Je termine ma semaine « Wells sans Wells ». Après Sherlock chez les Martiens et Wells héros de ses propres histoires, voici l’adaptation manga, qui vient de se conclure avec le troisième tome sorti en mars. Cette fois, point d’exercice littéraire ou de mise en abyme, mais une transposition du roman vers le média BD. Autre différence importante, les auteurs ne sont pas britanniques comme l’était Wells mais sont originaires d’une autre île – archipel pour être précis – à savoir le Japon. Quel est donc le niveau de fidélité vis à vis de l’œuvre d’origine et qu’est-ce que la « patte » nippone apporte à un matériel de base résolument british ?
De La guerre des mondes, je ne connais l’intrigue que par ses adaptations – dont le « film » avec Tom Cruise – ou par des résumés lus sur Internet et quelques références ici ou là. Aussi, quand les deux auteurs affirment, dans la postface du troisième tome, vouloir s’approcher au maximum de ce roman fondateur, ne modifiant que ce qui est nécessaire pour l’adaptation, j’y ai vu un bon moyen de le (re)découvrir. Le respect, dans tous les sens du terme, est d’ailleurs affirmé clairement puisque le nom « H. G. Wells » est associé directement au titre et est plus visible que que celui des deux mangakas. La date qu’ils retiennent est 1901, soit la toute dernière année de l’époque victorienne, symbole de l’apogée de l’Empire britannique et donc quelques années plus tard que celle du roman ; l’action n’est pas déplacée dans l’espace puisque l’invasion frappe bien les Britanniques en premier. Pour être fidèle à ce contexte, le dessinateur a donc rassemblé une importance documentation pour bien représenter les uniformes ou autres cuirassés de la British Army. Associée aux scènes de vie quotidienne, cette description de la puissance militaire présente le Royaume-Uni comme puissance complète, probablement la première de l’époque. L’invasion et la rapidité de la victoire martienne n’en est que plus saisissante.

Outre la possibilité de faire découvrir le roman de Wells au public japonais (puis français par cette traduction), on pourrait s’interroger sur l’intérêt d’une adaptation en manga. Personnellement, je vois deux éléments qui justifient pleinement cette adaptation. D’une part, il y a la représentation des émotions qui est propre à ce média. Je ne me lancerai pas dans un cours mais le rythme et le format de publication ont poussé les autrices et auteurs vers des dessins de visages très expressifs. Or, La guerre des mondes est par essence un texte puissamment chargé en émotions : terreur et folie sont le lot de celles et ceux qui subissent une invasion de cette ampleur et le désespoir absolu qui l’accompagne. On retrouve également les éléments de « porn destruction », monnaie courante dans le shonen notamment, et qui se justifient aussi pleinement pour mettre en évidence la toute puissance des tripodes martiens. Surtout, et l’ensemble est lié, il y a une filiation finalement assez logique avec les récits de kaijus, typiquement japonais. Le parallèle entre le propos de Wells et ce genre japonais est évident : destruction d’une civilisation impérialiste à son apogée et dont la confrontation à une force brutale, primaire, fracasse l’hubris.

Les choix faits pour représenter les éléments du récit sont très efficaces. Les dessins des tripodes évoquent un aspect assez organique (kaiju…) éloigné de constructions purement mécaniques et robotiques ; ils sont clairement le point fort du manga. D’ailleurs, le travail éditorial est à souligner car les planches d’esquisses en fin de volumes qui expliquent les démarches créatives sont des ajouts toujours intéressants. La représentation des dégâts causés par les rayons ardents est proprement effrayante alors qu’aucune goutte de sang ou organe interne n’est visible. Petit bémol lié au format manga : l’absence de couleur. L’herbe rouge est un élément fondamental de l’histoire, à la fois chargé de symbole et visuel, mais elle est logiquement et simplement noire dans cette production. De manière générale, le cadrage est efficace et fait ressortir la puissance et l’inexorabilité de la défaite. Les dessins des personnages sont par contre assez irréguliers : sur certaines planches, la souffrance et l’horreur sont visibles, mais d’autres sont bien moins réussies. Sur le fond, le scénariste procède à un léger changement quant au personnage principal en lui donnant une identité claire et notamment le métier de photographe. Cela permet habilement de justifier certaines de ses actions (parfois quand même assez… surprenantes) et de proposer des angles de vues intéressants, mais qui auraient pu être plus ambitieux. Cette adaptation de La Guerre des mondes est donc sympathique et pertinente mais souffre peut-être d’un trop grand respect du roman de Wells, là où Gou Tanabe réussit à sublimer Lovecraft.
Résumé éditeur
En 1901, le quotidien de la petite ville anglaise de Mayberry est bouleversé par un événement incroyable : un énorme cylindre métallique s’est écrasé à proximité… Or, quelques jours plus tôt, une lueur inhabituelle avait été observée sur Mars. Pas de doute, l’objet vient de la planète rouge !
La population se précipite pour l’examiner et attend avec impatience l’ouverture de ce qui semble être un vaisseau spatial. Une créature tentaculaire apparaît au sommet… et s’attaque à la foule en détruisant tout sur son passage ! Le jour suivant, d’autres Martiens atterrissent et se lancent à l’assaut de la campagne du haut d’immenses robots tripodes. Les armes humaines ne font pas le poids face à l’envahisseur… Il ne reste qu’un moyen de survivre : la fuite !
Avec son souci du détail scientifique et son sens inné du suspense, H. G. Wells a ancré depuis plus d’un siècle l’image de l’invasion martienne dans l’imaginaire populaire. La Guerre des mondes réveille l’angoisse qui sommeille au plus profond de nous face à l’inconnu… Et si, vu de l’espace, l’homme n’était qu’un insecte impuissant ?
La guerre des mondes Tomes 1 à 3 de Sai Ihara et Hitostu Yokoshima, traduit par Jean-Benoît Silvestre, aux éditions Ki-Oon (2021 & 2022, VO de 2018), 180 pages.



J’aime beaucoup ton développement sur les avantages d’une adaptation manga avec des arguments que je partage et je n’avais pas fait le lien avec les kaijus mais c’est très bien vu
Reste comme tu dis que c’est peut-être un peu trop fidèle et pour ma part la fin me reste en travers 😅
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C’est presque une déformation chez moi : je me demande toujours l’intérêt d’une adaptation en général, et pas tel ou tel auteur en particulier 😅
La fin, c’est celle du roman. Je trouve qu’elle a du sens aussi, avec un jeu sur la taille des ennemis, la vacuité…
Bon, va falloir que je le lise ! Lol
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C’est une bien belle déformation qui donne des textes très intéressants 😉
Je ne dis pas qu’elle n’a pas de sens, je la trouve juste bien trop abrupte pour rester polie, mais je ne savais pas à qui l’imputer ^^!
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J’avais lu « Voyage au centre de la Terre » en version manga, ça avait été un bon moyen d’avoir connaissance de l’oeuvre en peu de temps. Je pourrais bien réitérer l’expérience avec celui-ci du coup.
Et bien vu pour le parallèle avec les kaijus, ça fait complètement sens.
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