La trilogie du samedi – Trilogie d’une nuit d’hiver, Katherine Arden

La trilogie du samedi est un nouveau type de billet sur le blog, clin d’œil à l’incontournable rendez-vous télévisuel que les plus jeunes – et les plus vieux – d’entre vous ne connaissent peut-être pas, mais surtout solution à un problème que je rencontre pour rédiger certaines chroniques. Car il est relativement facile d’écrire au sujet d’un premier tome, mais l’exercice est un casse-tête – du moins pour moi – quand il s’agit des suivants, sans parler du deuxième volume, souvent de transition et régulièrement le moins bon d’une trilogie. Ajoutez la question des potentiels spoils, écrire sans raconter le début ou dévoiler la résolutions des intrigues précédentes est une gageure. Enfin, dernier cas de conscience : faut-il « vendre » un premier tome, qui peut-être enthousiasmant, et dont la trilogie est finalement un soufflé qui retombe ?

Je teste donc une démarche qui me permettra, je l’espère, de répondre à toutes ces problématiques et qui, je l’espère – bis – vous plaira. La structure sera probablement identique entre les différentes itérations de ce rendez-vous mensuel, je l’espère – ter – : une présentation générale de la trilogie et de ses thèmes, l’articulation des tomes (avec garantie sans spoils majeurs) et, en guise de conclusion, l’intérêt général en tant que cycle, en toute subjectivité. Et pour ce premier épisode, j’ouvre avec un coup de cœur : La trilogie d’une nuit d’hiver de Katherine Arden, qui pourrait être considérée comme un modèle du genre.

La Trilogie d’une nuit d’hiver a pour contexte la Russie médiévale, froide et âpre, tiraillée entre des mythes séculaires et une église chrétienne qui assoit patiemment et méthodiquement son autorité. Les Russes ne forment pas encore une nation, ni même un Etat centralisé, et sont en butte à des ennemis plus puissants qu’eux, les Tatars et les Mongols notamment. L’ensemble des tomes raconte la destinée de Vassia, fille d’un petit seigneur de campagne, dont les terres sont à plusieurs journées de marche de Moscou. Capable de voir les esprits, héritage maternel, elle est sans cesse tiraillée entre le poids des traditions familiales, sa loyauté et amour vis-à-vis de son père ou de ses sœurs et frères par exemple, dont l’un souhaite devenir homme d’église. Qualifiée de laide, au faciès de grenouille et trop maigre, elle ne peut se résigner à un mariage qui signifierait la perte de sa liberté ni au renoncement des traditions et héritages qui lui ont été légués. Ce qui apparait désormais comme des mythes pour l’essentiel de le population n’en sont pas car ces esprits sont bien réels, et certains d’entre eux sont de véritables divinités, dont les desseins et comportements sont au-delà de la raison, davantage incarnations d’éléments naturels comme la mort ou l’hiver… Vassia est un nexus, un trait d’union entre deux mondes, à la fois repoussée et attirée par chacun d’entre eux. Une telle union est-elle possible, et à quel prix ?

Si vous souhaitez vous lancer, mais que vous hésitez par réticence vis à vis des cycles ou que vous voulez juste vérifier si celui-ci est à votre goût, il est possible de se contenter du premier tome. L‘Ours et le Rossignol se concentre essentiellement sur la tension entre les mythes et la religion, et présente la famille de Vassia. Surtout, il s’agit du premier roman de Katherine Arden et l’autrice circonscrit clairement et judicieusement son récit, en se focalisant sur l’échelle d’un petit territoire, ce qui lui évite de se perdre et permet à la lectrice ou au lecteur de s’approprier un univers relativement étranger à notre culture. Même s’il reste quelques questions en suspend, cette première partie a ses propres intrigues qui sont closes. La fille dans la tour, quant à lui, se déroule essentiellement à Moscou et a donc une ambiance plus urbaine. Nécessairement, l’aspect fantasy est un peu plus en retrait, en raison de l’influence de l’église et d’un recul des traditions. C’est aussi un tome plus politique et historique, où l’autrice change d’échelle et insère son récit dans l’Histoire avec un grand H mais ne vous inquiétez pas, il n’y a aucun prérequis historique. Ce tome 2 a également une intrigue qui se termine mais il ouvre tellement d’enjeux que la lecture de L’hiver de la sorcière est indispensable si vous voulez toutes les réponses. Je conseille d’ailleurs d’enchainer assez rapidement la lecture car de nouveaux personnages ont été introduits et que le contexte est plus dense. La fin du cycle est une apothéose, qui regroupe et recoupe tous les aspects majeurs des textes. Je vous conseille de ne pas faire l’impasse ensuite sur l’après-propos où Katherine Arden explique là manière dont elle a bâti son récit et la conclusion qu’elle souhaitait.

La Trilogie d’une nuit d’hiver s’installe sur un temps relativement long, de l’enfance de Vassia à son passage à l’âge adulte. Elle grandit face aux résistances et obstacles que la vie ne manque de poser sur sa route de jeune fille, païenne de surcroit. À plusieurs reprises, on se demande comment elle va réagir quand elle est confrontée aux conséquences de ses choix et qu’elle réalise que la liberté peut avoir un coût très élevé, pour elle et les siens, alors qu’un lent renoncement serait une solution bien plus facile et éviterait tant de souffrances. À ce titre, le choix d’une trilogie me parait totalement justifié pour prendre le temps de poser les enjeux, d’étoffer les personnages et leurs relations tout en racontant l’histoire de cette Russie médiévale qui s’affirme, elle aussi. Katherine Arden sait prendre son temps, sans trop diluer, pour un texte cohérent, mené avec subtilité, émotions et nuances, évitant ainsi le piège d’un manichéisme proprement judéo-chrétien. Pour une première œuvre, l’autrice a fait preuve d’une stupéfiante maitrise.

Vous aimerez si vous aimez les femmes qui se battent pour rester libres, avoir froid un peu aussi.

Les +

  • Un contexte original
  • L’articulation entre les différentes échelles et histoires
  • Une autrice qui ne tombe jamais dans la facilité

Les –

  • Aucun, c’est parfait.

Résumé éditeur du premier tome

Au plus froid de l’hiver, Vassia adore par-dessus tout écouter, avec ses frères et sa sœur, les contes de Dounia, la vieille servante. Et plus particulièrement celui de Gel, ou Morozko, le démon aux yeux bleus, le roi de l’hiver. Mais, pour Vassia, ces histoires sont bien plus que cela. En effet, elle est la seule de la fratrie à voir les esprits protecteurs de la maison, à entendre l’appel insistant des sombres forces nichées au plus profond de la forêt. Ce qui n’est pas du goût de la nouvelle femme de son père, dévote acharnée, bien décidée à éradiquer de son foyer les superstitions ancestrales.

La trilogie d’une nuit d’hiver : L’Ours et le Rossignol, La fille dans la tour, L’hiver de la sorcière de Katherine Arden, traduction de Jacques Collin, illustrations des couvertures Aurélien Police, aux éditions Folio SF (parution vo en 2017, 2017 et 2019 – présente édition en 2024).

17 commentaires sur “La trilogie du samedi – Trilogie d’une nuit d’hiver, Katherine Arden

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  1. Excellente chronique. Je te rejoins à 200%, cette trilogie a été pour moi un véritable coup de coeur, tout est parfaitement maitrisé : le contexte, la mythologie, l’intrigue, les personnages…bref une oeuvre excellente

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  2. je te rejoins, c’est un casse-tête la rédaction des chroniques des tomes suivants de séries !

    Je fais aussi souvent un billet unique pour les cycles.

    Et je suis très très contente que cette série t’ait autant plu ! Je l’ai lu il y a un moment déjà et pourtant j’en garde un tel souvenir !

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  3. Ah, il faut que je la lise, celle-là. Elle est dans ma P.A.L. depuis trop longtemps. Bon, j’essaie de la garder en tête pour cet été. Merci pour ce beau rappel.
    Quant à ta démarche, elle me parait plutôt bonne car elle supprime effectivement pas mal de problèmes rencontrés à l’écriture d’un avis sur les tomes 2 et 3. Même si j’aime bien, quand je le peux, parler des livres à leur sortie, car c’est en grande partie là que leur avenir se joue. Et si le premier tome ne fonctionne pas, on n’a parfois pas la suite et fin. Cornélien !

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    1. Merci à toi 🙂
      Oui tu as raison. On a pas mal de retours sur les premiers tomes, déjà moins sur les deuxièmes… alors qu’un cycle peut voir sa publication stoppée à n’importe quel moment.
      Après, vu ma niche de poche, le problème se pose déjà un peu moins peut-être, une grande partie de l’enjeu se déroulant lors de la parution originale en grand format.
      Et bonne lecture cette été ! De quoi vivre un peu mieux une éventuelle (probable) canicule.

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      1. Tu as raison : normalement, si la série paraît en poche, on peut espérer qu’elle est en voie d’achèvement en grand format. Mais des accidents se produisent quand ce sont de longues séries.
        Et oui, cela devrait me rafraîchir un peu si les températures virent encore au caniculaire cet été !

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  4. Exercice amplement réussi et merci pour la petite phrase nostalgique. Ah que ces soirées adolescentes me manquent !
    J’ai adoré la saga. J’ai été frappée par la plume foudroyante de l’autrice, son univers, sa magie, sa poésie et ses personnages.
    J’avoue que je suis curieuse et impatiente de la retrouver sur autre chose pour voir s’il y aura une aussi belle maîtrise comme tu dis.

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