Les mangas peuvent avoir une deuxième vie, un sursaut de succès, et notamment quand une adaptation en anime fait suffisamment de bruit pour faire réémerger un titre. Le nombre mangas – ainsi que leurs cousins – édités est démentiel et il est difficile de suivre, surtout quand on est pas un spécialiste, et encore davantage de séparer le bon grain de l’ivraie.
Les vacances et les abonnements à diverses plateformes forment un cocktail idéal pour découvrir quelques pépites. Ici, il s’agit de Gachiakuta, qui est un shonen – donc segmenté pour un public plutôt jeune – et dont le premier épisode nous a donné, à fiston et moi-même, envie de découvrir la version papier. C’est un titre qui se démarque par son une identité graphique marquée, des thèmes ancrés dans notre époque, le tout mené par Kei Urana, un mangaka qui sait donner du rythme et prendre son temps.
Gachiakuta se distingue d’autres titres par son identité visuelle. La patte graphique du mangaka se démarque immédiatement et il n’hésite pas à prendre des risques, pour obtenir une ambiance et un trait reconnaissables. Rudo, le personnage principal est particulièrement expressif et les planches mettent en valeur ce qu’il a de caractéristique : ses gants – et dont les proportions s’approchent parfois du dessinateur de Comics Humberto Ramos – et son visage, particulièrement ses yeux et sa bouche. Le héros est une boule brute d’émotions, essentiellement la colère dans ce premier tome, qui sautent au visage du lecteur ou de la lectrice, et la folie est souvent sous-jacente. Le trait est anguleux, parfois très épais, avec assez peu de gris mais de nombreux aplats de noir, comme par exemple les pointes des cheveux de Rudo, ainsi qu’un recours aux hachures. Kei Urana nous propose une mise en scène dynamique et nerveuse ; les angles de vue et les cadrages sont très nombreux et alternent, entre très gros plans (les yeux…) ou contre-plongées. À quelques exceptions près, les cases sont toutes très lisibles et on ressent action et émotions. La version Anime est à la hauteur, très fidèle en terme de traits et la couleur rend l’ensemble encore plus lisible, même si on perd un peu l’ambiance Dark Fantasy que permet le noir et blanc.

L’histoire en elle-même fera évidemment penser à Gunnm, même de manière quasiment opposée en commençant quasiment en haut de la hiérarchie. Il y a d’une part les Célestiens, qui comme leur nom l’indique, résident dans les hauteurs, sur ce qu’ils croient être la surface, et dont la société est un exemple de ségrégation spatiale : les patriciens et, de l’autre côté du mur, les plébéiens (dont est originaire Rudo). Chaque groupe méconnait, et par conséquent méprise et craint, l’autre. Pour eux, ce qu’il y a plus bas ne sert qu’à jeter ce dont on ne veut pas, les déchets matériels donc mais aussi les condamnés à mort, et à alimenter les légendes et fantasmes. C’est évidemment ce qui arrive à Rudo (cela correspond au premier épisode de l’anime) dans une scène admirablement présentée. Même si c’est un shonen et que l’action reste la priorité, l’auteur base son récit sur les représentations et préjugés, où les gens généralisent les clichés pour alimenter leurs paniques. C’est aussi un texte qui parle de gaspillage : dès la scène d’ouverture il est évident que les classes sociales les plus élevées ont une relation tabou avec les ordures, comme pour se donner bonne conscience de tout déverser plus bas. Notre héros est doublement considéré comme un paria : criminel car pour lui ces objets méritent souvent une seconde vie, et par ses origines car son père était apparemment un meurtrier. Les mots « comme son père », puis « comme un célestien » sont des marqueurs de ces thématiques.

La chute de Rudo n’est bien évidemment que le début du récit, et elle lui donne les deux buts – un bon personnage de Shonen a un objectif, presque un mantra – qui sont de remonter à la surface et se venger. Puisque c’est un récit de (Dark)Fantasy, il faut évidemment des pouvoirs pour les personnages principaux : l’auteur renoue avec son idée première, et un élément classique de la culture japonaise, en donnant à chaque objet une sorte d’âme, qui peut être réveillée s’il reste longtemps en contact avec un porteur. Les possibilités de cette forme de magie sont donc nombreuses et on imagine volontiers rencontrer de nombreux porteurs avec des objets variés, voire saugrenus. Cela donne également un petit côté Bleach au manga, où l’objet qui est réveillé prend une forme bien stylée, avec une identité visuelle très forte – et sonore avec l’éternelle scansion de l’attaque, shonen oblige. Kei Urana n’a d’ailleurs pas grand chose à envier à Tite Kubo concernant le chara design des personnages, mémorables dès leur première apparition. Ainsi, ce premier tome sert logiquement à présenter l’histoire mais distille de très nombreux éléments à développer, avec le potentiel d’un manga très riche, à la fois visuellement et narrativement.
Gachiakuta est déjà arrivé en France depuis plusieurs années et était largement passé sous mes radars. L’anime m’a permis de découvrir ce titre et je ne le regrette pas. Je vous ferai un point sur les volumes parus une fois que la première saison sera terminée.
Résumé éditeur
Rudo est un membre de la peuplade qui a vécu toute sa vie dans le bidonville où sont parqués les descendants de criminels. Marginalisé et méprisé par les siens, il passe son temps à s’infiltrer dans les décharges pour récupérer des déchets encore utilisables et les revendre. Mais un jour, il est accusé à tort du meurtre de son père adoptif et est jeté dans l’abîme où sont envoyées toutes les ordures de la société. Plongé de force dans ce monde cruel et terrifiant, Rudo jure de se venger de tous ceux qui l’ont condamné sans l’ombre d’un remord. Seulement, pour survivre dans cette décharge hostile, il devra apprendre à maîtriser l’étrange pouvoir qui sommeille dans ses gants…
Gachiakuta Tome 1 de Kei Urana, traduit par Nathalie Lejeune aux éditions Pika Edition (2023, VO de 2022), 192 pages.

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