Chronique – Swan Song, Robert McCammon

Les éditions Monsieur Toussaint Louverture ont réussi l’exploit de se bâtir une rapide et solide réputation dans le monde littéraire en publiant des textes fantastiques. Leur recette est savamment dosée entre textes anciens mais inédits d’auteurs qui ont fait leurs preuves, éditions léchées reconnaissables entre mille, et promotion.

Après le best-seller Blackwater, l’éditeur récidivait en 2023 avec une duologie, Swan Song, de Robert McCammon. Il s’agit toujours d’un texte inédit, très ancré dans son époque – mais… -, avec une intéressante et attachante galerie de personnages ; un texte post-apo mais qui regarde résolument vers le fantastique.

Swan Song est écrit en 1987, à la fin de la Guerre Froide, à l’époque où l’on ne savait pas encore qu’elle s’achevait, du moins pas ainsi, et où le gouvernement Reagan ravivait les tensions et la course aux armements. Le premier chapitre s’inscrit directement dans ce contexte en relatant une conversation entre le président, ici un personnage fictif, et ses conseillers militaires au sujet d’une frappe défensive contre les ennemis des Etats-Unis d’Amérique. Cette introduction est particulièrement réussie par l’angoisse qu’elle instaure, alors que l’on sait déjà, postulat du roman oblige, quelle sera la conclusion de ce débat, et par le sens donné au texte : les Hommes sont fous, avides d’une vision simpliste et manichéenne du monde. Dans Swan Song, cela sera donc une apocalypse nucléaire, propre aux années 60 à 80, donc un futur très immédiat pour le lecteur de l’époque. On retrouve cette ambiance de vieux films ou séries, qui raconte des évènements d’une date antérieure à la notre, alors que notre propre apocalypse – dont le suspense tient autant à la date qu’à sa forme – n’a pas encore eu lieu. Ce contexte et ambiance pré-informatique de masse, sans Internet ou smartphones, est très « rafraichissante » et pose donc d’autres enjeux, avec la chute d’une civilisation qui n’avait pas encore atteint notre niveau de dépendance.

« La boule de feu passa au-dessus d’elle, aspirant tout l’air de ses poumons et rôtissant chaque centimètre carré de peau exposée. Ses vêtements s’enflammèrent instantanément, et elle se roula avec frénésie dans l’eau. Pendant quelques secondes, il n’y eut plus rien que le grondement et la douleur, et elle sentit l’odeur des saucisses à hot dogs qui cuisent dans la grande casserole des vendeurs ambulants.
Le mur de flammes poursuivit son chemin telle une comète, charriant dans son sillage d’épais remugles de chair calcinée et de métal en fusion.
»

Swan Song fonctionne sur le principe du roman choral, en mettant en scène plusieurs survivants dont on sait qu’ils finiront par se rencontrer tôt ou tard. Les personnages inventés par Robert McCammon sont assez archétypaux et sont donc faciles à retenir ; on retient vite qui est qui et quelles sont leurs motivations et caractéristiques principales, et heureusement car les seconds rôles sont nombreux – et au temps de texte parfois bref. Il y a tout le panel de caractères, du personnage le plus pur, Swan jeune orpheline, aux ordures les plus tordues, Roland jeune orphelin. Mais en plus de 1000 pages, chacun a le temps d’évoluer, vers le meilleur ou le pire et certains d’entre eux gagnent une jolie complexité, en particulier Sister Creep, paumée folle à lier, qui est pour moi le personnage le plus réussi du roman ; et l’ellipse qui justifie le découpage en deux volumes est une bonne idée. Les derniers développements, que je divulgâcherai pas, explique l’intérêt tout particulier que leur l’auteur porte à ciseler ses personnages : pour que le propos fonctionne, il faut les appréhender dans leur globalité. Mais surtout, j’ai trouvé que pour un texte écrit il y a quasi trente ans, la place belle était faite aux personnages féminins, moteurs de l’action et des solutions, sans y trouver une simple transposition d’attributs masculins, ou pire, une hypersexualisation. Elles sont tout simplement bien écrites. La preuve qu’à l’époque déjà, c’était possible.

« Josh l’enveloppa de ses bras et elle s’accrocha à son cou pour pleurer et pleurer encore au creux de son épaule. Il sentait le cœur de la fillette battre contre lui et eut envie de crier de rage ; s’il avait pu mettre la main sur n’importe lequel de ces sales abrutis gonflés d’orgueil qui avaient appuyé sur les boutons, il leur aurait brisé la nuque comme on brise une allumette. Rien qu’à essayer d’estimer combien de millions de morts il pouvait y avoir, là, au-dehors, Josh avait le vertige ; c’était comme essayer d’estimer la taille de l’univers, ou combien de milliards d’étoiles pouvaient scintiller dans le ciel. Mais là, il n’y avait rien d’autre que cette petite fille qui sanglotait dans ses bras, et qui ne verrait jamais le monde comme avant. »

Attention, sous ses abords de SF – si on rattache le post apo à ce genre – Swan Song est un roman appartenant au genre fantastique. Il vaut mieux être prévenu si vous êtes allergique. Pour avoir un peu fouillé sur le net, en cherchant des avis d’autres blogueurs ou blogueuses, la comparaison avec Stephen King revient souvent ; je ne peux la valider ou l’infirmer, n’ayant jamais lu ce dernier. Mais le titre n’est pas anodin, il s’agit bien d’une « chant », une forme de long texte aux accents épique. Même si Robert McCammon évite avec talent les clichés sexistes des années 90, il n’en reste pas moins un américain davantage préoccupé par les questions religieuses qu’un lecteur français laïcard. On revient à la Guerre Froide, à la « lutte du bien contre le mal », dixit Reagan. Mais dans Swan Song, ce mal ne prend pas la forme du communisme, ce qui ferait mécaniquement du libéralisme le camp du bien, mais adopte un visage plus mystique. L’auteur prend le mot apocalypse au sens premier du terme, avec le Jugement Dernier qui en découle, où le tri sera fait. Le mal, tapi en chacun, est révélé au grand jour quand la société est réduite à sa plus simple et pure expression, celle où s’organise seulement la satisfaction des besoins naturels. Qui pour se dresser face à lui ? Et l’humanité mérite-t-elle d’être sauvée ?

Swan Song est une geste post-apocalyptique et désespérée, mais où plane une lueur d’espoir.

Vous aimerez si vous aimez les ambiances de fin du monde, le fantastique épique qui s’assume.

Les +

  • L’ambiance, bien mise en avant par les couvertures
  • Les personnages, féminins en tête
  • Une écriture très cinématographique qui nous plonge dans l’ambiance

Les –

  • Certaines scènes dures
  • Une ambiance quasi biblique, qui peut décontenancer

Swan Song sur la blogosphère : Une épopée de fin de monde pour Nicolas sur Just A Word, Une fresque incroyable pour Elodie chez Parlons Fiction.

Résumé éditeur (premier tome)

L’apocalypse, c’est maintenant. Missiles et fusées se croisent dans le ciel et font s’abattre sur la terre des tornades de feu. Un vent terrible se lève, les poussières radioactives voilent le soleil, la vie telle qu’on la connaît va s’achever.
Dans une plaine déserte du Kansas brûlée par le feu nucléaire, Black Frankenstein, une force de la nature, se voit confier une mission par un vieillard mourant : ­protéger une enfant au don particulier.
Dans les décombres d’un New York annihilé par les bombes, une sans-abri à moitié folle découvre un étrange anneau de verre.
Dans les ruines souterraines d’un camp survivaliste des montagnes de l’Idaho, un adolescent apprend à tuer… Plusieurs vies, plusieurs trajectoires, un seul but : survivre à la fin du monde.

Swan Song, T1 et T2 de Robert McCammon, traduction de Jean-Charles Khalifa, couverture de Bernard Khattou, aux éditions Monsieur Toussaint Louverture, (2023, parution VO en 1987), 540 et 540 pages.

6 commentaires sur “Chronique – Swan Song, Robert McCammon

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  1. Vu qu’on m’avait vendu le titre pour ce qu’il n’est pas : un post-apo racontant le avant et le pendant l’apocalypse, j’ai été déçue et je n’ai pas accroché 😅
    Peut-être que quand de l’eau aura coulé sous les ponts je lui redonnerai da chance car toi et d’autres en parlez très bien.

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