Chronique – Vers Mars, Mary Robinette Kowal

Vers Mars est la suite de Vers les étoiles et conclut (enfin presque) les aventures d’Elma York, la Lady Astronaute. C’est une suite directe et je ne conseillerais pas de le lire de manière indépendante.

Vers les étoiles avait été un véritable coup de cœur, ce qui rendait la tâche d’autant plus difficile pour ce texte : il fallait être à la hauteur. Le risque d’un biais de lecture, consistant à vouloir retrouver les mêmes émotions et surtout le même émerveillement face à une nouveauté, est un réel piège. De l’eau a un peu coulé sous les ponts, et j’ai tendance à vite oublier ce que j’ai lu. Vers Mars est aussi un coup de cœur. Je n’y ai certes pas trouvé les mêmes ingrédients mais j’ai aimé retrouver ces personnages, une ambiance différente – celle d’un voyage spatial – et surtout un prolongement des évènements du premier volume.

La grande force de Vers les étoiles venait de ses personnages, Elma York en tête, mais pas seulement. Ici, on prend les mêmes, ou presque, et on recommence. Notre héroïne est toujours ce cocktail d’intelligence, de volontarisme et de maladresse, quelque part entre la fragilité et l’arrogance. J’apprécie les cas de conscience auxquels elle doit faire face, avec notamment la question de l’ambition : que doit-elle sacrifier pour accomplir ses rêves. Il est parfois difficile de tout avoir elle doit renoncer à voir son mari pour accomplir ce long trajet vers Mars. Je ne suis pas adepte de romance, mais cette relation de couple est tout simplement belle. On retrouve aussi Parker, le connard du premier roman, mais l’autrice arrive à l’humaniser, à nous attacher à lui, et d’une belle manière. Chez Mary Robinette Kowal, rien n’est totalement manichéen, ou presque. Enfin, mention spéciale aux seconds rôles, qui se font parfois trop discrets, ou qui sont éclipsés par les personnages que l’on connait déjà. Il permettent d’introduire de nouvelles problématiques, creuser celles qui étaient abordées précédemment et, là aussi, on s’attache à eux. L’autrice étatsunienne sait décidemment écrire des personnages et nous faire partager leurs émotions.

« Dorothy a incliné la tête, comme pour mieux réfléchir. « Vous aurez des enfants sur Mars ? »
À la mention des enfants, ma poitrine s’est serrée, comme si ses mots avaient ouvert un sas dans la vide. Dorothy n’avait aucun moyen de connaître la nature de ma conversation avec Nathaniel. Dit comme ça, on a l’impression qu’il s’agit d’une seule et unique conversation, mais il y en avait eu d’autres, étalées sur plus de deux ans, et même si la question semblait réglée, rien n’était facile pour moi. J’ai tout de même retrouvé mon sourire réglementaire, celui qu’on apprend à offrir quand on porte soixante-dix kilos de combinaison spatiale sous gravité terrestre pendant qu’un photographe prend juste une dernière image.
Je savais sourire malgré la douleur, merci bien. « Oui, chérie. Chaque enfant né sur Mars, ce sera grâce à moi ».»

L’essentiel de Vers Mars est un huis clôt, puisqu’il s’agit d’aller… vers Mars. On est loin de Vision Aveugle et de son ambiance oppressante ou de ses aspects hard SF. L’autrice nous épargne à ce niveau et ce n’est pas cette dimension qui l’intéresse au premier chef, mais plutôt les interactions sociales entre les différents protagonistes, surtout concernant une mission mondialisée, et qui voit donc cohabiter noirs américain et un Sud Africain, alors que celle-ci pratique encore un rigoureux Apartheid. Il y a bien quelques péripéties, qui vont du plus léger (toilettes bouchées) au plus handicapant (rupture des communications) mais j’ai trouvé – et c’est le principal reproche que je fais au roman – que l’ensemble était parfois un peu trop « propre » : je n’ai pas suffisamment ressenti l’exiguïté d’un voyage spatial tel que je l’imagine. Le roman est profondément optimiste et on sait que l’expédition arrivera à bon port, ce qui fait un peu tomber le suspense, même si Mary Robinette Kowal nous réserve quelques surprises.

« Le ou la responsable aurait dû s’en occuper, bien sûr, mais mon courroux attendait que la fuite d’urine soit contenue.
Les satellites d’excrément étaient dégoûtants, mais pas aussi problématiques que les déjections liquides. Il était hors de question qu’une sphère d’urine se promène librement dans le tube. En partie parce que ça manquait de distinction, mais aussi parce que le liquide risquait d’endommager les systèmes électriques. Ou de finir dans les conduites d’aération. Et puis, bien sûr, ce n’était pas très ragoûtant.
»

Depuis les évènements du premier volume, la situation a logiquement évolué. Les conséquences des bouleversements climatiques provoqués par la chute de l’astéroïde sont chaque jour plus visibles mais cette apocalypse reste lente, alors que les coûts de la solution choisie – la conquête spatiale – sont bien réels. Chaque dollar investi dans l’exploration de Mars ou la base lunaire ne l’est pas dans un programme de développement, alors que les dégâts environnementaux frappent d’abord les plus fragiles, à toutes les échelles, Etats des Suds mais aussi les minorités, quelles qu’elles soient. La scène du début est à ce titre particulièrement intéressante car elle montre les angoisses d’une large partie de la population qui a peur de ne pas être admis dans l’Arche de Noé, entre simple soupçon, complotisme ou jalousie ; cette tension et les actions qui en découlent est un des fils rouges – peut-être trop discret – du texte. Même si Vers Mars est une uchronie, ces thématiques raisonnent aujourd’hui, avec davantage d’acuité au fur et à mesure que les jours passent.

Toujours lumineux, ce deuxième tome des aventures de la Lady Astronaute s’intéresse surtout aux relations entre les individus, en nous invitant à dépasser nos préjugés. Mary Robinette Kowal s’inscrit donc dans une perspective optimiste rationnelle : la connaissance, à la foi d’autrui ou scientifique, nous sauvera. Toutes et tous ?

Vous aimerez si vous aimez la conquête spatiale.

Les +

  • Retrouver tous ces personnages
  • Un roman profondément optimiste
  • Beaucoup d’émotion
  • Du caca

Les –

  • Un voyage qui manque peut-être un peu de danger. Et pourtant.

Retours choisis sur la Blogosphère : L’Ours, qui avait adoré le premier, ose le jeu de mot ; Vert a aimé autant, voire plus que le premier.

Résumé éditeur

Alors qu’une sonde robotisée se pose sur Mars, prélude à une première mission habitée vers la planète rouge, Elma York embarque à bord de la navette qui la ramènera sur Terre après une affectation de trois mois sur la Lune. Mais le retour ne se passe pas comme prévu : un groupe de terroristes appartenant au mouvement Earth First profite de l’atterrissage en catastrophe du vaisseau pour prendre l’ensemble des passagers en otage. Leurs revendications sont simples : l’arrêt de la conquête spatiale et la réaffectation du budget à la survie sur Terre.
La Lady Astronaute parviendra-t-elle à leur faire entendre raison et, surtout, réalisera-t-elle son rêve : fouler, un jour, le sol martien ?

Vers Mars de Mary Robinette Kowal, traduction de Patrick Imbert, couverture de Matthias Haddad, aux éditions FolioSF (2023, première sortie chez Lune d’encre en 2021, sortie VO en 2018), 464 pages.

Prix Julia Verlanger 2021, Prix Hugo 2019, Prix Locus 2019, Prix Nebula 2018, Prix Sidewise 2018.

9 commentaires sur “Chronique – Vers Mars, Mary Robinette Kowal

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  1. J’avais aussi adoré ce 2e tome. J’aime particulièrement l’optimisme de l’autrice, ça fait du bien de se dire que tout est possible (surtout en ce moment). Le 3e tome est très différent et pourtant 💙

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