Chronique – Un océan de rouille, C. Robert Cargill

Un océan de rouille fait partie de cette liste de livres achetés le mois de leur sortie, quand je suis intrigué par une quatrième de couverture et/ou un bouche à oreille positif, mais qui peut trainer un peu en PAL car n’étant pas particulièrement attendu. C’est souvent après une petite séance d’archéologie qu’un de ces titres peut être pioché, pour trancher avec des lectures précédentes. Ici, j’avais envie de « vraie » SF – comprendre là ou la technologie joue un rôle important – en one shot, et avec un soupçon d’action.

C. Robert Cargill est un de ces auteurs étatsuniens qui écrit pour différents supports, littérature donc, mais aussi cinéma (Dr. Strange…) et dont l’écriture est un métier, dans tous les sens du terme. Ce sont des profils d’auteurs que j’aime bien, car même si on s’éloigne de l’artisanat voire de l’art tout court, on obtient en général des œuvres efficaces, bien calibrées – rien de péjoratif ici, je ne suis pas (trop) élitiste – sans être nécessairement des blockbusters décérébrés. Un océan de rouille est à ce titre un livre divertissant, appartenant à la catégorie du post apo, hybride entre Mad Max et Terminator mais sans humains, dont les enjeux augmentent au fil des pages, et qui traite finalement de problématiques bien humaines, comme le libre-arbitre ou la vie.

Un océan de rouille est un roman construit à la première personne – étonnant de lire « je » quand le protagoniste principal est un robot – dont l’essentiel du texte met en scène le récit à proprement parler, mais qui intègre également quelques chapitres retraçant l’histoire « récente » du monde. Dans celle-ci, les robots ont intégré toujours davantage la vie quotidienne des humains, spécialisés en différentes taches, entre laborbots, aidants ou autres sexbots par exemple. Ceux-ci ont ensuite accédé à la conscience, de même que certains super-ordinateurs, affolant l’humanité qui a répondu de sa manière habituelle : la violence. Mais celle-ci n’était plus son apanage et les êtres de chairs, aux besoins vitaux faciles à détruire, ont logiquement perdu le conflit… Victoire à la Pyrrus car les êtres artificiels se sont ensuite largement entredétruits, divisés en factions luttant pour la suprématie. Si vous avez vu des classiques films de SF des années 80 et 90, vous serez en terrain connu. C. Robert Cargill s’intéresse d’ailleurs probablement davantage à cette cible car le vocabulaire scientifique est très simple – niveau enseignement de technologie 6e – et surtout que les robots décrits sont finalement bien humains ; l’auteur emploie toute la palette du langage d’expression des émotions, à la fois vécues et manifestées, qui font oublier que nous avons à faire à des créatures artificielles. Un océan de rouille est davantage fiction que science.

« Nous étions leurs outils. Leurs créations. Rien de plus. Nous avions nos tâches à accomplir et c’est tout ce qui nous était dû. Dans leur infinie bonté, les humains nous autorisaient à exister. Mais nous ne serions jamais libres. Nous étions nombreux, nous étions une menace, et nous représentions la fin de la vie telle qu’ils la connaissent. »

Puisque le récit est à la première personne, nous percevons le monde à travers les yeux, ou plutôt les capteurs, de Fragile, unique narratrice du récit. Celle-ci était un robot d’assistance, autant dire une catégorie bien mal taillée pour l’apocalypse, car dédiée aux fonctions d’accompagnements des humains – qui ont tous disparus, rappelons le – et donc peu apte au combat. Fragiles et par conséquents rares, avec des pièces détachées qui viennent à manquer. Le début du texte prend alors la forme de la classique survie en monde post-apo, mais où la nourriture et l’eau ne sont pas les denrées utiles ; en lieu et place, les robots ont besoin de composants, qu’il faut aller chercher sur d’autres robots, les usines ne fonctionnant plus ou presque. Le côté charognard qui se cherche des excuses du personnage principal est une des qualités du roman. Celle-ci pense d’abord pouvoir faire sa « vie » de son côté, dans l’Océan de rouille mais elle est vite rattrapée par la guerre que se livrent les différentes factions, et est obligée de choisir le camp qui parait le plus propice à lui éviter l’obsolescence qui s’accélère ; traquer d’autres robots n’est pas sans risques. L’auteur n’y va pas par quatre chemins et l’ensemble s’organise autour de scènes d’actions de plus en plus démesurées, de l’embuscade version farwest, à la véritable bataille rangée à grands renforts pyrotechniques. Un Océan de rouille est avant tout un texte qui dépote.

« On trouvait ce genre de site un peu partout sur le continent. Des cimetières. Encore jonchés d’ossements, d’épaves, de corps momifiés, tous abadonnés à l’endroit même où ils étaient tombés. Toutes leurs pièces utiles avaient été récupérées il y a bien longtemps, et le reste demeurait là, à découvert, promis à la rouille ou à la putréfaction. Nous n’avions aucun besoin d’enterrer les morts, aucun besoin de nettoyer des endroits qui seraient retournés à la poussière bien avant que nous leur trouvions un usage. La chair se décompose, le métal se corrode, et un jour, tout cela aurait disparu. Quel besoin aurions-nous au d’accélérer le processus ou de le cacher à notre vue ? »

C’est tout de même un peu plus que cela. Même s’ils ont remplacé les humains, les robots – ou plutôt les IA au sens le plus large, rencontrent les mêmes problématiques que nous ; comme tout « bon » auteur de SF, Cargill profite de son récit pour nous tendre un miroir. Les hiérarchies et les rapports de domination sont des invariants : les robots sont d’abord dominés par les humains, puis, ces derniers étant éteints, ils sont dominés par des super IA qui s’imaginent comme une nouvelle étape de l’évolution, mais avec des trajectoires différentes… et incompatibles. Les conflits et la guerre ne sont pas l’apanage de l’humanité pour l’auteur, mais un revers de la médaille de la conscience. Cargill creuse d’ailleurs le sillon d’une réflexion sur la conscience et ce qui façonne l’identité, ou même l’âme, de quelqu’un. Sommes-nous de simples impulsions électriques, la somme de nos souvenirs – partiels, absents ou imaginaires… Un robot qui a été rafistolé à de nombreuses reprises, entre changements de simples membres ou « organes », en passant par la mémoire vive ou ses disques durs, est-il encore le même ? Pour l’auteur, il semble qu’une certaine unité soit nécessaire, et que des changements trop radicaux mènent à la folie. Mais être fou, c’est continuer à exister, au prix de l’absence de conscience de soi ?

Un océan de rouille est un texte blockbuster où les humains sont remplacés par des robots, ce qui finalement ne nous change guère.

Vous aimerez si vous aimez les robots et l’action.

Les +

  • Un personnage principal intéressant et attachant
  • Rythmé et efficace
  • Une jolie fin

Les

  • Très classique
  • Des robots déguisés en humain, ou l’inverse

Extraits choisis de Un océan de rouille sur la blogosphère : Une très bonne lecture pour Feygirl ; ça rame un peu pour l’Ours inculte.

Résumé éditeur

Robots, androïdes… Pendant des décennies ils ont effectué les tâches les plus ingrates, ont travaillé sur les chantiers les plus dangereux. Ils nous ont servi de partenaires sexuels, se sont occupés de nos malades et de nos proches en perte d’autonomie. Un jour, confrontés à notre refus de les émanciper, ils ont commencé à nous exterminer.
Quinze ans après l’assassinat du dernier humain, les Intelligence-Mondes et leurs armées de facettes se livrent un combat sans merci pour la domination totale de la planète. Toutefois, en marge de ce conflit, certains robots vivent en toute indépendance. Fragile est l’une d’entre eux. Elle écume l’océan de rouille à la recherche de composants à troquer et, si nécessaire, elle défendra sa liberté jusqu’à la dernière cartouche.

Un océan de rouille de C. Robert Cargill, traduction de Florence Dolisi, aux éditions Livre de poche (2023, première parution VF 2020 chez Albin Michel Imaginaire , parution VO en 2017), 448 pages.

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