Chronique – Enquêtes d’un détective à vapeur, Olav Koulikov, Viat Koulikov

Il y a des chroniques qui sont plus délicates à rédiger que d’autres. Quand une lecture déclenche un oui franc ou un beurk qui ne l’est pas moins, c’est assez facile à écrire : je sais ce que je veux démontrer, et j’assume ma subjectivité. D’autant plus que dans le cas d’un « non », je ne rédige rien car il est inutile de perdre du temps pour blesser potentiellement l’autrice ou l’auteur. Quand l’avis est mitigé, c’est cornélien. Il s’agit de montrer ce que j’ai aimé mais aussi ce qui m’a déçu, en gardant en tête que le négatif a tendance à être davantage retenu, et que parfois une seule ligne nuancée suffit à avoir des retours du type « bon, je le lirai donc pas ». J’ai même parfois l’impression que seuls mes « + et – » de fin de chronique sont lus.

Je prends ces précautions car je suis assez mitigé pour Enquêtes d’un détective à vapeur, mais j’ai passé tout de même un moment agréable ; je pense qu’une partie de ma déception venait de mes attentes, ou des promesses que j’avais perçu : l’univers m’a convaincu, les enquêtes beaucoup moins. Je vous laisse vous faire votre propre avis.

Le point d’uchronie date du début du 19e, quand les jeux matrimoniaux permettent à l’Empire russe d’absorber l’empire britannique : c’est la fusion des deux plus grandes puissances de l’époque. L’action prend place plus tard, une fois les conséquences de cette divergence mises en branle. Ainsi, pas de révolutions russes de 1917 : l’Empire anglo-russe est resté – foncièrement – libéral ; le socialisme existe tout de même, Lénine ou Trotsky n’ayant pas le monopole de la pensée, loin de là, et s’est diffusé ailleurs dans le monde, notamment en France. Cette dernière propose d’ailleurs une organisation des Patries Unies, qualifiée par un protagoniste comme « utopie socialiste ». L’auteur invente (en fait non, le terme existe mais est très peu usité et connu) le terme « solidariste » dont je suis particulièrement fan. De cette divergence politique découle de nouveaux aspects technologiques, comme la possibilité de contrôler localement le climat – privilège de nanti -, le développement d’automates et même de conscience. Cette toile de fond est vaste, souvent délicieusement ironique et donne envie d’en connaître toujours davantage ; il y a assez peu d’exposition, et tous ces éléments sont révélés au hasard de dialogues, quand ils ne sont pas directement au cœur des enquêtes.

« En sortant de la tour, dans la nuit californienne déjà profonde, Tchouchkine fit grimper ses invités dans une petite auto. Bodichiev logea tant bien que mal son ample carcasse sur le siège arrière, tout en s’amusant de ce que les Californiens soient si attachés à leurs petites voitures – là où, dans le reste de l’Empire, les constructeurs automobiles avaient tendance à rivaliser dans la longueur, la puissance et la somptuosité de leurs véhicules, en Californie l’esprit écologiste et le sens éminemment pratique de ces descendants de pionniers avaient amené à développer des modèles compacts, sans luxe inutile, mais très portés sur les gadgets intérieurs. Pour n’être guère amateur de voitures (lui-même ne conduisait pas), Bodichiev savait que l’on parlait de plus en plus d’une « invasion » des « petites Américaines », qui viendraient concurrencer les « grosses Européennes » sur leur terrain : le lobby industriel avait été impuissant à freiner les vues expansionnistes de ses collègues d’outre-Pacifique. »

Il y a douze enquêtes dans ce recueil, allant des tout premieres débuts de l’installation de Bodichiev comme enquêteur, dans un bureau hérité après le suicide de son père, au crépuscule de sa vie quand, aisé (le succès et d’autres héritages), il n’aspire plus qu’à un peu de repos et de sérénité. Cette amplitude permet de voir évoluer le personnage, au hasard de ses rencontres, dont le sémillant Viat ou Boadicée, mutine secrétaire multi-tâches. Je suis un peu resté sur ma faim quant à ces relations et cette évolution, j’aurais aimé voir davantage ces seconds rôles et que l’ensemble gagne un peu en profondeur. Cette petite bande s’inspire – peut-être – de la trilogie Holmes/Watson/Hudson ; je ne connais mes classiques très superficiellement mais il me semble que l’auteur rend hommage à Conan Doyle ou Christie (la localisation britannique n’était pas un hasard…). C’est d’ailleurs peut-être ce qui m’a finalement dérangé : les coïncidences, à la fois dans la résolution et dans la manière dont les mystères tombent – parfois littéralement – sur Bodichiev, aux gré de ces voyages. D’une intelligence rare, son sens de l’observation est souvent suffisant, condamnant par conséquent le lecteur à une exposition finale, ce que j’appelle, de foi un peu mauvaise, l’effet Scooby-Doo. Je crois surtout que je suis un amateur de polar biberonné aux séries télé, avec de longues phases de collectes d’indices ou autres discussions avec suspects et témoins : je suis de la génération procedural et cette lecture m’en aura clairement fait prendre conscience.

Enquêtes d’un détective à vapeur est donc finalement, et ce n’est pas grave, une rencontre ratée. Il y a peut-être quelque chose qui relève du choix des textes (il n’y pas d’équivalent grand format chez les Moutons Electriques – un avant-propos non fictif aurait peut-être été une bonne idée pour présenter le projet éditorial), d’une attente liée au contexte Steam punk ou à une forme, un peu retro, qui ne me convient pas.

Vous aimerez si vous aimez les enquêtes « à l’ancienne », les uchronies.

Les +

  • Cet univers uchronique
  • Les seconds rôles, dont Viat
  • L »amour de l’auteur pour les classiques d’enquête, qui transparait à chaque page

Les –

  • Ca manque de vapeur, de sense of wonder
  • Des enquêtes trop souvent résolues à la hussarde

Le détective à vapeur sur la blogosphère : l’avis de Célinedanaë, mais sur une version grand format, et donc aux textes potentiellement différents. Si quelqu’un a lu et chroniqué la version poche, qu’il se manifeste en commentaires.

Résumé éditeur

En faisant le tri dans les papiers de son défunt père, Viatcheslav, Olav Koulikov retrouve une série de textes et d’écrits relatant les aventures de Jan Marcus Bodichiev, détective de renom et ami de Viat.
An 3000, London. C’est dans cette ville de l’Empire anglo-russe que Bodichiev monte son agence. Détective perspicace, il se fait bientôt un nom dans le milieu policier en résolvant des affaires plus étranges les unes que les autres. Une météo criminelle ? Un voleur furtif ? Un cadavre rembourré comme une poupée ? Des fantômes assassins ? Des armes invisibles ? Les enquêtes du célèbre détective l’entraînent de London à la France solidariste, en passant par l’utopie californienne de Saint-Francisbourg, et esquissent, petit à petit, un monde en changement.
Un livre alliant à la perfection investigation policière et uchronie, dans un futur qui n’hésite pas à emprunter au steampunk.

Enquêtes d’un détective à vapeur de Viat Koulikov & Olav Koulikov (pseudonymes d’un auteur dont je tairai le nom, suis pas un barbouze), couverture de Sam van Olffen, aux éditions Folio SF (première édition à partir de 2018 aux Moutons Electriques, présente édition de 2023), 416 pages.

5 commentaires sur “Chronique – Enquêtes d’un détective à vapeur, Olav Koulikov, Viat Koulikov

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  1. Je pense que j’aurais eu les mêmes attentes que toi en matière de vapeur vu comme on nous vend le steampunk.
    Après je te rejoins, les avis mitigés sont une autre difficulté à poser, car il faut arriver à doser entre positif et négatif. Tu y as très bien réussi 😉

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  2. J’aime bien ton introduction, car je me retrouve dans ce dilemme assez fréquemment. Surtout quand j’ai reçu un livre en SP et que je ne l’ai pas aimé. Difficile de savoir quoi faire. Cela demande de la finesse (ce qui n’est pas ma caractéristique première).
    Je trouve que tu t’en es bien sorti, en tout cas.

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    1. Merci :). Quand je n’aime vraiment pas, je ne chronique pas, à la fois pour éviter de blesser des gens qui ont travaillé dessus et surtout parce que je n’ai pas de temps à perdre pour ça. Il faut vraiment un problème manifeste avec le livre pour que je le fasse et le cas ne s’est encore jamais présenté depuis que j’ai ouvert le blog.

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