’s Mountain – le montrait lui, en train de faire les cent pas en chantant des berceuses victoriennes pour tenter de rendormir le bébé qu’il tenait dans ses bras. Dans celle de la cuisine, tournée vers le sud, il se voyait assis à côté de son garçon de dix ans, lui expliquant pourquoi les Huguenots avaient fui la France. Dans celle de l’entresol, ils travaillaient sur un panneau solaire rudimentaire pour le projet de sciences de quatrième de Ted. Dans d’autres, Ted et lui se lançaient leur sempiternelle balle de baseball, et après toutes ces années, sa main se rappelait la sensation de la balle se fichant dans son gant ; son bras les courbatures causées par tous ces lancers ; ses yeux, l’éblouissement du soleil matinal. Puis Roger laissait la maison derrière lui et prenant la direction de l’université. Les souvenirs le poursuivaient encore un moment, se dissipant à mesure qu’il s’éloignait. »
John Langan est étatsunien et a donc lui-même ses propres traumas, ceux d’une Amérique post 11/09, qui remplace désormais – ou se cumule à – ceux de la Guerre Froide, Viet Nam en tête. Car Roger, celui dont la narratrice conte la disparition, ne jure que par le pouvoir de l’esprit, et plus particulièrement celui de la littérature, mais son fils Ted a choisi une autre voix – en opposition – en s’engageant dans l’armée. Et même si la patrie de l’oncle Sam se vante d’une écrasante supériorité technologique, la guerre asymétrique s’est enlisée dans une naïve tentative d’implanter la démocratie à coups de bottes de GI, et Ted est victime d’un attentat sur le sol afghan. L’équilibre qui s’était alors mis en place, à toutes les échelles, vacille et la raison s’effrite devant le chagrin, la colère et surtout la culpabilité refoulée. L’auteur montre la difficulté de faire son deuil quand tant de problèmes restent non réglés, et que l’on est partiellement responsable de certaines tragédies, que les maillons des chainent s’accumulent. Roger et Ted se détestaient. Les personnages mentent, ouvertement ou par omission, réécrivent le passé à grands renforts de faux souvenirs ou de moments choisis ; face aux secrets de famille, c’est souvent la solution la plus simple qui est appliquée : dos rond, déni, contournement, et la fuite dans une certaine mesure si c’est une option facile. Pendant ce temps, la maison observe et attend.
House of Windows est un texte d’épouvante qui atteint déjà parfaitement son objectif. C’est aussi une analyse fine et sans concession, voire un peu pessimiste, d’un invariant des individus : l’héritage comme une longue chaîne, dont on s’accommode souvent.
Vous aimerez si aimez les maisons hantées, Dickens, la folie.
Les –
- Une couverture qui manque d’inspiration (et qui n’est pas fidèle à la description…)
- Un peu lent
- Des réactions de la narratrice parfois surprenantes (mais fuis bordel !)
Les +
- Une revisite originale de la classique maison hantée
- La question des traumas
- L’intégration dans une plus grande Histoire
Extraits choisis de House of Windows sur la blogosphère : dommage mais prometteur au Syndrome Quickson, riche et dense pour Gromovar.
Résumé éditeur
« Tout le monde me demande ce qui, selon moi, est arrivé à Roger, disait Veronica Croydon, et si je ne donne pas de réponse immédiate, on s’empresse de m’en proposer une. Mais personne ne comprendrait. Enfin, personne ne me croirait. Reste un peu, et je vais te dire ce qui s’est passé. »
La disparition de Roger Croydon, éminent universitaire spécialiste de Dickens, attise toutes les curiosités. Un mystère qui mène inexorablement à la demeure du couple, Belvedere House, et à son armée de fenêtres, baignées de lueurs étranges…
House of Windows de John Langan, aux éditions J’ai lu (2025, VO 2009), traduction Thibaud Eliroff, 576 pages.

Laisser un commentaire