Chronique – La Troisième griffe de Dieu (Andrea Cort T2), Adam-Troy Castro

J’avais chroniqué La Troisième griffe de Dieu pour Steph (grand format oblige). Sa sortie en poche est pour moi l’occasion rêvée de recopier ma chronique ici et de continuer à vous parler du cycle d’Andrea Cort, désormais intégralement traduit. Cet univers se prolonge désormais (mais sans Andrea) chez Le Bélial, dans la collection Une Heure-Lumière, avec la sortie en mai de La Marche funèbres des Marionnettes, dont je vous parle bientôt.

J’aurais envie de me contenter de reprendre un laconique « vous aimerez si vous avez du goût », d’autant plus qu’écrire un retour sur un tome deux sans spoiler le premier est une gageure. Pourtant, La troisième griffe de Dieu mérite que je prenne une paire d’heures pour vous convaincre qu’Adam-Troy Castro a réussi à écrire une suite encore plus solide — alors que le livre central est souvent le plus faible des cycles — en approfondissant ses personnages et son univers, servis par un thriller huis-clôt haletant.

Comme pour le premier, le choix a été fait de produire un recueil, avec cette fois le roman éponyme suivi d’une nouvelle. À nouveau, nous pouvons suivre l’évolution d’Andrea Cort, qui s’est adoucie un peu, ou du moins qui le prétend, le roman étant écrit à la première personne. Ses relations à autrui sont toujours très compliquées et même si elle supporte davantage les conventions sociales, elle est toujours hantée par ses démons intérieurs et prompte à des crises de colère, voire de violence pour extérioriser sa frustration. La galerie de personnages qui gravite autour d’elle et qui est parfois victime de ces excès est toujours aussi aboutie. En seulement quelques lignes et dialogues, Adam-Troy Castro leur donne beaucoup de profondeur, de complexité et les rend mémorables, dans tous les sens du terme. Fidèle à sa patte, les interactions entre les protagonistes sont l’ossature du livre, mais sans jamais verser dans le manichéisme. En effet, tous sont unis par deux questions communes : la fin justifie-t-elle les moyens ? Qu’est-ce que le bonheur ? Ces thèmes ne sont bien sûr pas nouveaux en littérature, mais la science-fiction imagine des moyens plus performants, des « progrès », notamment technologiques, et donne donc une intensité supplémentaire à ces problématiques. Peut-on contrôler l’esprit — thème déjà abordé dans Émissaires des morts – pour une cause « juste » ? Utiliser une quantité infinie d’argent sale pour améliorer l’univers ? Renoncer à son libre arbitre pour être heureux ? Charge à la lectrice ou au lecteur de répondre.

« Xana appartient aux Bettelhine, une famille dont la fortune dépasse celle de certaines civilisations. La planète est le siège de la Manufacture de munitions Bettelhine, qui détient des implantations sur une centaine de mondes. Sa production se caractérise par un pouvoir de destruction qui a réduit en cendres certains endroits habités par l’humanité ; sa cupidité en a transformé d’autres en taudis ravagés par leurs dettes. »

Adam-Troy Castro prolonge également ses réflexions sur ce que pourrait être un extrême capitalisme. Quand en ce moment même certaines firmes transnationales ou individus sont aussi riches et puissants que des États, la SF permet d’imaginer un changement d’échelle, spatial et temporel, et donc ce que seraient des firmes trans-planétaires, voire trans-civilisationnelles, dirigées par des familles régnant comme des seigneurs entourés de leurs serfs. Les Bettelhine ne sont guère sympathiques – euphémisme – car leur fortune vient de la vente d’armes ; et dans un univers space opera, les clients potentiels, de même que les moyens de tuer ne manquent pas. La question de la destruction est d’ailleurs centrale et donne son titre au roman, la griffe de Dieu étant une arme rituelle. L’auteur montre ainsi l’extrême ingéniosité que peuvent déployer les individus pour s’entretuer, de manière plus ou moins spectaculaire ou douloureuse, depuis l’accès à la conscience. Certains extraits du livre font d’ailleurs froid dans le dos, et c’est sur l’usage d’une de ces armes que notre Procureure extraordinaire va devoir enquêter.

« “Quelqu’un dans cette pièce est un assassin.” Philippe Bettelhine avait blêmi, mais il ne se laissa pas démonter, je dois lui reconnaître au moins ça. “À part vous, vous voulez dire ?” fit-il d’une voix rauque.  »

En effet, La troisième griffe de Dieu est un thriller qui marie à merveille des touches modernes et retro. C’est un whodunit dans un ascenseur spatial et dont le petit nombre de personnages rappellera invariablement Le crime de l’orient express d’Agatha Christie. L’hommage est évident et j’affirme sans hésitations qu’Adam-Troy Castro se hisse à la hauteur de la romancière britannique. Il parsème son livre d’indices qui servent à la fois l’intrigue et le world building, sans hésiter à introduire de fausses pistes, et qui forment un ensemble parfaitement cohérent, au point de pester de ne pas avoir deviné plus tôt. J’ai relu quelques extraits pour les besoins de cette chronique et les éléments sont très nombreux : cela donne envie de relire pour les dénicher tous. Là encore, les aspects SF permettent d’introduire de nouveaux mobiles, procédés ou armes du crime. Enfin, l’auteur maitrise totalement le rythme du récit entre un début sur les chapeaux de roue, cliffhangers de fin de chapitres, phases de danger ou de désespoir, et révélations jusqu’aux dernières pages. Ce tome n’est pas qu’une péripétie de plus dans la vie d’Andrea Cort et l’auteur construit son destin avec patience et méthode.

Vous aimerez si… Vous aimerez !

Résumé éditeur

En choisissant ses nouveaux maîtres, Andrea Cort a été bien récompensée : elle est devenue Procureure extraordinaire pour le Corps diplomatique de la Confédération homsap. Recevant une invitation de la famille Bettelhine, des marchands d’armes qu’elle méprise, elle se laisse emporter par la curiosité : elle doit savoir ce qu’ils lui veulent. À son arrivée au port orbital, des assassins tentent de l’éliminer avec une arme extraterrestre vieille de 15 000 ans et aux effets effroyables : la troisième griffe de Dieu. Piégée dans un ascenseur spatial, Andrea va mener l’enquête la plus périlleuse de sa carrière.

La Troisième griffe de Dieu d’Adam-Troy Castro, traduction de Benoit Domis, couverture de Manchu, chez Le livre de poche (2024, parution vo 2009 – première édition française en 2021 chez Albin Michel Imaginaire), 576 pages.

7 commentaires sur “Chronique – La Troisième griffe de Dieu (Andrea Cort T2), Adam-Troy Castro

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  1. On ne le répètera jamais assez, il faut lire Adam-Troy Castro et en particulier tout ce qui tourne autour de l’univers étendu d’Andrea Cort (en même temps c’est je pense les seuls livres qui sont traduits !) C’est un cycle extraordinaire qui ne renouvelle pas forcement le genre mais qui agglomère de nombreuses idées déjà vue pour en faire une œuvre originale.

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    1. Voui, avec un vrai talent pour inventer des espèces aliens et nous les tendre en miroir.

      J’ai aussi une chronique de La Marche funèbre des marionnettes sur le feu, où je suis un peu plus mitigé (pas tant que sur le texte que sur la décision de le publier en fait).

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      1. Ma chronique sort demain, j’espère y être plus clair. En gros, la question que je me pose est « fallait-il traduire (voire écrire, mais je n’ai pas vérifié les dates) La Marche funèbre ». J’y fais une réponse de Normand (là où est le Mt Saint-MicheL…)

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