La collection RéciFs lancée par les éditions Argyll – avec un F majuscule comme Féminisme – continue de tracer son sillon dans le paysage éditorial français, et contribue à y ancrer un peu plus le format de la novella, ainsi qu’un engagement plus que jamais nécessaire.
Re:Start pourrait être le porte-étendard de cette ligne éditoriale et le ton est donné dès l’avertissement annoncé en première page. L’autrice décrit avec acidité l’avènement d’une firme transnationale 3.0, véritable projet dystopique aux dérives sectaires qui s’appuie les possibilités offertes par les dernières technologies et où les femmes deviennent leurs propres bourreaux.
Re:Start est le nom d’une puissante firme transnationale dont l’objectif affiché est de permettre aux femmes de devenir la meilleure version d’elle-même… ou du moins celle attendue par la société. Son cœur – cerveau ? appareil digestif ? – est une petite société pyramidale, avec sa fondatrice Geneviève au sommet, puis les Lumineuses qui sont les plus méritantes, jusqu’à la base formée par les nouvelles entrantes, tutorées par des femmes plus expérimentées. Le fonctionnement décrit par Katia Lanero Zamora est absolument totalitaire, avec des réunions obligatoires, des mantras à mémoriser prévus pour toutes les situations, un système de points qui récompense le mérite et que l’on peut dépenser pour progresser au sein de la hiérarchie ou obtenir des privilèges. Ces points illustrent le poids donné à la quantification des actes – et même des pensées – et dont le juge de paix ultime est bien évidemment le poids, avec une pesée ritualisée. Le contrôle sur les corps et les esprits est alors total. L’autrice introduit d’ailleurs une dimension morale, et même religieuse, au fonctionnement de Re:Start, avec les classiques éléments de langage de ces sociétés qui s’articulent entre le mérite – le bullshit « quand on veut on peut » – et une forme de destinée, version pervertie et dystopique de l’humanisme, où les femmes deviendraient des déesses, avec Geneviève au sommet et ses douze apôtresses. Re:Start est à deux doigts de nous vanter la Femme Nouvelle.
« Geneviève papillonne d’une Lumineuse à une autre, prodigue des encouragements à certaines, des remontrances à d’autres. Elle prend soin de chaque nouvelle venue. Geneviève Legrand ne fait pas ses soixante ans. Elle dit son âge, le clame même, quand elle poste ses prouesses sportives, ses nouveaux projets, quand elle apparait dans des tenues flattant se silhouette parfaite. Elle est la première consommatrice des produits Re:Start, elle est le visage du programme. Pour Geneviève, le pire ennemi de la femme est sa tendance à l’autosabotage ; sa force est d’avoir mis au point une vraie hygiène de vie qui combat l’entropie et la nature humaine. Cela passe par la discipline et le soutient de la Communauté. Dans une interview récente, elle a encore déclaré que lorsqu’elle a fondé Re:Start, ekke était mère célibataire en post-partum, vingt-six kilos de grossesse superflus, au chômage. Si elle y est arrivée, tout le monde le peut. Il y a celles qui s’en donnent la chance et les autres, qui se donnent des excuses. »
Re:Start s’inscrit donc dans le genre de la dystopie et emprunte des éléments résolument SF, qui ne sont même que des aspects à peine plus avancés de notre propre époque. L’autrice pointe ainsi le rôle que peuvent jouer les IA, d’abord considérées comme conseillères, jusqu’à devenir totalement prescriptrices, offrant la sérénité et le repos que permet l’abandon du libre-arbitre. Dans cette communauté, l’usage de l’IA d’assistance – et davantage – Shannon est impérative. J’y ai perçu une version numérique du rôle tenu aujourd’hui par certains et certaines influenceuses qui créent une véritable communauté toxique dont ils sont le sommet, et où les conseils s’écartent toujours un peu plus du sujet premier, le corps en l’occurrence, dans une démarche holistique – bullshit bis. Geneviève incarne tout à fait cette tendance, articulée autour de l’histoire de celle qui est parti de rien, et même moins que rien, jusqu’à fonder un empire… lucratif. Car Re:Start est également une entreprise qui vend des produits miracles (un autre aspect de la SF) qui finissent par provoquer dépendances et autres effets secondaires douteux. Nous y sommes déjà, les influenceurs sportifs ayant investi le business des protéines ou autres boissons énergisantes. La novella en rappelle alors immanquablement une autre, l’excellent Sweet Harmony de Claire North, mais Katia Lanero Zamora a une approche différente en introduisant l’aspect totalitaire et le délire mystique, peut-être même un peu trop, avec une scène à la fin du récit que j’ai trouvé exagérée et qui, pour moi, atténue la porteé crédible du récit et donc le message.
« « Allez, hop, chaussures. » Mona s’exécute et monte sur la balance au plateau transparent qui transmet ses informations à la tablette que tient Amelia. Il y a toujours un petit moment de stress.
« Plus deux cent grammes, qu’est-ce qui s’est passé ?
– La constipation ? »
Amelia encode les données sur le profil de Mona qui se félicite d’avoir sauté le petit déjeuner.
– Y a le Laxa Kif pour ça. Ca te fait moins dix-sept kilos en un an et deux semaines. Tu stagnes un peu depuis un mois. Va falloir redresser la barre, jeune fille. » »
Je conseille la lecture des deux textes car l’autrice de Re:Start apporte un oeil neuf et complémentaire. D’une part, elle choisit de donner à son texte une orientation thriller très efficace qui happe la lectrice ou le lecteur. Il y a une énigme à résoudre, un mystère à dévoiler et donc une intrigue efficace, malgré le contrainte du faible nombre de pages. Le personnage principal, Mona, a suffisamment de densité pour être convaincante et Katia Lanero Zamora fait attention à éviter le piège du simplisme. Il y a chez Mona une véritable ambivalence, remarquablement mise en scène par un procédé littéraire, qui est convaincue de la toxicité du projet Re:Start mais qui ne peut s’empêcher d’être séduite et fascinée par le reflet que lui renvoie son miroir. D’autre part, l’autrice fait le choix d’une novella peuplée à 100% de personnages féminins, hormis l’épilogue et quelques allusions. Ce choix est judicieux car il met à nouveau l’ambivalence en valeur : les femmes, en intégrant inconsciemment les normes de la société patriarcales, deviennent finalement leurs propres bourreaux. Dans cette communauté, c’est avant tout le regard des autres habitantes de la communauté qui fait fonction de régulateur social. Elles adhèrent aux normes et les imposent aux autres dans un rapport de majorité. Une version du texte où un homme aurait été au sommet de la hiérarchie aurait été à mon sens beaucoup moins percutant.
Re:Start est un texte incisif, souvent dérangeant, qui ne tombe pas dans le piège de la caricature manichéenne. Si l’entreprise inventée – si peu finalement – par l’autrice vante un nouveau départ pour ses adhérentes, on espérera que le texte contribue au départ d’une société qui finira par dévorer le patriarcat.
Vous aimerez si vous aimez la SF engagée qui rappelle le poids du regard social sur les femmes.
Les –
- Une scène qui m’a sorti du texte
- Des passages nécessaires mais parfois durs
Les +
- Le personnage de Mona
- L’ambiance thriller
- Une réflexion salutaire sur l’emprise technologique
Extraits choisis de Re:Start sur la blogosphère : Percutant et très bien écrit pour Célinedanaë ; un nouvel appel contre la tyrannie du beau pour le Nocher.
Résumé éditeur
Comme quarante pour cent de la population mondiale, vous êtes en surpoids ? Vous ne vous reconnaissez plus dans le miroir ou vous n’osez même plus vous y regarder ? La nourriture vous contrôle ?
Rejoignez dès maintenant Re:Start. Disciplinez-vous et dites adieu aux mauvais comportements. Car vous êtes une déesse et votre corps est un temple.
Il y a celles qui se donnent des excuses et celles qui se donnent des chances…
Et vous, que choisissez-vous ?
Mona a intégré le prestigieux village Re:Start, une communauté entièrement dédiés à la beauté des femmes. Ses habitantes, les Lumineuses, sont prêtes à embrasser leur féminité et à saisir l’opportunité de devenir des déesses grâce au programme sportif et aux gélules minceur préconisés par leur modèle et mentore, Geneviève.
Mona a gravi les échelons, elle est désormais Semeuse. Tout semble parfait dans ce paradis des corps et de la féminité… jusqu’au jour où sa meilleure amie perd le contrôle.
Y aurait-il une faille dans ce programme de rêve ?
Re:Start de Katia Lanero Zamora, aux éditions Argyll, collection RéciFs (2025), couverture d’Anouck Faure, 128 pages.

Je ne peux qu’être d’accord avec ce décorticage en règle des plus pertinents que tu nous offres, notamment sur la place de la femme dans son propre calvaire. J’aime beaucoup ton analyse !
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Merci merci !
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En plus de la couverture qui me plaît bien et qui a un côté « zen et bien-être » qui, vu ton avis, est fort trompeur, le roman m’intrigue par les questions qu’il soulève mais aussi son aspect thriller qui devrait rendre la lecture plutôt addictive.
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Nous sommes nombreux à faire le rapprochement avec la novella de Claire North alors qu’elles sont très différentes sur le fond comme sur la forme.
Et comme tu dis il y a quelques facilités sur celle-ci qui font perdre la force du texte.
Mais cela reste un texte intéressant à lire.
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