Chronique – Le phare au corbeau, Rozenn Illiano

J’ai publié au début de l’été un billet qui établissait le point sur ma PAL, pour faire un état des lieux mais aussi pour solliciter des conseils de lecture : j’achète parfois certaines nouveautés ou titre un peu « par réflexe » puis je les remise aux limbes de la susnommée PAL. Aussi quand le sympathique taulier du Syndrome Quickson me conseille en priorité de lire Rozenn Illiano « parce que Rozenn », je fonce. Il s’agissait d’un titre que j’avais à l’origine acheté plutôt pour mon épouse, qui l’a lu et apprécié avant moi, et qui pouvait de surcroit ajouter une touche de Fantastique à mes lectures, qui en manquent cruellement.

Donc, merci pour le conseil car j’ai apprécié Le Phare au corbeau. Même sous ses aspects très classiques, je me suis immergé dans l’ambiance d’un récit qui s’inscrit dans les folklores régionaux sans écraser ses personnages.

Le Phare au corbeau tient plus de l’Urban – ou rurale – Fantasy que du fantastique à proprement parler. La quatrième de couverture n’en fait d’ailleurs pas mystère : les protagonistes principaux savent que le surnaturel existe, celui-ci fait même partie de leurs vies car ils le combattent, quand ses effets sont trop délétères pour le commun des mortels, et en ont fait leur gagne-pain. Même si la lutte n’est pas gagnée d’avance, cette approche peut diminuer l’effet angoissant du texte en banalisant ou expliquant le surnaturel. Néanmoins, la plupart des personnages du roman ne sont pas au fait de ces apparitions et connaissent donc une trouille de tous les diables, avec certaines scènes inquiétantes quand les esprits s’agitent. Ce que l’on perd peut-être en mystère effrayant, on le gagne toutefois en mystère « narratif », en intrigue, avec un suspense plus proche d’un thriller parfois. Rozenn Illiano écrit un texte en forme de véritable enquête pour dénouer cette complexe histoire de fantômes. La structure est assez classique avec la multiplication des interrogatoires, investigations de terrain, tests divers et variés, jusqu’à remonter le fil des évènements. J’y ai revécu d’ailleurs de nombreux souvenirs de mes parties de jeu de rôle, ce qui explique peut-être mon jugement portant sur les aspects classiques. Malgré quelques longueurs, l’ensemble est efficace et l’autrice tient à rendre son récit clair et cohérent, ce qui permet – et ce que j’apprécie à titre personnel – d’essayer de comprendre et résoudre le mystère en même temps que les protagonistes.

« Ker ar Bran offre une vaste étendue herbeuse en haut de la falaise, qui donne directement sur la mer en contrebas. Presque un autre monde, baigné par le soleil et le vent marin, une palette infinie de verts sous l’azur du ciel dépourvu de nuages, une île de végétation perdue au milieu d’un océan de bleu. Sur la droite près du précipice se tient le phare, une courte aiguille de pierre érodée par les tempêtes, qui résiste avec vaillance malgré l’abandon dont il a été victime. Un muret de granit le sépare d’un semblant de jardin aujourd’hui en friche, où l’on devine à peine, sous les mauvaises herbes, les restes d’une fontaine et les vestiges d’une terrasse entourée de carcasses d’une haie de buis. Seuls les rosiers sauvages ont survécu. »

L’autrice prend soin également du décor et des personnages qui le peuplent. L’essentiel de l’action se déroule dans la Bretagne contemporaine, dans un village en forme d’image d’Epinal et qui rappelle que certains territoires bretons méritent le nom de Finistère, littéralement là où se « finit la Terre ». En avançant dans le texte, Rozenn Illiano ajoute des chapitres qui se déroulent dans le passé, et nous décrit une Bretagne qui semble parfois hors du temps, où la mer est un repère perpétuel, de même que les drames et secrets qui finissent invariablement par s’enkyster. Le rapport au passé s’incarne donc aussi dans les différentes générations qui habitent le village, et qui ont souvent bien du mal à communiquer, les anciens regardant trop vers le passé, et les jeunes peut-être trop vers le futur. Quel doit être l’avenir de ce territoire ? Une partie de l’action se déroule également à Paris et le contraste est éclatant entre les espaces étriqués de la capitale, où la nuit fait vivre un ésotérisme adossé à la fête ; et un monde rural aux vastes espaces, où cette nuit devient rapidement inquiétante, encore plus quand le phare est lui-même source de menace, et un surnaturel rappelle qu’il est sauvage, dur, incontrôlable. Ceux qui croient le dompter y laissent des plumes, ou davantage.

« La magie est à double tranchant. Si tu en uses, tu dois donner quelque chose en échange. Lorsque je vois des esprits, je vois aussi leurs tourments sans même les comprendre et je sais que je suis incapable de les guérir. Comme si j’aspirais leurs douleurs pour pouvoir les chasser. Je me souviens de tous les visages de ceux que j’ai aidé à partir. »

Les deux personnages principaux, Agathe et Isaïah, incarnent ces tiraillements ou contradictions et se débattent eux-mêmes au sein de leurs familles respectives, dysfonctionnelles à divers degrés. Leurs dons sont incomplets, ils ne sont pas les meilleurs exorcistes qui existent – on comprend que chez certain, il y a du level ! – et sont donc habités par un besoin constant de faire leurs preuves, tout en étant en quête d’identité et d’une place, sans trop risquer sa peau non plus. L’autrice s’attache d’ailleurs à montrer qu’ils ne sont pas qu’exorcistes, que le surnaturel n’est qu’une part – parfois dévorante il est vrai – de leur identité et que l’ordinaire ou le trivial se rappelle parfois à eux : réparer ou remplacer une chaudière, se remettre d’une relation amoureuse qui s’est mal terminée… Aucun personnage n’est héroïque ou manichéen dans Le Phare au Corbeau, ils ont leurs failles, font au mieux avec elles et contre elles, réagissent parfois de façon stupide mais toujours crédible. Le surnaturel n’est finalement qu’une épreuve de plus, qu’il faut surmonter, et qui est souvent lui-même fondé sur des éléments triviaux : jalousie, peur, rancœur, curiosité… Le processus est classique, mais bien mené, où finalement les personnages en apprennent autant sur eux que sur les mystères auxquels ils sont confrontés.

Le phare au Corbeau est un roman équilibré, aux ingrédients bien dosés et où l’autrice n’oublie ni le décor, ni l’intrigue et surtout pas ses personnages. En somme, les accents d’une country fantasy à la française, que l’on prolongerait volontiers par une suite.

Vous aimerez si vous aimez la Bretagne, les personnages humains qui baignent dans le surnaturel.

Les

  • Très classique
  • Un petit manque de rythme
  • Une tendance à la romance ou aux histoires de coucheries

Les +

  • Une belle ambiance
  • La construction du récit qui permet de développer une intrigue
  • Une couverture d’Anouck Faure très inspirée

Extraits choisis de Le phare au corbeau sur la blogosphère : une belle découverte pour Zoé ; une lecture immersive pour la Geekosophe.

Résumé éditeur

Isaïah et Agathe officient comme exorcistes à Paris. Lui pratique la magie hoodoo, elle possède un don de double vue. Ensemble, ils chassent les fantômes qui hantent des maisons habitées, et leur affaire connaît un succès grandissant. Lorsqu’un jeune couple les engage pour effectuer un exorcisme dans un vieux domaine breton sur le point d’être transformé en maison d’hôtes, ils se préparent à une banale intervention. Mais le cas se révèle bien plus épineux que prévu. D’inquiétantes légendes entourent le mystérieux manoir de Ker ar Bran et son phare délabré, les voisins sont sur le qui-vive. Pour comprendre et conjurer les origines du Mal, le duo devra se plonger dans le sombre passé de ce village du bout du monde…

Le phare au corbeau de Rozenn Illiano, aux éditions FolioSF (2022, première édition en 2019 chez Critic), couverture de Anouck Faure, 464 pages.

8 commentaires sur “Chronique – Le phare au corbeau, Rozenn Illiano

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  1. Je partage ton sentiment sur ces belles ambiances aux sonorités rurales et fantastiques mais aussi les points plus faibles comme le manque de rythme même si ici cela m’a rendu le récit plus pénétrant.
    Un nouveau récit de Rozenn en ligne de mire ?

    Aimé par 1 personne

  2. Pour intégrer ma PAL qui na guère dégraisser ces derniers mois, il me faut un poil plus d’enthousiasme et peut-être pas de coucheries.
    Je n’ai pas encore lu un récit de Rozenn, et que conseillerais-tu pour s’aventurer sous sa plume ?

    Aimé par 1 personne

    1. Si à l’occasion elle fait une autre incursion en imaginaire qui passe sous mes yeux, je me laisserai tenter, et c’est déjà bon signe. C’est très classique mais la french touch est agréable, et j’ai apprécié la construction rigoureuse du texte, qui tient ses promesses.

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