Chronique – Après nous les oiseaux, Rakel Haslund

Je ne sais pas s’il s’agit du contexte général et particulier, ou un biais de loupe de ma part, mais j’ai l’impression que le post apo – genre qui raconte la fin du monde, pendant ou après – est à la mode chez les éditeurs d’imaginaire. Le tag « postapo » sur le blog donne d’ailleurs de nombreuses occurrences, toutes époques d’écriture confondues. Le genre navigue souvent entre descriptions habituelles des causes de l’apocalypse, espoir de survie et l’émergence d’une nouvelle – ou pas – société. Aussi, est-il encore possible d’écrire dans ce genre en le renouvelant, sans tomber dans un nihilisme bas de gamme ou la violence gratuite ?

C’est ce que réussit à faire Rakel Haslund avec son premier roman, Après nous les oiseaux. L’autrice danoise prend le parti d’un court récit minimaliste : en révéler le moins possible, introduire peu d’éléments pour nous faire éprouver une douloureuse solitude.

Après nous les oiseaux est narré à la troisième personne, mais nous sommes très loin d’un narrateur omniscient. Rakel Haslung fait le choix de limiter les informations au strict minimum : aucune scène d’exposition pour nous expliquer les causes de l’apocalypse, pas d’informations de lieu ni de date, même si nous pouvons deviner au fil de la lecture que les évènements sont relativement récents, datant de quelques années probablement, et que toute vie n’a pas été éradiquée. Le personnage principal est une jeune fille dont nous ignorons jusqu’au prénom ; principal et même unique personnage, en tout cas humain. Fillette qui devient adolescente quand le texte avance, ses premiers souvenirs clairs sont liés à l’apocalypse, s’ils sont fiables, tant elle est jeune et probablement traumatisée. Comme nous, elle ignore tout ou presque du monde dans lequel elle vit. Le texte est donc dépouillé de tout dialogue, ce qui donne un résultat très épuré, avec peu d’informations et d’émotions, presque comme raconté par un témoin froid, lointain, qui se contente de décrire ; impression renforcée par l’absence de prénom et l’emploi répété du prénom personnel féminin comme sujet de verbes simples, souvent d’action.

« La maison est seule entre des roseaux et l’herbe est si haute qu’elle lui atteint le menton. Depuis le goudron elle a vue sur une terre dégagée, la lisière sombre de la forêt n’est qu’à l’horizon. La rosée se dépose sur les prairies. Les mots lui viennent. Parfois, elle oublie un mot, mais parfois les mots peuvent surgir plus tard. Ils arrivent surtout quand elle ne pense pas à eux. Ils s’élancent alors d’un buisson, tombent d’un arbre ou glissent près de sa jambe comme un poisson. Prairie. Beaucoup des mots qui disparaissent ne reviennent pas, elle les perd et ne sait pas comment elle va les retrouver, parfois elle oublie même qu’elle a oublié un mot et alors il est vraiment perdu. »

L’héroïne a été élevée par Am – diminutif ou prononciation enfantine de maman ? – mais celle-ci s’est éteinte. Le temps de quitter le foyer où elle a grandi est venu, dans une forme d’ultime voyage sans but – enfin si, mais je vous laisse la surprise. Elle part, loin de ses souvenirs, en quête d’un ailleurs dont elle ignore tout. Le roman fait donc penser inévitablement à La route, remis sous les feux des projecteurs par l’excellente adaptation en BD de Larcenet. Néanmoins, ce dernier est construit surtout sur les dialogues et la relation père/fils, pour un texte linéaire et cru. Après nous les oiseaux est un texte sur les pertes liées à la solitude : les souvenirs, le langage, le sens des actions et des gestes du quotidien. A ce titre, le roman m’a davantage fait penser à la première partie d’un Vendredi ou les limbes du Pacifique, quand Robinson est encore seul. Le roman de Rakel Haslund est donc un texte moins minéral ou terrestre que l’ancêtre écrit par Cormac McCarthy ; ici mer et cieux forment le décor pour une ambiance aérienne et plus verticale.

« Elle s’assoit, sa main tendue. Dans la paume se trouve une tête de hareng séché. Elle ne doit pas regarder l’oiseau et garde ses yeux rivés sur la peau grasse et gris doré du poisson. Elle essaye de ne pas penser à l’oiseau non plus, mais c’est plus difficile, sa gorge est bouillante et si elle osait bouger son autre main, elle toucherait ses joues et les sentirait brûler. Ils se connaissent, après tout, elle sait à quel moment de la journée il arrive, quand il s’envole à nouveau, il aime jouer et voler jusqu’au dessus de sa tête quand elle s’y attend le moins, pour alors se poser sur la branche la plus proche et se moquer d’elle, mais il mange seul et il ne veut pas s’approcher plus, elle pourrait le toucher. Il y a une limite, un cercle invisible autour de l’oiseau, et chaque fois qu’elle le franchit, il s’envole et croasse. Jusqu’ici et pas plus loin. »

Après nous les oiseaux s’éloigne finalement de la forme du roman, empruntant à peine au modèle du schéma narratif. Les dialogues ont habituellement pour fonction, outre les échanges, d’énoncer les sentiments ou intentions des personnages, ceux-ci étant toujours plus loquaces et précis dans leurs énoncés que dans la « vraie vie ». Leur absence prive donc, volontairement, l’autrice de toutes ces possibilités techniques. Si vous cherchez donc un roman avec une intrigue construite, des problèmes à résoudre, de l’exposition et un dénouement, vous risquez une déception. Par contre, si un texte ressemblant davantage à un poème en prose, capable de montrer qu’il peut même y avoir du beau à la fin du monde, et surtout qui vous fera éprouver le sentiment de solitude, sans jamais être gratuit, alors ce texte est fait pour vous.

Avec Après nous les oiseaux, Rakel Aslund signe un texte original, qui renouvèle le genre avec son approche qui pourrait paraitre surprenante, mais qui prouve que l’on peut aussi éviter le piège de la violence ou du cynisme désabusé.

Vous aimerez si vous aimez que l’on vous raconte la fin du monde, la toute fin.

Les +

  • Poétique
  • Une pierre à l’édifice du genre
  • L’approche littorale

Les –

  • C’est tellement triste

Après nous les oiseaux sur la blogosphère : Tigger Lilly a aimé les questionnements existentiels, Celinedanaë pointe un roman sans artifices.

Résumé éditeur

Dans un monde en ruine, deux âmes ont survécu. Une jeune femme dont on ne connaîtra pas le nom et celle qui l’a élevée, Am, à l’abri sur une île. Mais à la mort de cette dernière, la jeune femme décide de prendre la route pour affronter le vaste monde où la nature a repris ses droits. Commence alors le long chemin vers le littoral, seule, totalement seule, avec, pour unique compagnie, tous les oiseaux du ciel…

Après nous les oiseaux de Rakel Haslund, traduction de Catherine Renaud, couverture d’Alice Peronnet, aux éditions Pocket (2024, première parution VF 2023 chez Robert Laffont, parution VO en 2020), 160 pages.

11 commentaires sur “Chronique – Après nous les oiseaux, Rakel Haslund

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  1. Bravo pour cette belle chronique éclairante et contextualisante. Je n’ai pas réussi à entrer dans ce texte pour ma part et je n’ai pas saisi le propos de l’autrice lors de ma lecture. J’ai juste pris plaisir à sa prose, comme j’aurais lu un assemblage de belles phrases 😅

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