Lonely World T1 de Iwatobineko
En créant Mondes de poche, j’avais une ligne éditoriale claire : de l’imaginaire en poche. Alors pourquoi me limiter aux romans ? En effet, depuis quelques temps, j’ai recommencé à lire des mangas – enfin, « nous » plutôt, car c’est une occupation familiale – et je découvre une offre pléthorique, avec beaucoup de diversité, ce qui me permet de sortir d’une certaine zone de confort, longtemps limitée aux locomotives shonen. Pour Lonely World, l’acquisition était non préméditée : j’ai simplement craqué pour la couverture, appuyée par un résumé qui promet du mystère, le tout chez un éditeur qui ne m’a encore pas déçu. Et c’est une bonne pioche car j’ai apprécié cet univers que l’on devine post-apocalyptique, servi par un trait efficace avec un parti-pris original.
Lonely World séduit par son univers puis captive par ses mystères. L’héroïne, prénommée Shii, est une jeune enfant qui s’est réveillée amnésique et pourchassée, dans un monde qui n’est désormais plus peuplée que de robots, les golems. Dès les premières pages, les questions se bousculent dans l’esprit du lecteur : qui est Shii et pourquoi est-elle pourchassée ? Où sont les humains ? Le second personnage principal, le golem Bulb qui devient le protecteur de Shii, est une énigme supplémentaire avec ses modifications et solides compétences de combat. Tous ces mystères semblent liés à l’intrigue générale du récit et l’autrice distille savamment des informations au fur et à mesure des chapitres. Les quelques indices qui mentionnent le passé donnent à croire que l’humanité a sombré dans une dystopie robotisée en créant des golems aptes à toutes les tâches, du travail d’ouvrier aux relations sociales, avant de subir une forme d’apocalypse. Même si tout ceci peut paraître déjà vu pour les lecteurs et lectrices assidus de SF, cette société robotique qui continue à servir une humanité absente est intrigante.

Malgré cette absence, le manga véhicule toute une palette d’émotions, à commencer par la peur. Shii ne comprend pas ce qui est arrivé, à elle comme à l’humanité, et se retrouve seule au milieu de ces robots. La mangaka a d’ailleurs particulièrement bien réussi le design des « cônes » qui pourchassent l’héroïne, avec leurs formes anguleuses – tête pointue et des jambes ressemblant à des échasses – ou encore l’uniforme, et surtout dans leur capacité à toujours trouver l’enfant, comme s’ils voyaient. L’œil est évidemment un thème récurrent entre robots cyclopes, éléments de décors (mais qui semblent liés à l’intrigue qui évoque un système de surveillance généralisée), jusqu’à la charte graphique du titre. Iwatobineko ne s’est pas facilitée la tâche car arriver à rendre expressifs des personnages qui n’ont qu’un seul œil – impossible de jouer sur l’inclinaison – et sans bouche ou autres traits n’est pas chose aisée. Pourtant cela fonctionne, en jouant sur les cadrages, les plongées ou bien sûr la verbalisation de Chii. Par effet de comparaison, cette dernière est terriblement expressive, peut-être trop. Tout y passe : joie, tristesse absolue, terreur, faim, fatigue… souvent à grands renforts de larmes et de traits parfois forcés, ce qui donne un sentiment d’histoire un peu juvénile. Pour du Seinen, Lonely World est largement accessible à un collégien.

L’originalité est donnée par une identité visuelle forte. Le monde ne s’est pas écroulé, il n’y a juste plus d’humains, et les robots ont continué à travailler comme si de rien n’était. Plusieurs scènes se déroulent justement dans des lieux qui rappellent de vastes centres commerciaux, mais dans une version souk. En effet, les vêtements, l’iconographie ou certains objets comme un chargeur ressemblant fortement à un narguilé, donnent à l’ensemble une touche orientale assez prononcée, ce qui n’est pas totalement inapproprié car le golem est un mythe talmudique. On pourra d’ailleurs regretter le traitement inégal des planches et surtout des décors : la mangaka peaufine certaines pages, surtout celles qui servent à poser le contexte, alors que d’autres sont très blanches avec des dessins parfois un peu brouillon, et certaines scènes d’action qui manquent un peu de lisibilité. Cela n’enlève rien à l’intérêt du titre, suffisamment mystérieux et rythmé pour avoir envie de lire la suite, ce qui déjà une réussite en soi.
Résumé éditeur
Les golems sont des robots autonomes, créés pour remplir toutes les fonctions nécessaires à la société. Même en l’absence d’humains, ils continuent leur travail inlassablement… Shii, une petite fille, erre seule dans une ville remplie de ces machines, où d’effrayants “cônes” la poursuivent sans qu’elle sache pourquoi. Dans sa fuite, elle ne croise aucun autre représentant de son espèce. Seuls des golems la fixent en silence…
Alors qu’elle est sur le point d’être capturée, l’un d’entre eux, Bulb, lui porte secours et l’invite à le suivre chez son maître. Or, celui-ci est décédé depuis longtemps… mais le robot n’en a pas conscience. Et lorsque Shii le lui apprend, il enclenche le mode auto-destruction ! La fillette panique. Cet automate est son unique soutien depuis qu’elle s’est réveillée le jour même, sans mémoire ni repère… Elle le convainc d’accepter une nouvelle mission : la protéger, elle, la dernière humaine ! Avec son aide, elle devra se faire une place dans ce monde étrange et résoudre le mystère de la disparition de ses créateurs…
Entrez dans l’univers à la fois poétique et inquiétant de Lonely World, où l’humanité a repoussé trop loin les limites de la science…
Lonely World de Iwatobineko, traduit par Alex Ponthaut, aux éditions Ki-oon (2021, parution VO en 2020), 208 pages.

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