La figure du loup-garou est parent pauvre ma bibliothèque. Ce n’est pas pour autant une figure que je mais il est peu présent dans les collections imaginaires qui m’intéressent – je ne lis peu ou pas d’Urban Fantasy et toutes ses déclinaisons. Peut-être moins séduisant ou ambivalent que le Vampire, l’image qui leur colle aux pattes est celle d’une créature qui perd tout contrôle à la pleine lune, primaire, brutale. Mais c’est aussi un être dual, ambigu, toujours sur le fil du rasoir, quasi symbole de la dialectique nature/culture.
C’est cette direction qu’a explorée Louise Mey dans L’orage qui vient, texte hybride entre post-apo et fantasy, qui articule féminisme et respect de l’environnement à travers la figure de Mila, jeune louve-garou. Un texte court mais percutant, que j’ai beaucoup aimé.
Les protagonistes de l’orage L’orage qui vient forment une petite communauté, simplement baptisée Le Hameau, après un évènement, peut-être une apocalypse, « la Rétractation » – je suis fan de ce terme ! – dont on ne sait finalement pas grand chose. Ce petit village est à l’écart de tout et se tient à distance prudence du monde urbain : les échanges sont réduits au strict minimum et la localisation du Hameau est secrète, les invités y sont conduits masqués. Louise Mey donne des allures d’utopie à cette communauté quasi autarcique, où les décisions sont prises après débats et vote. Le roman, ou novella tant il est court, appartient au genre de la Fantasy car les habitants – du moins ceux du Hameau – sont familiers d’une forme de magie, les Eaux, aux vertus variées allant du soin à l’oubli. Cette ressource doit rester secrète car elle serait immanquablement sujet à convoitise par les habitants de la ville qui y verraient avant tout un simple produit à valeur marchande élevée. Le retour à la terre est un thème récurrent de la littérature en général, et partagé par différents courants politiques, dont certains penchant très largement sur la droite du spectre ; rien de tout ça ici.
« Ce qui est précieux, c’est le Hameau lui-même, ce petit village perdu aux maisons basses dont les toits de chaume émergent au détour de buttes rondelettes et de chemins de terre sèche. Ce qui est précieux, c’est que chacun sait et partage, cette communauté que toutes les personnes réunies ici parviennent à faire vivre et prospérer. Les systèmes d’arrosage et de plomberie des Kerra, la maitrise des racines d’Ela, le talent pour soigner les moutons des épouses Grive, l’instinct appliqué de Kine pour préparer, teindre et tisser les fibres animales et végétales. Elles y vivent ensemble, elles toutes et pas d’hommes. Il y a Timo le Zumo, il y a Amo, le fils aîné des Grive qui quittera bientôt le Hameau, il y a le petit dernier de Kine. Mais aucun homme adulte. Ce n’est pas fait exprès mais c’est comme ça : des fois ce sont des choix, des fois des accidents, d’autres fois la vieillesse mais finalement elles sont toutes ensemble, s’aident et s’apprécient, tout n’est pas parfait mais cela fonctionne, et c’est ça, tout ça, le plus précieux. Non, le lavoir n’est pas la chose la plus précieuse, c’est celle qui a le plus de valeur. »
L’autrice distille en effet des éléments qui mettent en évidence sa conscience écologique. La société d’avant la Rétraction – probablement la notre ou un système s’en approchant – est parfois mentionnée au détour d’une phrase et on devine une catastrophe écologique. La consommation excessive, de viande par exemple, et le gaspillage qui va avec est considérée comme une aberration, tellement stupide qu’elle en est contre nature, irrationnelle. Au sein du hameau, les habitants ne prélèvent et produisent que ce dont ils ont besoin, de manière raisonnée. Habitantes en réalité, car sa particularité est aussi d’être une communauté féminine inscrivant le texte dans la continuité de certains travaux de sociologie ou d’anthropologie qui estiment le coût, environnemental mais aussi social, que représente le patriarcat. La société inventée par Louise Mey n’en est pas pour autant parfaite – les consommateurs assidus du Bollore’s imperium hurleront tout de même par principe à la misandrie, histoire d’alimenter leurs paniques – car les rivalités et divergences d’opinion, parfois sévères existent ; mais la démocratie et la conscience d’un bien commun (je ne saurais que trop vous conseiller à ce sujet la lecture des travaux d’Elinor Ostrom) sont un ciment solide. L’arrivée d’un homme bouleverse cet équilibre, celui-ci ayant été éduqué en parfait petit bourgeon du patriarcat : intéressé par la bagatelle – les habitantes ne sont d’ailleurs par de bois -, qui aime se faire servir et intéressé par la possession, la conquête. Louis Mey dénonce donc, de manière très explicite l’anthropocène ou même le capitalocène masculin.
« Dans un mélange de grognements et de hargne, les sangliers refluent, à travers la forêt. Ils me laissent le marcassin. Ils me laissent mon repas. Ils me laissent abréger ses souffrances. J’entends les pleurs de la femelle qu’on oblige à abandonner son petit. Quand celui-ci me voit avancer, il glapit, une note suraiguë, emplie de panique. Je n’ai aucune raison de lui faire plus de mal que nécessaire. Je fais quelques pas rapides. Je lui donne un coup de dent sur la nuque, il est silencieux, c’est fini, je mange. »
L’orage qui vient est un récit de rencontre, collision et confrontation. Entre Natan, homme mené depuis peu au Hameau et dont l’arrivée bouleverse l’harmonie, et qui incarne symboliquement le coucou parasite ; et Mila, adolescente qui glisse doucement vers l’âge adulte, mais dont la part animale est bien réelle car elle est une louve garou, dont les pouvoirs se déploient. L’équilibre est au centre du récit, avec une communauté tout à fait capable d’intégrer une créature telle qu’elle en son sein, si elle ne prélève que ce qui est nécessaire. Natan lui se contente de faire illusion, en exagérant les services qu’il rend pour les rendre visibles, mais en provoquant des dégâts par sa relation aux femmes, sa paresse réelle, et ses possibles intentions ; malgré sa présence exceptionnelle, sa minorité, il se comporte en dominant. L’autrice dépasse ainsi la dialectique nature/culture en montrant que les deux aspects peuvent cohabiter, voire être symbiotiques, et que la culture – entendue ici comme construction sociale – peut en réalité cacher de bas instincts, servir à conforter et renforcer une hiérarchie au profit d’une partie de la population. Mila incarne à la fois une force primordiale, gardienne, et surtout la colère face à une situation injuste, à l’aveuglement d’une partie des membres de la communauté qui tombent sous le charme de Natan et dont la présence ravive de vieilles tensions et blessures.
L’orage qui vient est texte engagé, enragé même, où l’on imagine une société fondée sur la sororité qui n’est peut-être pas parfaite, mais qui dégage un doux parfum d’utopie.
Vous aimerez si vous aimez déconstruire – voire dévorer cru – le patriarcat.
Les –
- Manque parfois un peu de subtilité
Les +
- La description de cette petite communauté, le Hameau
- L’écriture
- Très prenant
Extraits choisis de L’orage qui vient sur la blogosphère : un récit fort pour Sometimes a book ; un vrai régal pour Tachan.
Résumé éditeur
» Vous n’avez pas peur, seules dans ce hameau, sans personne ? «
Depuis la Rétractation, Mila vit avec sa mère et d’autres femmes et enfants dans un lieu tenu secret et isolé, le Hameau. Cette communauté solidaire, travailleuse et paisible se pensait à l’abri de la violence et de la folie des hommes qui ont ravagé le monde d’Avant. Mais l’arrivée d’un inconnu bouscule la tranquille et bienveillante routine. Mila ne le sent pas, cet étranger. Tous ses poils se hérissent à son contact, et son instinct lui hurle de se méfier. N’ont-elles pas fait entrer le loup dans la bergerie ?
L’orage qui vient de Louise Mey, aux éditions Pocket (2025, première édition en 2022 chez La ville brule), couverture de Germain Barthélémy, 176 pages.

Je le savais que ce n’était pas pour moi… mais pourquoi j’insiste à lire tes chroniques !
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Au choix : 1) au fond tu es sympa 2) au fond tu es maso 3) tu es subjugué par mes qualités d’écriture.
Si j’ai le temps de la rédiger, celle de samedi devrait t’intéresser bien davantage 😉
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Un peu des trois…
Et j’attends donc samedi avec impatience. lol
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Merci beaucoup pour le lien ! C’est en effet l’une de mes plus belles et marquantes lectures de l’année à ce jour, alors je suis ravie qu’elle t’ait plu aussi 😀
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Oui c’est vraiment marquant 🙂
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