Chronique – L’âme du chien, Antoine Ducharme

Il m’arrive d’être sarcastique quant au cynisme de certaines maison d’éditions qui éditent, rééditent, encore et encore, les mêmes textes et mêmes auteurs. J’y revendique volontiers une part de mauvaise foi, d’autant plus que je n’ai pas une entreprise à faire vivre, alors je salue aussi les prises de risques, et encore davantage pour un genre aux codes bien établis, voire sclérosés.

L’âme du chien d’Antoine Ducharme est une novella qui tranche. Un univers à peine esquissé qui flirte avec les mythes fondateurs, entre réflexions sur l’héroïsme et le destin, avec une plume que ne renierait pas un aède – enfin, qui eux n’utilisaient pas de plume, mais qui récitent.

L’auteur ne livre que peu d’informations sur son univers, se contentant de distiller quelques noms, et uniquement pour leur puissance évocatrice afin que nous comprenions de quoi il parle. Ainsi, « la grande ville » serait un terme bien peu poétique : place à Salabanka. Oubliez le large worldbuilding hypertrophié – pourtant Antoine Ducharme, venant du monde du jeu, aurait pu avoir inclinaison à – où finalement une partie, plus ou moins vaste, des informations n’est pas utile à l’intrigue. Le décor est donc minimaliste et m’a rappelé les grands mythes et ses villes éternelles : Troie, Samarcande, Byzance puis Constantinople… Un grand conquérant, qui pourrait être Alexandre ou Hannibal – mauvais exemple – décide de partir à la conquête du monde depuis de sa ville-monde, face à un empire éternel, incarnation de l’hubris et de l’orgueil. La Fantasy « classique » ne s’y est pas trompé, tant ces villes ou empires (de Tolkien à Gemmel) sont censées incarner héroïsme et dépassement, pour conquérir ou protéger. Les espaces à conquérir sont peu décrits, quasiment désincarnés, comme s’ils n’étaient pas à conquérir pour des raisons stratégiques ou des ressources, mais juste parce qu’ils sont.

« Vous dont les rêves de gloire vous ont menés ici, soyez bénis par la lumière. Votre attente prend fin, et l’horizon s’éclaire. Vous dont la vigueur se nourrit d’arrogance, soyez transpercés par la colère. Un seul d’entre vous sera choisi, et son chemin sera celui de la plus vive douleur. »

Cette approche empruntant aux récits mythiques – pas de « mythologie » car peu ou pas d’éléments merveilleux – se retrouve du côté des personnages. Il y a a Alandros, surnommé aussi Cavalier aux poings de colère qui incarne, figure quasi allégorique, tous ces conquérants dont le seul but est de pousser toujours plus avant, triompher sans objectif, autre que celui d’avoir vaincu. Celui-ci a la faiblesse d’aller voir l’oracle pour arriver à ses fins, sans se douter – le lecteur omniscient et cultivé jubile – que le besoin de consulter l’avenir est la preuve vibrante et mortelle de son incapacité à triompher. Car elle affirme que le roi doit trouver un héros, héraut de sa puissance, pour accomplir son destin. Ce personnage est le guerrier à l’âme du chien, une forme de symbole inversé, négatif, de la figure du héros, et qui sera le fléau des autres héros. Guerrier romantique qui n’est qu’un amas de pulsions de destruction et de fureur ; à peine décrit, nommé du bout des lèvres, même son équipement est minimal : davantage une catastrophe naturelle qu’ être humain. Et pourtant. L’oracle, figure importante des mythes, est-elle même une réécriture de ce type de personnage canonique, souvent plus élément de décor que protagoniste à part entière. Antoine Ducharme s’inspire pour mieux s’affranchir.

« Les voix s’éteignent une à une. Les visages traversés deviennent des impressions, sauf un, parfois, dont l’éclat nous fascine et nous inquiète. Dans le silence de pierre et de lune, nous marchons. Les rues résonnent de la plainte de la nuit. C’est une voix ancienne, un récit de peu de mots. La question se répète, inlassablement. Quand cesseront la fatigue et l’ombre sur la vie ? Le murmure nous apaise un temps : la ville aussi ère avec sa peine.
Mais voilà le soleil et sa force qui ne tarit pas. Sa violence nous aveugle. Nous pensions être maitre de notre souffle, et le voilà qui nous emporte sur un chemin que nous ne désirons pas. La nuit se retire, les épaules s’affaissent. Il est temps de s’effacer. »

Si les mythes ont des éléments de fond caractéristiques, ils se distinguent aussi par la forme. L’auteur fait le choix d’en reprendre des codes, et s’éloigne ainsi d’une fantasy moderne, souvent très cinématographique et démonstrative. La plume est travaillée, flirtant souvent avec la poésie ou la geste, avec des envolées très romantiques où les émotions et éléments deviennent les sujets de la narration – abusant, peut-être parfois, de figures de style, autant que moi des virgules. Certaines parties s’ouvrent sur de cours paragraphes en italique rappelant les chœurs antiques. La lecture en est déroutante, tant nous n’avons plus l’habitude de lire – ou d’entendre – ce genre de récits. Les motivations des personnages sont parfois difficiles à percevoir, d’autant plus que leurs réactions peuvent être surprenantes, alors que nous sommes désormais accoutumés aux textes qui font la part belle à l’explicite. Même si cela crée un peu de distance et rend l’attachement plus difficile – quoique, ce guerrier m’a touché – j’ai apprécié ces personnages se débattant avec leur destin, l’embrassant puis le repoussant, parfois les deux à la fois, et qui incarnent des rôles qui les dépassent.

L’âme du chien est un court texte exigeant qui nous rappelle avec âpreté, beauté aussi, les racines de la Fantasy, tout en jetant un œil critique sur les incarnations héroïques.

Vous aimerez si vous aimez les gestes de sang, de pus et de larmes.

Les

  • Une écriture qui rend la lecture parfois un peu ardue
  • Une couverture de poche très peu inspirée, qui ne saisit pas l’essence

Les +

  • Un hommage aux gestes…
  • … qui sait s’en détacher pour mieux les interroger
  • C’est beau !

Extraits choisis de L’âme du chien sur la blogosphère : Yujine reste un peu sur sa faim ; un récit épique sur Fantasy à la carte

Résumé éditeur

Celui qui étreint l’âme du désert, qui chevauche et détruit les mondes n’a que peu de pitié pour ses ennemis et son peuple. Du haut de Salabanka, la ville dorée, il s’enorgueillit du destin que l’oracle lui a confié. Alors, quand la sibylle lui ordonne de trouver un bras droit, il s’exécute. Il lui faut un guerrier à l’âme de chien prêt à tout pour accomplir son avenir glorieux… Mais la prophétie est-elle réellement comprise par celui qui l’a reçue  ?

L’âme du chien d’Antoine Ducharme, aux éditions Le livre de poche (2025, précédente édition chez Mnémos en 2022), 128 pages.

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