Découvrir un titre tient à peu de chose. Parfois, une très courte vidéo sur un réseau social peut donner envie de se renseigner et d’explorer un peu plus loin. Ici, une scène de combat bien chorégraphiée et soulignant un univers Dark Fantasy – sans être un Isekai, ouf ! – ont fait le job, alors que le titre papier n’avait jamais traversé mon champ de vision – si ça avait été le cas, je ne serai pas allé plus loin que l’ignoble couverture. Finalement, la famille de poche a testé l’anime sorti tout récemment, a adhéré à l’unanimité, puis doit se faire une raison pour attendre la suite…
Mais je n’aime pas attendre : voici donc la chronique de Clevatess, version manga – et que l’anime suit d’une manière extrêmement fidèle pour l’instant. L’univers inventé par Yuji Iwahara est relativement classique, mais avec un potentiel d’approfondissement énorme, tout en inversant complètement les codes habituels du genre, le tout servi par une technique formelle remarquable.
Le format de prépublication des mangas, et la nécessité d’accrocher dès les premières pages, ouvre sur un classique in media res : une bande de héros, équipés chacun d’une arme magique – c’est encore plus visible dans l’anime – fait face à une créature aux allures de Kyubi, cornes et flammes en prime. Les codes d’un monde d’Heroic Fantasy sont évidents, avec des personnages aux designs très marqués et l’affrontement humains versus monstres. Il faut attendre la fin de ce premier chapitre pour comprendre les tenants et aboutissants, et avoir plus de contexte : plusieurs espèces humanoïdes peuplent le monde avec des territoires bien délimités. Point d’Elfes, Nains ou Orcs, mais ça y ressemble tout de même furieusement. Les Hidens pourraient être comparés aux premiers, et ont surtout un roi qui a la capacité de forger les armes évoquées plus tôt, celles-ci servant à équiper les héros qui vont combattre les démons, dans un monde qui semble plutôt low magic. Car le monde est en réalité étroitement circonscrit, étriqué même, les points cardinaux étant contrôlés par de puissantes entités, qui veillent jalousement sur les territoires derrières elles. Les héros seraient donc animés par une quête supérieure, qui les dépasse : élargir l’univers, au péril de leur vie.

Sauf que le manga s’appelle Clevatess, et qu’il s’agit en réalité du nom de la créature ultra badass évoquée plus haut et sur les dessins intercalés dans ce texte – sérieux, pourquoi ne pas l’avoir mis en couverture ? Celui-ci – il se genre au masculin – se sent légitimement attaqué sur son territoire et décide donc d’aller punir les impudents, d’autant plus que l’une d’entre eux a réussi à égratigner sa corne. Iwahara retourne alors le schéma classique en donnant le point de vue du monstre, d’une puissance prodigieuse de surcroit, et qui n’est tout de même pas un enfant de cœur. En temps que seigneur, il se sent animé d’un code de l’honneur et accepte d’épargner un nouveau né, en guise d’objet d’étude : il décidera sur pièce si les « hominidés » méritent l’extinction. N’y connaissant par grand chose, il décide de ramener à la vie, à partir de son sang démoniaque, l’héroïne qui a été capable de le blesser. Même si cela permet évidemment des situations cocasses, c’est aussi l’occasion d’interroger les préjugés qui découlent de la méconnaissance inter espèces, avec des contacts qui se limitent à des affrontements, chacun pensant être la victime de l’autre. Le monde se révèle alors plus complexe et nuancé, justifiant ainsi son classement en Seinen. Le mangaka est malin et glisse de très nombreux éléments qui offriront des développement futurs, et des surprises : les directions potentielles sont pléthoriques, alors que les motivations des personnages sont déjà fermement établies, mais devront faire face à la réalité.

Le travail graphique est l’élément final qui a achevé de me convaincre. Le mangaka utilise peu de trames et leur préfère de vastes aplats de noir, ce qui renforce énormément les contrastes et participe, formellement, à l’appartenance au genre de la « Dark » Fantasy. Clevatess sous sa forme démoniaque est particulièrement réussi, entre créature d’ombres et lumière intérieure, et tranche avec l’héroïne Alicia. Le dessin de chacun d’eux souligne aussi leur ambivalence : un démon quasi divin, qui se questionne sur l’opportunité d’un génocide à l’échelle du monde connu ; et une héroïne corrompue de fait, mutilée mais immortelle, et qui s’en veut d’avoir participé au déclenchement de tout ce bazar. Les traits des personnages sont reconnaissables, parfois caricaturaux, mais participent aussi au contraste. Surtout, tout est lisible : on reconnait chaque individu, les décors sont soignés et les différents cadrages particulièrement immersifs. À nouveau, la puissance de Clevatess et sa taille sont palpables ; son attitude narquoise, froide et curieuse est également très réussie quand il prend sa forme humaine. Il ne s’agit pas du premier manga de l’auteur et l’expérience est visible.
Clevatess est un titre au potentiel énorme, et j’aime la direction prise ensuite dans l’anime. Un titre de Dark Fantasy qui ne fait pas trop dans la surenchère – bon, l’auteur profite quand même d’avoir une héroïne immortelle – en équilibrant humour et situations cornéliennes, ça ne se boude pas. Rendez-vous dans 10 tomes ?
Résumé éditeur
Le puissant démon Clevatess est dérangé dans son antre par une troupe de héros venue l’éliminer. Voilà un millénaire qu’il n’avait pas fait face à des humains. Ceux-ci s’élancent vaillamment… et sont décimés ! Malgré tout, leurs épées, forgées dans un métal rare, ont égratigné ses cornes… La créature s’interroge. Comment ces insectes insignifiants ont-ils pu développer de telles armes ? Pourquoi veulent-ils sa mort ?
Clevatess part poser la question au monarque commanditaire de l’attaque, détruisant sa capitale par vengeance au passage. Mais cette expédition ne lui apporte aucune réponse, et il envisage l’extermination totale de cette race… C’est alors que dans les ruines du palais, un survivant blessé lui tend un bébé en le suppliant de le sauver. D’abord réfractaire, le démon y voit finalement une opportunité : élever un humain lui permettra de comprendre ses adversaires et, surtout, de déterminer s’ils méritent d’être graciés !
Clevatess Tome 1 de Juki Hiwahara, traduit par Jean-Benoît Silvestre aux éditions Ki-oon (2022, VO de 2020), 192 pages.

Quelle chance que la famille de Poche ait fait cette découverte.
J’aime aussi le travail tout en aplats de Iwahara. La première période m’a beaucoup plu, en revanche j’ai été déçue par la seconde avec un virage auquel je n’ai pas adhéré, mais je n’en dit pas plus tant que tu n’y es pas.
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Au niveau de l’anime on en est au 3e « arc » en gros. Où la magie commence à vraiment s’en mêler.
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De ce que je viens de lire, ça reste dans ce qui est pour moi la première partie du manga.
Cest la saison 2 qui va adapter la partie que je n’aime pas 😅
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Je ne sais pas si je suis totalement convaincu, mais toujours plus qu’à la seule vue de la couverture. Tu as lu combien de tomes pour l’instant ? Ça se maintient ?
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Pour l’instant j’ai lu un tome et vu les dix premiers épisodes de l’anime. J’aime beaucoup comment les choses évoluent oui.
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