Chronique – La cité de l’orque, Sam J. Miller

La cité de l’orque de Sam J. Miller

L’exercice de la critique n’est pas aisé, même (ou surtout ?), au niveau du blogueur débutant, quand une lecture laisse un arrière-goût décevant comme c’est le cas ici. Ma première rencontre avec Sam J. Miller est toute récente puisqu’elle date du Bifrost n°103 où l’on trouve la traduction de sa nouvelle 57 raisons qui expliquent les suicides de la carrière d’ardoise qui m’a fait forte impression par son ambiance, sa justesse et sa concision. La sortie en poche de La cité de l’orque était donc l’opportunité de transformer l’essai, d’autant plus que le thème post-apo, teinté de cyberpunk, environnemental et engagé avait tout pour me plaire. Une partie de mes attentes ont été satisfaites, notamment concernant l’univers que l’auteur extrapole et les personnages intéressants qui le peuplent mais j’y ai aussi trouvé beaucoup de déséquilibres entre « trop » et « pas assez ».

La cité de l’orque se déroule au XXIIe siècle, dans un contexte post-apo environnementale. On devine que le niveau de technologie a continué à augmenter d’après la présence d’IA (dans la vraie acceptation du terme, donc non conscientes…), certains objets et la miniaturisation vers l’échelle nano, pendant que la planète glissait vers cette apocalypse lente. Sam J. Miller reprend la thèse, classique mais crédible, que cette chute se fera aux détriments des plus défavorisés et que, dans le « pire » des cas, les puis puissants s’en sortiront et accroitront probablement leurs privilèges. Au moment où les grandes fortunes du monde préfèrent le « mécénat » spatial en lieu et place de payer des impôts, ce scénario me parait terriblement crédible. Suite à la montée des eaux, aux guerres, émeutes et migrations, les Etats se sont écroulés, laissant place à de vastes îles artificielles totalement privées. L’auteur brasse donc une très large palette de thèmes liées à ce contexte : les réfugiés, le manque de logements, le développement du travail informel précaire et dangereux, les pandémies… Le récit se déroule dans la cité flottante, plateforme à plusieurs bras qui inscrivent spatialement les inégalités, de Qaanaaq, version dystopique de la Terre promise, au large de l’Islande.

« Lorsqu’ils arrivaient dans les Bras supérieurs de Qaanaaq, les nouveaux venus ne voyaient que la misère. Ils prenaient les photos auxquelles on pouvait s’attendre : enchevêtrements de tuyaux et de câbles, saris malpropres dissimulant les embrasures ou pendant aux étals des immeubles, marchands ambulants vendant les tristes fruits des serres clandestines. Migrantes se regroupant pour entonner les chants de leurs patries englouties.
Sous le regard d’Ankit, le couple, depuis son esquif, photographiait un petit garçon. Son visage et ses bras étaient noirs de suie ; ses mains étaient gantées d’une ignoble matière cartilagineuse. Assis sur le bord de la Plaque, jambes ballantes, il touillait un amoncellement de déchets de houle qui flottait sur les vagues, un mètre en contrebas. De la viande de contrebande – l’un des moyens des plus inoffensifs de se faire un peu d’argent au noir dans les Bras supérieurs. Le gamin se rembrunit et le cliquetis des appareils se fit plus rapide. »

Sam J. Miller choisit de peupler son idée de toute une galerie de personnages, pour la plupart torturés et issus de catégories sociales défavorisées. Il y a Fill, homosexuel souffrant d’une maladie récente et mortelle, les failles, dont le parallèle avec le sida est évident et qui provoque des flashbacks, mais avec des souvenirs qui ne lui appartiennent pas. Ankit, qui a réussi à s’extirper des bas-fonds et qui travaille pour ce qui ressemblerait le plus à un service public. Kaev, combattant de poutre simplet, faire valoir des futurs champions plus télégéniques que lui. Soq, gender fluid et messager qui utilise les câbles pour relier les Bras de la cité. Et enfin, il y a la voyageuse, accompagnée d’un ours polaire et d’un orque, qui finira par donner son nom au livre. Récit choral donc, et c’est un des reproches que je lui ferai. Le temps d’apparence est nécessairement diminué, surtout dans la première partie, et les personnages sont donc moins développés que ce que j’aurais aimé, en particulier Ankit, là ou Soq tire son épingle du jeu. J’ai eu la désagréable impression d’avoir des personnages utiles, pour une ou deux scènes données, et d’autres qui portent davantage le récit. La plus grande déception vient de la voyageuse, qui perd une partie de son aura dès qu’elle agit davantage. Surtout, la réunion de tous ces personnages demande une certaine suspension de l’incrédulité, tant certaines coïncidences et ficelles sont grosses.

« Kaev marchait dans le sens du tourbillon. En dépit du pare-vent, Qaanaaq pouvait subir des rafales d’une extrême violence ; de soudaines bourrasques giratoires renversaient les passants, les stoppaient dans leur progression, rendaient impossible la moindre enjambée. Mais l’un des loisirs favoris du Kaev était de marcher avec le vent, de se soumettre à son mouvement, de se laisser dicter son chemin par sa force, ses variations soudaines. A la réflexion, il en était venu à considérer cette distraction comme une extension du plaisir de la lutte. Le frisson de la soumission, du renoncement au contrôle de soi, à l’abandon d’un esprit aux exigences trop capricieuses, trop instables. Et c’était un bon entraînement. Il fallait de l’agilité, de la précision pour ne pas percuter les autres passants qui bataillaient contre les rafales. Il fallait de la jugeote pour savoir comment et quand céder. »

Il y a donc de nombreux éléments pour obtenir un livre à mon goût, d’autant plus que l’auteur a de vraies qualités d’écrivain, avec des fulgurances poétique, surtout lors des descriptions de la ville à travers les passages nommés « ville sans plan ». Cependant l’ensemble n’a pas totalement fonctionné pour moi. Sam J. Miller veut peut-être trop en dire : beaucoup de personnages, de thèmes, dans un livre finalement assez court au regard de l’ambition. Ce foisonnement promet beaucoup et il suscitera nécessairement l’intérêt du lecteur sur un aspect ou un protagoniste, au risque d’être superficiel. Par exemple, cette idée d’infection sexuellement transmissible a attisé ma curiosité, qui reste largement inassouvie. Le corollaire est la situation inverse, avec des personnages qui m’ont finalement peu intéressé, Ankit notamment qui m’a fait l’effet d’élément d’exposition et de résolution artificielle de situations, et dont la présence peut donner l’impression de « voler » des pages à d’autres aspects intéressants. De fait, j’ai surtout trouvé que l’auteur voulait trop en dire, qu’il était parfois dépasser par la complexité de son récit, et qu’il devait utiliser des solutions de facilité pour s’en sortir. Personnellement, je dois également avoir un problème avec certains écrits cyberpunk : le hiatus entre personnages marginalisés et situations inextricables est difficile à résoudre et la proximité chronologique renforce mon angoisse sociale et environnementale. Pour autant, je continuerai à suivre l’auteur qui, s’il arrive à corriger ces défauts, devrait être capable de produire de puissants et intelligents récits.

Vous aimerez si vous aimez le futur proche post apo et cyberpunk, les récits choral.

Les +

  • Le contexte décrit, crédible et glaçant
  • Des fulgurances littéraires
  • L’élément déclencheur, alléchant et original

Les –

  • Trop de coïncidences, de facilités
  • J’aurais aimé que l’auteur s’attarde vraiment sur ce qui lui parait important

La cité de l’orque sur la blogosphère : Steph, qui m’avait conseillé le livre, a plus apprécié que moi, surtout en raison de la narration ; Tigger Lilly, qui ne m’a pas conseillé le livre trouve les mêmes qualités et défauts mais surtout a ajouté une chouette partie « pour aller plus loin ».

Résumé éditeur

XXIIe siècle. À cause des bouleversements climatiques, beaucoup de zones côtières ont été englouties. Au large de pays plongés dans le chaos ou en voie de désertification, de nombreuses villes flottantes ont vu le jour. Régies par des actionnaires, elles abritent des millions de réfugiés.
Au nord de l’Islande, sur Qaanaaq, l’une de ces immenses plate-formes, arrive un jour par bateau une mystérieuse voyageuse accompagnée d’un ours polaire et suivie, en mer, par une orque. À ses pieds, des armes. Qui est-elle ? Très vite, des rumeurs naissent à propos de celle que l’on surnomme la « Femme à l’orque »…

La cité de l’orque de Sam J. Miller, traduction de Anne-Sylvie Homassel, couverture de Will Staehle aux éditions Le livre de proche (2021, première édition chez Albin Michel imaginaire en 2019, parution VO en 2018), 469 pages.

3 commentaires sur “Chronique – La cité de l’orque, Sam J. Miller

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  1. Je pense qu’il devrait retourner dans cet univers, il a trop de choses à raconter. J’avais participé à un déjeuner organisé par les Imaginales avec lui et je lui avais posé la question : il y retournera peut être un jour.

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