Chronique – Un long voyage, Claire Duvivier

Il y a des lectures que l’on repousse longtemps, pour moult raisons, bonnes ou mauvaises. J’ai d’abord offert Un long voyage à mon épouse, qui a mis longtemps à le lire car c’est « looooooooong » – la faute au manque de dragons sans doute. Il y a ensuite les nombreux retours, pour l’essentiel dithyrambiques, qui déclenchent parfois chez moi un esprit grotesque et immature de contradiction. Puis vient le moment où l’on se rend compte, par exemple, que les lectures de cette année sont très masculines et anglosaxonnes et qu’équilibrer ça serait une bonne chose. Ou que c’est tout simplement le bon moment.

Lecteur ou lectrice, tu ne trouveras dans cette chronique aucune originalité. Je vais ajouter des louanges aux louanges. Un Long voyage est un des romans les plus beaux qu’il m’ait été donné de lire. En étant froidement analytique, je dirais que c’est un roman complet : une très jolie plume, un univers antique doucement esquissé avec sa part de mystères, et surtout un beau texte sur le temps qui passe. Je t’emmène.

Un long voyage est un roman épistolaire, lettre qui contient deux biographies. La première vie est celle de Liesse, le narrateur ; bouche de trop à nourrir dans une famille pauvre d’une marge insulaire, il échappe de peu à l’exposition mais son statut social est désormais entaché d’un tabou. La seconde est celle de Zélina de Félarasie, artistocrate et étoile montante de l’Empire, dont l’ascension est racontée par Liesse. La narration est donc à la première personne, ce qui entraine une grande proximité avec notre jeune insulaire ; nous découvrons le monde par ses yeux : ses hésitations, doutes ou émerveillements. Même s’il rencontre de nombreux personnages, il reste souvent distant, s’attache peu et est volontiers cœur d’artichaut, surtout quand il est jeune. Zélina occupe rapidement une place centrale dans son existence, en le prenant à son service comme secrétaire. L’autrice joue sur le point de vue du narrateur car l’aristocrate est un personnage qui nous apparait comme lumineux et volontaire, aisément admirable même mais dont la vie est racontée par les yeux de Liesse ; nous la voyons par ses yeux, par ses souvenirs. Ce dernier est témoin d’évènements qui le dépassent régulièrement, en raison de son origine et son statut social, voire de son caractère. L’influence qu’il peut exercer, et peut-être même une grande partie de sa vie, ne semblent exister que par procuration. Difficile d’être quelqu’un dans l’ombre de quelqu’un.

« Gémétous, ma hiératique, c’est pour toi que j’allume cette lanterne, que je sors ces feuilles, que je trempe cette plume dans l’encre. À vrai dire, je me lance dans cette entreprise sans savoir si je pourrai la mener à bien ; il y a fort longtemps que j’ai pas couché des mots sur le papier et, même à l’époque où cette tâche m’était quotidienne, mes œuvres se limitaient à des rapports et procès-verbaux. Mais après tout, ce n’est pas une épopée que tu m’as demandée ; toi, tu veux la vérité sur Malvine Zélina de Félarasie, et je suis l’un des derniers en vie à l’avoir connue. Je vais donc faire la lumière sur elle…
Pour ce faire, peut-être dois-je d’abord la diriger vers moi.
»

Le contexte d’Un Long Voyage est très mystérieux. Claire Duvivier évite avec brio le piège des longues scènes d’exposition, poncifs et pensums du genre Fantasy. Notre niveau de connaissance de l’univers est celui de Liesse, avec ses propres biais et manques, et il s’élabore par touches successives, au fil de l’expérience qu’accumule le secrétaire de Zélina. L’Antiquité pourrait être la période qui a inspiré l’autrice. Le niveau de technologie semble faible, l’armement se limitant à des épées (même s’il est fait mention d’un personnage qui retourne une arme contre lui-même), et il y a surtout le terme d’Empire, celui-ci étant caractéristique des civilisations antiques, avec pour capitale une cité qui polarise un vaste territoire, ainsi que la pratique de l’esclavage. Sans spoiler, certains éléments, notamment une histoire d’engrenage, peut laisser envisager quelque chose de plus récent, de même que l’emploi du terme moderne ; enfin, l’esclavage a été aboli récemment. Il ne s’agit pas d’une uchronie mais bien d’une création. J’émettrai l’hypothèse que Claire Duvivier a choisi ce qui l’inspirait. Il y a d’autres mystères, peut-être plus « romanesques », comme par exemple l’identité de Gémétous, ou un autre plus central mais que je ne révèlerai pas ici, qui porte sur la classification même du livre – est-ce de la Fantasy ? Toujours est-il que la curiosité vis à vis de ce contexte et l’envie d’avoir les réponses à certaines interrogations ont fait d’Un long voyage un roman que j’ai eu du mal à lâcher.

« Si le grandiose t’intéresse tant, Gémétous, prends la peine de te pencher également sur le trivial ; rappelle-toi que ce n’est pas à l’ombre des légendes qu’on trouve le bonheur, mais auprès de la chair et du sang. Personne ne le sait mieux que nous deux. »

De nombreuses émotions m’ont traversé à la lecture du roman, provoquées en partie par les différentes péripéties mais encore davantage par le thème que j’ai perçu comme central, celui du temps qui passe, dont le titre peut-être envisagé comme une métaphore. Il y a en réalité plusieurs longs voyages dans le livre. Celui de Zélina, que je ne vous révèlerai pas, celui de Liesse qui passe d’une petite île à un comptoir qui se développe, puis à une ville impériale ; voyage spatial donc. Il y aussi les vagues des différentes temporalités. Un empire déclinant, qui se délite peu à peu, grâce à, ou à cause de, sa modernisation sociale et dont les différentes lignées impériales n’arrivent à être un élément de cohésion suffisant. L’agonie d’un empire romain, puis byzantin devenu trop grand, trop vieux tout simplement, encore hanté par ses fantômes. Et dans cette grande et longue histoire, celle de Liesse, dont la trajectoire semble croiser l’impériale, et qui ne peut finalement s’émanciper que sur des ruines. C’est donc un roman dense, mais l’autrice sait également choisir ce qu’il faut développer, ce qui est une prouesse pour un premier texte.

En un peu plus de 300 pages, Claire Duvivier nous raconte deux destins et peint les dernières braises d’un empire. Un long voyage est un roman d’une douce mélancholie, de ceux dont on se souvient longtemps.

Vous aimerez si aimez la fantasy délicate, qui sort des clichés du genre.

Les +

  • La plume et les émotions
  • Zélina
  • L’intrigue, bien menée, qui se dévoile petit à petit

Les –

  • Rien, c’est parfait.

Retours choisis sur la Blogosphère : Un joli roman pour Vert, une bien belle réussite pour Célinedanaë.

Résumé éditeur

Issu d’une famille de pêcheurs, Liesse doit quitter son village natal à la mort de son père. Fruste mais malin, il parvient à faire son chemin dans le comptoir commercial où il a été placé. Au point d’être choisi comme secrétaire par Malvine Zélina de Félarasie, une jeune femme de prestigieuse ascendance, promise à un grand avenir politique. Dans son sillage, Liesse va s’embarquer pour un ambitieux voyage loin de ses îles et devenir, au fil des ans, le témoin privilégié de la fin d’un empire.
Un émouvant récit de vies bouillonnantes refusant de se résoudre à un seul destin.

Un long voyage  de Claire Duvivier, couverture d’Elena Vieillard, aux éditions Le Livre de Poche (2022, parution initiales Aux Forges de Vulcain, 2020), 320 pages.

Prix Hors Concours 2020, prix Elbakin « roman francophone » 2020, prix Libr’à nous « imaginaire » 2021.

15 commentaires sur “Chronique – Un long voyage, Claire Duvivier

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    1. Oui, souvent positives. Je n’ai pas envie de perdre du temps et de blesser avec des chroniques négatives, sauf dans de rares cas.
      Et j’étais à l’origine persuadé Un long voyage et les trilogies étaient dans le même univers ^^’

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