Il y a plusieurs types de trilogies (ou de cycles). Du roman scindé en plusieurs parties, aux histoires complètes mais reliées par une intrigue plus vaste, plus ou moins présente dans le récit, en passant par la trilogie qui n’en était – peut-être – pas une mais qui le devient par la suite. Ce n’est qu’une hypothèse, mais il me semble que le type auquel appartient Rosewater, de Tade Thompson, et c’est la première fois que ce cas de figure se présente dans le cadre de cette rubrique.
Je conserve néanmoins la structure habituelle avec une chronique du cycle dans son intégralité, tout en évitant au maximum de spoiler : une présentation générale de la trilogie et de ses thèmes, l’articulation des tomes et, en guise de conclusion, l’intérêt général en tant que cycle, en toute subjectivité. Ici, Rosewater est une trilogie qui ne laisse pas indifférent, avec de grands défauts, mais aussi de belles qualités.

Rosewater est d’abord le nom du lieu où se déroule l’action du récit : une mégapole-champignon du Nigéria. Cette croissance fulgurante, outre la transition démographique que connait cet Etat africain, s’explique surtout par l’apparition d’un dôme d’origine extraterrestre et dont les effets sont, entre autres, de guérir régulièrement la population ou encore le développement d’une xenosphère, forme de cyberespace. Celle-ci a un rôle prépondérant dans l’histoire et le personnage principal du premier tome, Kaaro, est particulièrement lié à cet aspect. L’ensemble pourrait donc être classé dans le genre du Cyberpunk, à la fois par les progrès et l’importance de la technologie : on retrouve donc drones, armes à la létalité encore accrue et leur corollaire, les indispensables systèmes de protection ; mais aussi par la description d’une société devenue encore plus inégalitaire (le Nigéria réel et actuel étant déjà systématiquement dans le dernier quart des indicateurs mesurant les inégalités), où la corruption est endémique et la loi du plus fort règne. Néanmoins, là où le genre cyber se base sur la technologie et dénonce les méfaits des grandes corpos, avatars de nos firmes transnationales contemporaines, l’auteur y intègre donc une composante alien et une critique des élites politiques, à toutes les échelles. Les enjeux sont donc démultipliés.

Ces enjeux sont d’ailleurs intégrés au fil des tomes. Et si le premier est orienté résolument vers le thriller cyber/bio/xeno-punk, avec un héros travaillant plus ou moins pour des services étatiques, les tomes deux et trois se concentrent davantage sur la politique locale et ses répercutions. Le maire de la ville, Jack Jacques, devient un personnage de plus en plus important : un ville comme Rosewater représente de facto une anomalie dans un Etat en tant que lieu de pèlerinage, et donc la manne économique qui en découle, ou territoire protégé par une forme d’ambassade alien. L’intrigue liée au dôme et aux autres formes de vie alien se développe en parallèle, les situations se répondant et se compliquant l’une l’autre. Si vous décidez de vous lancer, vous pouvez donc lire le premier tome et vous arrêter ; le tome deux et trois s’enchainent par contre et forment plutôt un tome unique coupé en deux. Je me suis même demandé si le tome 1 n’était pas plus ou moins prévu comme un One Shot : les enjeux et même la forme narrative évoluent énormément passé ce premier volume. L’ensemble est très dense, avec de nombreux flashbacks, auxquels il faut ajouter un aspect choral très marqué : Kaaro devient par exemple plus secondaire au milieu de l’histoire – ce qui n’est pas nécessairement gênant car il peut être détestable. Il n’y a pas d’exposition et il est parfois difficile de suivre l’histoire, surtout quand des éléments arrivent sans crier gare, et sans explication. J’ai été obligé de relire certains passages pour être bien certain d’avoir compris – souvent non d’ailleurs, la réponse n’apparaissant que plus tard souvent. De plus, le contexte du Nigéria nous sort d’une zone de confort routinière et implique donc un peu plus de complexité.

En dépit de ces défauts, ce contexte est pour moi une des grandes forces de Rosewater. Tade Thompson s’inscrit en effet dans le genre de l’afro-futurisme, une forme de SF qui se différencie, voire prend le contrepied, d’une production occidentale. Je l’ai déjà évoqué, il y a les éléments propres au Nigéria mais aussi la manière dont l’auteur traite une invasion extra-terrestre, qui n’est finalement qu’une nouvelle invasion. Le spectre de la colonisation n’est pas loin et toutes les ambiguïtés qui en découlent. On retrouve par exemple les figures des intermédiaires, qui font le lien entre une force d’occupation et les peuples colonisés : Kaaro en est une incarnation, et il est parfois difficile de savoir quels sont les intérêts qu’il sert, très probablement les siens avant tout. Ici, le dôme est à la fois une malédiction, une épée de Damoclès, mais aussi un atout face aux autres métropoles, Etats africains ou anciennes puissances coloniales. Comme dans toute situation coloniale, on retrouve des résistances actives ou passives, des opportunités pour une minorité, et dans tous les cas des transformations de plus en plus importantes, et irréversibles, quand cet état de fait se prolonge dans le temps.
Rosewater est un cycle dense, aux aspects cyber marqués, qui décrit en profondeur ce que pourrait être une invasion alien, lente et inéluctable… qui pour une fois ne prendrait pas racine à New-York, Londres (quoique…) ou Tokyo.
Vous aimerez si vous aimez une SF résolument différente, avec un soupçon d’horreur
Les +
- Une SF qui change de continent pour une fois
- Une attention particulière de l’auteur aux personnages
- Un traitement original de l’invasion
Les –
- Un personnage principal parfois détestable, surtout avec les femmes
- Un ensemble touffu, voire confus
- Des problèmes de rythme
Résumé éditeur du premier tome
Nigeria, 2066. La ville de Rosewater a poussé comme un champignon autour d’un biodôme extraterrestre apparu quelques années plus tôt, et qui suscite de nombreuses interrogations parmi la communauté internationale. Les habitants de Rosewater se fichent bien du comment et du pourquoi, tant que le dôme continue de dispenser ses guérisons miraculeuses lors de son ouverture annuelle. Agent de répression de la cyberfraude, Karoo travaille secrètement pour le S45, une officine d’État chargée de missions plus ou moins discrètes qui l’a recruté en raison de ses pouvoirs psychiques. Mais aujourd’hui, ses talents font de lui une cible…
Rosewater : Rosewater, Rosewater Insurrection, Rosewater Rédemption, de Tade Thompson, traduction de Henry-Luc Planchat, illustrations des couvertures Alice Peronnet, aux éditions J’ai lu, (parution vo en 2016, 2019 et 2019 – présentes éditions en 2020, 2021 et 2022, parution initiale aux Nouveaux Millénaires).
Prix Arthur C. Clarke 2019, Utopiales 2020.

J’ai lu le premier mais j’ai vraiment du mal à sortir le deuxième de ma PAL
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J’ai espacé mes 3 lectures et je l’ai regretté. Trop de personnages.
Après, le 1er se suffit à lui-même donc faut pas se forcer amha.
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J’ai justement un souvenir assez confus du tome 1 et je n’ai jamais poursuivi mais j’aimerais un jour relire et poursuivre car je suis curieuse de lire la suite de ce développement sur le traitement de l’invasion.
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J’ai bien aimé même si la fin est un peu expéditive.
C’est aussi ce qui me fait dire que la trilogie n’était pas prévue au départ : j’ai l’impression que l’auteur ne comptait pas forcément donner toutes les réponses…
Dans tous les cas, pour son ampleur et son originalité, c’est pour moi un cycle qui mérite lecture, et le premier est un vrai coup de cœur.
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Je vais donc essayer de penser à le mettre dans ma liste des titres à relire / qui donner une seconde chance !
Merci 😀
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