Tenir un blog est différent d’un site Internet, car il y est davantage admis, et peut-être même attendu, que sa ou son propriétaire se livre un peu, voire échange avec les âmes égarées perdues parmi ses quelques billets. Pour évoquer Élise sur les chemins de Bérangère Cournut, je n’ai guère le choix, tant ce court livre m’a parlé, en tant que lecteur mais au-delà. Car parmi les quelques passions qui m’animent, il y a bien évidemment les lectures de l’imaginaire, ce blog en est une des preuves, mais aussi la géographie, dont j’ai fait partiellement mon métier, avec une flamme ravivée par mes années agrégatives.
Aussi quand l’autrice francophone se lance dans une biographie librement inspirée de la famille d’Élisée Reclus, sous forme d’un conte fantastique en vers libres, pour prolonger les luttes anarchistes du géographe épris de liberté… cela donne un grand coup de cœur.
Si vous êtes géographe et/ou anarchiste, vous avez donc un point commun avec Élisée Reclus et avez vraisemblablement entendu parler de lui. Son engagement politique lui a d’ailleurs coûté une reconnaissance institutionnelle méritée, éclipsée de surcroit par l’autre père de la géographie française, Paul Vidal de la Blache. Ce n’est que pendant les années 70 et 80, et une géographie qui se consacre davantage à l’environnement et aux sociétés que son œuvre est remise à sa juste place au sein des cercles académiques français. Consécration ultime et retour aux origines avec la Quatrième Géographie Universelle des années 90, sous la direction de Brunet, et dont le groupe porte le nom « Reclus » en hommage au rédacteur de la Première. La vie d’Élisée Reclus est vraiment romanesque, et déjà exceptionnelle par son seul contexte familial, et donne donc la matière dont s’inspire librement Bérangère Cournut. Issu d’une famille très nombreuse – ils sont huit dans le roman, – sous l’autorité de Jacques, dit Le Lion, figure paternelle intransigeante et distante, particulièrement têtu ; et celle de Zéline, surnommée Féline, plus encline à montrer ses émotions. L’histoire commence quand les deux frères ainés, dont Elisée, décident de quitter la maison, comme un rite de passage à l’âge adulte, laissant derrière eux des frères et sœurs qui perdent une partie de leur repères, et réalisent que le monde est bien vaste que leur petite maison rurale, reculée aux fins fond des bois.
« D’une lettre à l’autre cette automne-là
Nous suivons aisément la progression
Du grand, du délicat Onésime
Flanqué de ce chien fou d’Élisée
L’un avance, ploie et sourit dans le vent
Tandis que l’autre roule ses muscles ronds
Ses jambes arquées sur la pente
Le front balayé par une centaine d’idées »
Un monde plus vaste, mais qui regorge aussi de secrets, que la petite tribu découvre au fil de ses aventures. Élise, cinquième enfant, se sent observée et rencontre finalement les créatures qui peuplent les bois et surtout les rivières : l’une d’elle lui révèle alors le danger qui planerait sur Élisée. Touche par touche, le récit devient une épopée, une quête à la recherche des frères, dont un ne donne plus de nouvelles. Il faut alors explorer, accepter de s’éloigner toujours un peu plus ; Élise est celle qui finalement s’en va à son tour pour réunir la famille, devenant le pendant de ses frères ainés. Bérangère Cournut se fait alors aède, racontant l’Odyssée d’Élise qui va de rencontres en rencontres, et les plus dangereuses ne sont pas celles auxquelles on penserait en premier. On tremble parfois un peu, on sourit souvent, on s’extasie en même temps que la jeune fille de ses découvertes ; l’ensemble relève aussi du récit d’initiation, avec le déroulé des saisons, la famille qui s’agrandit, encore. Surtout, il y a toujours de la poésie dans ces aventures et ses contacts : l’autrice fait le choix de raconter ces quêtes d’un frère et de connaissance en vers libres. La langue est délicate, jamais lourde, parfois volontairement un peu naïve et s’adapte pour renforcer les différentes ambiances. Les pages passent et le texte se dévore.
« Je me demande si la Vouivre
A toujours mauvais caractère
Ou si c’est seulement
Quand elle parle de mon frère »
Bérangère Cournut ne se limite pas à la forme : choisir de s’inspirer de la vie d’Élisée Reclus et de sa famille, c’est aussi s’imprégner de sa philosophie. Le géographe était anarchiste, croyant à une démocratie directe, et surtout très participative – « Voter, c’est abdiquer !’ – dont la condition est l’accès au savoir : les décisions doivent être prises de manière éclairée, par des citoyens qui ont une maitrise sincère du sujet. Les voyages, la rédaction d’une Géographie Universelle, une démarche humaniste – dans les deux sens du terme -, sont autant d’outils que construit Reclus et qu’il met à disposition de la communauté. Élise sur les chemins commence par les questions de l’éducation, présentée comme fondamentale, mais dispensée hors cadre institutionnel : il s’agit d’émanciper. L’acquisition de connaissance se fait largement in situ, par l’observation et l’expérimentation du terrain. Notre narratrice est donc étrange aux yeux de la société qu’elle découvre en s’éloignant pour chercher son frère, étrangeté qui est réciproque. Elle découvre d’autres jeunes et adultes, des formes d’organisations sociale et politique qu’elle ne soupçonnait même pas, dans leur complexité et diversité. Chaque étape de son épopée est une facette de la vie du géographe anarchiste : les questions environnementales, sociales et politiques hantent les chemins d’Élise. Le choix d’une narratrice, et la foule de personnages féminins rencontrés, correspond également à une facette du personnage, féministe avant l’heure.
Élise sur les chemins est un beau texte singulier, avec un personnage principal très attachant, et qui permettra – je le souhaite sincèrement – de faire connaitre Élisée Reclus au grand public. Il le mérite, plus que jamais peut-être.
En bonus, je me permets de glisser quelques conseils pour qui voudrait se plonger dans la vie, et l’oeuvre monumentale – les deux étant définitivement liés – d’un des plus grands géographes français, du monde même. Il y tout d’abord cette série de podcast consacrés à l’auteur, dans la série Avoir raison avec ; la cinquième émission invite justement Bérangère Cournut. De manière générale, une recherche « Élisée Reclus » sur le site de Radio France donne de nombreuses occurrences, sur des sujets tous azimuts, témoin de l’ampleur de sa réflexion. Le tout récent – et brillant, et accessible – Figures de la géographie, sentinelles des mouvements du monde de Laura Péaud consacre une de ses 18 entrées à Reclus. On pourra lire aussi, ou à la place, la notice Élisée Reclus du dictionnaire en ligne de référence Le Maitron.
Vous aimerez si aimez les contes, la poésie, l’engagement… Élisée Reclus en somme.
Les –
- J’aurais aimé voir un peu plus Élisée
- Le personnage du père, peut-être un peu trop édulcoré
Les +
- Un bel amour sororal
- Le fantastique, glissé par petites touches
- L’écriture en vers lignes, qui conjugue la forme au fond
Extraits choisis de Élise sur les chemins sur la blogosphère : un récit qui met en scène l’utopie adolescente du prestigieux modèle chez les Cannibales Lecteurs ; un beau texte poétique pour Eva.
Résumé éditeur
Élise vit dans la colline, au sein d’une famille libertaire parfois sauvage, souvent joyeuse. Ce qu’elle sait, elle l’a appris de ses frères et sœurs, des arbres et des sentes, des rivières et des combes. Mais un jour, sur les conseils d’une femme-serpent, la jeune fille quitte ses terres pour retrouver deux aînés vagabonds. Elle se lance ainsi à la découverte d’un monde où réel et fantastique se mêlent amoureusement.
Élise sur les chemins de Bérangère Cournut, aux éditions Le Tripode, collection Météores (2025, première édition en grand format 2021), couverture de Corinne Pauvert, 144 pages.

Oh mais quelle singulière découverte quo me ramène longtemps en arrière à mes études (histoire chez moi)
J’avoue que je serais très curieuse de découvrir ce texte, finement écrit si j’en juge tes mots et mettant en plus en scène des valeurs quo me touchent.
Merci pour la découverte
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Je pense que ça te plairait. On peut même envisager quelques vers pour étudier avec des élèves.
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Les miens ont 7 ans alors pas sûre…
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