Chronique – La Marche funèbre des Marionnettes, Adam-Troy Castro

Petit résumé de l’aventure éditoriale de l’univers d’Andréa Cort. Une trilogie a déjà été traduite en français, dont les deux premiers, Emissaires des Morts et La troisième griffe de Dieu sont sortis en poche en 2024, deux grands coups de cœur. Le troisième tome, La Guerre des Marionnettes, n’est pour l’instant disponible qu’en grand format, chez Albin Michel Imaginaire. Mais cet univers, ce sont aussi des nouvelles et novellas, certaines d’ailleurs incluses dans les volumes que j’ai mentionné (ce qui explique l’épaisseur notamment du premier). C’est là qu’intervient le Bélial et donc le présent ouvrage : la publication d’autres textes (pluriel car un second est dans les tuyaux) pour continuer de faire vivre l’univers, Albin Michel n’éditant pas de novellas, mais sans Andrea Cort.

La Marche funèbre des Marionnettes met en scène les Vlhanis et reprend des thématiques chères à l’auteur qui aime créer des races aliens pour réfléchir à des sujets bien humains : ici le sacrifice et l’art notamment. La novella raconte des éléments évoqués dans le troisième tome du cycle, mais sans notre procureure préférée.

La novella est consacrée aux Vlhanis, espèce sentiente de grande taille dont le corps a la forme d’une sphère lisse, d’où partent une série de tentacules, ou fouets, totalement souples mais capables de devenir extrêmement rigides et véloces. Ces organes leur servent donc de moyens de déplacement, préhension et communication et font penser aux fils de marionnettes, ce qui explique le surnom dont l’espèce est affublée. L’histoire se déroule sur leur planète, dénommée Vlhan, un des très nombreux mondes de l’univers de Space Opera imaginé par Adam-Troy Castro, et qui pourrait être complètement marginale – elle ne produit rien et la communication avec les Vlhanis est compliquée – sans leur Ballet. Car, lors de ce moment paroxystique, les Vhlanis pourtant totalement pacifiques et amicaux, convergent en masse et plusieurs centaines de milliers d’entre eux se livrent à une danse frénétique… et mortelle. L’évènement est devenu une sorte d’attraction où vont les ambassadeurs des différentes espèces pour officiellement étudier ou admirer le Ballet, à moins qu’il ne s’agisse de fascination pour cette cérémonie macabre, dont la mise en scène n’est pas sans rappeler les spectacles de l’Antiquité, en mêlant art et sang.

« Les cent mille Vlhanis rassemblés dans ce grand cirque naturel danseraient bientôt sans relâche, sans retenue, sans s’alimenter ou dormir, danseraient jusqu’à perdre toute maîtrise de leurs fouets et s’entredéchirer, jusqu’à ce que leurs cœurs explosent et qu’il ne reste dans l’amphithéâtre que des cadavres. Ce rituel avait lieu une fois à l’occasion de chaque révolution de leur monde autour de son soleil, et aucun étranger à cette planète ne prétendait le comprendre, pas même les Riirgaans. Mais nous savions qu’il relevait d’une forme d’art, et qu’il possédait une beauté tragique transcendant les limites interespèces. »

L’élément perturbateur se prénomme Isadora, humaine qui débarque au beau milieu du Ballet avec la ferme intention d’y participer. Son corps a subi de très importantes modifications, notamment sous la forme d’implants de tentacules, et donc d’ablation de ses membres de naissances, sans compter les transformations invisibles. Surtout, elle semble en phase avec les Vlhanis qui la reconnaissent comme une des leurs, et la laisse donc participer à cette ultime danse. C’est sans compter sur l’intervention d’Alex Gordon, jeune diplomate sous contrat avec l’ambassadeur humain (nommés homsaps dans cet univers), qui se jette dans la mêlée pour la sauver, sur les ordres de son patron, tombant amoureux par la même occasion. À partir de ce moment, les questions se multiplient, relevant à la fois de l’enquête : qui est Isadora, d’où viennent ses pointues et couteuses modifications, comment est-elle arrivée sur Vlhan, planète aux accès pourtant réglementés ; s’ajoutent les questions davantage éthiques, et notamment sur l’acceptation, et même le souhait, de la mort dans cette cérémonie à l’issue tragique. Ce Ballet est mystérieux et les humains ne l’interprètent finalement qu’avec les biais de notre espèce. L’incident diplomatique se développe : peut-on compromettre le ballet et son importance fondamentale pour les Vlhani, pour sauver une seule humaine, malgré elle de surcroit ?

« Mutique. Isadora subit un examen médical qui nous confirma que l’intégralité de son squelette, l’essentiel de sa musculature, et une bonne part de sa peau avait été remplacée par des substituts augmentés. Ses bras étaient à eux seuls de petites merveilles d’ingénierie, cumulant plus de dix mille articulations flexibles entre l’épaule et le poignet. En toute logique, son système nerveux n’était le sien qu’en partie, le cerveau humain n’étant pas conçu pour piloter un membre qui se plie en un si grand nombre d’endroits. Un assemblage complexe de microcontrôleurs installés le long de ses bras, traduisait les impulsions nerveuses envoyées vers le cerveau et reçues de celui-ci. Isadora n’avait qu’à décider des mouvements qu’elle désirait effectuer, et ils indiquaient à ses membres comment les exécuter. Des filtres chimiques particuliers présents dans ses poumons lui permettaient également de maximiser son efficacité dans le traitement de l’oxygène. Enfin, plusieurs améliorations majeures avaient été apportées à son tissu conjonctif interne, sans parler d’innombrables autres modifications dont la fonction, pour beaucoup, nous échappait. »

La Marche funèbres des Marionnettes est donc un excellent moyen de découvrir les écrits d’Adam-Troy Castro et notamment son talent pour inventer des espèces aliens suffisamment différentes pour ne pas être de simples humains déguisés – un œil ici, un tentacule là – et donc nous questionner sur nos pratiques et valeurs. Même si certains aspects auraient mérités un peu plus d’explications, notamment la place des humains dans la galaxie et quelques éléments de terminologie, je gage que la novella donnera envie à des lectrices et lecteurs de poursuivre les lectures dans cet univers. Je préconiserais d’ailleurs de lire les deux premiers tomes, puis ce texte – une autre novella est prévue, mais je ne peux pas encore la positionner – et le tome trois enfin. En évoquant ce volume, je change de casquette en prenant celle d’un lecteur qui avait déjà lu la trilogie et je laisserai à cette occasion poindre un peu de déception. D’une part, Alex Gordon n’est pas Andrea Cort et je n’ai pas cru à cette histoire de coup de foudre – l’amour est dans l’arène – d’autant plus que l’auteur introduit un autre élément intéressant pour justifier le dilemme ; l’enquête, quant à elle, est expédiée. Surtout, de nombreuses scènes m’ont fait une très grande impression de déjà vu, moults éléments, de description ou d’action, se retrouvant dans La Guerre des Marionnettes. Dans ma situation, je me demande ce que ce texte apporte à ce qui est déjà publié en VF, et je lui préfère finalement très largement la nouvelle introductive du tome 3, Les Lames qui sculptent les Marionnettes, petit bijou de body horror et d’intensité dramatique.

La Marche funèbres des Marionnette est un texte que j’avais l’impression d’avoir déjà lu, mais qui sera un excellent moyen de découvrir cet univers, et donc de rencontrer Andrea Cort.

Vous aimerez si vous aimez l’altérité.

Les +

  • Les Vlhani
  • De jolies réflexions sur l’art et le sacrifice
  • Une porte d’entrée dans l’univers d’Andrea Cort, mais sans Andrea Cort

Les –

  • N’apporte rien de vraiment neuf si vous avez déjà lu La Guerre des marionnettes

La Marche funèbre des Marionnettes sur la blogosphère : Un récit équilibré et rythmé pour le nocher des livres, un avis très positif sur le Syndrome Quickson, sans connaitre l’univers au préalable.

Résumé éditeur

Futur lointain. Planète Vlhan.Ils sont tous là. Ambassadeurs et représentants de la plupart des mondes et intelligences connus. Sur leur estrade, serrés les uns contre les autres, le regard tourné vers une seule direction, tendus. Car ceux qu’ils observent, ces êtres impénétrables, colossaux, que d’aucuns nomment les Marionnettes, s’apprêtent à se livrer au plus singulier des rituels : le Ballet, une communion frénétique de plusieurs jours à l’issue de laquelle ils mourront — par dizaines de milliers. Nul ne comprend les motivations de ce sacrifice annuel ultime qui fascine toute la Galaxie. À commencer par Alex Gordon, exolinguiste au service de la Confédération terrienne, qui va y assister pour la troisième fois. Mais alors que les Marionnettes, par myriades, agitent leurs fouets immenses, Alex distingue une silhouette inattendue et résolument non extraterrestre au sein de la mêlée : une jeune femme appareillée de façon étrange qui semble sur le point de se joindre à la danse alien. Cette femme n’a rien à faire là, et elle se prépare à mourir. À moins que…

La Marche funèbre des Marionnettes d’Adam-Troy Castro, traduction de Benoît Domis, couverture d’Aurélien Police, aux éditions Le Bélial, collection Une Heure Lumière (2024, parution VO en 1997), 128 pages.

5 commentaires sur “Chronique – La Marche funèbre des Marionnettes, Adam-Troy Castro

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  1. Merci pour ta chronique. J’ai beaucoup apprécié cet UHL, surtout que n’ayant pas lu » la guerre des marionnettes », les Vhanis ont été une vrai découverte. J’aime beaucoup l’imagination de Castro, pour certains auteurs leur force apparaît dans l’univers, pour Castro c’est les personnages misent en scène.

    Je vais très rapidement lire « La troisième griffe de Dieu », vu ton retour je suis certaine que cela va me plaire

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