Chronique – Au cœur des méchas, Denis Colombi

Avez-vous déjà eu la sensation d’avoir entre vos mains un livre écrit pour vous ? Comme si l’autrice ou l’auteur vous avait longuement étudié, puis avait lu et analysé les ouvrages que vous avez aimé pour en extraire le distillat, et enfin écrire un livre qui vous est destiné, rien qu’à vous ? J’hyperbolise – un peu – pour vous parler d’Au cœur des méchas, livre qui avait tout pour me plaire… et qui m’a plu.

En effet, Denis Colombi reprend avec un plaisir palpable de nombreux éléments de la pop culture qui intègrent méchas et kaijus, en y intégrant une héroïne qui donne au texte des allures de satire, mais sans sacrifier le récit.

Si vous avez vu l’excellent Pacific Rim – la suite n’existe pas – vous serez en terrain connu. Si vous ne connaissez pas – honte à vous ! – le postulat est simple : des créatures géantes d’origine extra-terrestre, dont la taille rivalise avec des buildings, Godzilla et King Kong en étant les meilleurs ambassadeurs, déboulent sur Terre pour tout ravager. Pour lutter contre elles, sans tout dévaster sur des dizaines de kilomètres à la ronde, le choix a été fait de construire des robots aux dimensions équivalentes. Dans la pop culture, ils prennent respectivement le nom de Kaijus, dénommés ici Titanides, et de Méchas. Avec ce texte, Denis Colombi montre que les différents pans de la culture ne se chassent pas les uns les autres, mais que l’on peut au contraire s’amuser à piocher ce qui nous intéresse. À la pop culture, ou culture geek, outre le postulat de base, on trouvera par exemple des références à Évangelion, avec l’emploi du mot Ange, ou l’habitude de nommer les attaques ; à la culture plus classique il y a évidemment l’emploi du mot titan, même s’il est rentré dans le langage courant, ou les noms des méchas, d’abord nommés comme les dieux grecs (logique contre des titans). Trouver ces références n’est pas nécessaire, ni n’entrave le plaisir de lecture, cela donne juste un petit sel supplémentaire.

« Pourquoi ce sont des humains qui font tout ça ? C’est assez évident, non ? On coûte moins cher que des droïdes. Vous imaginez ce que ça coûte un Mécha ? Quand ils peuvent faire des économies, ils en font. Et les économies, c’est nous. On est plus facile à remplacer. On est des soldats. Ça a toujours été comme ça. »

Mais c’est l’ajout de la culture sociologique de l’auteur qui fait qu’Au coeur des méchas n’est pas un texte simplement divertissant – ce qui pourrait être suffisant. L’auteur utilise le pas de côté propre à la science-fiction pour interroger les changements sociaux – ou pas – qui en découleraient. Il fait donc le choix de ne pas s’intéresser au pilote, figure éternelle du héros, mais aux petites mains qui s’activent en coulisses à l’intérieur du Mécha et qui risquent tout autant leur vie, sans jamais attirer la lumière. Des prolétaires ingénieurs en somme. Denis Colombi part de ce postulat pour explorer toute une série de thèmes qui ne détonneraient pas dans l’écriture de textes évoquant l’industrialisation du XIXe : la place des femmes dans un milieu dominé par des hommes, le travail des enfants, l’orientation sexuelle… La dimension militaire du récit permet d’en ajouter une seconde couche, autour de la raison d’Etat, du sacrifice – plus ou moins volontaire – des soldats et des dommages collatéraux, de la propagande et de la figure héroïque. Même si tout n’est pas traité en profondeur, cela fait de la novella un texte dense, qui vous paraitra optimiste ou pessimiste selon votre humeur du moment, l’auteur évitant tout manichéisme, même si l’orientation politique est indéniable.

« Je ne sais pas trop si c’est parce que les Titanides se sont adaptés. Un peu sans doute. Je n’ai jamais trop adhéré à l’idée qu’ils soient une sorte de phénomène naturel et incontrôlé, une race animale guidée seulement pas l’instinct. J’ai un regard d’ingénieure, et je sais reconnaître de la bio-ingénierie quand on me la met sous le nez, et encore plus quand elle menace de me tuer à coup de cornes, de griffes ou de produits chimiques. Je ne dis pas que je comprends tout ni que je peux prévoir quoi que ce soit, mais quand même, c’est évident que, quels que soient les êtres derrière les Titanides, ils font exactement la même chose que nous : de la recherche et développement pour rester à jour. Et vu comme les combats menés par les « Anges » ont commencé à devenir plus durs, ils ne sont pas mauvais à ce jeu-là »

Ecrire une novella sur ce thème était un pari risqué mais Denis Colombi réussit car il sait cibler les éléments de l’intrigue qu’il veut et peut développer. Il ne s’agit pas en moins de 100 pages de raconter le destin de la Terre et de savoir si les humains réussiront, ou pas, à repousser l’invasion – si cela vous intéresse, vous pouvez regarder Goldorak, Evangelion ou Pacific Rim, au choix, liste non exhaustive – ; ou de raconter les révolutions russes ou la Commune façon mécha. L’auteur se concentre sur son personnage principal et nous livre une forme de biographie, où la narratrice franchit en quelque sorte le quatrième mur pour s’adresser directement au lecteur. Nous sommes pris à témoin, presque à partie, de sa prise de conscience, entre espoirs et désillusions, rencontres et disparitions. Il est facile de s’attacher à elle, finalement un peu jaloux de sa proximité avec les méchas, puis dégoutés quand le rêve s’écaille, davantage par le cynisme que sous les coups de griffes ou de crocs.

Au cœur des méchas est une novella distrayante, qui arrive, sous le prétexte de bagarre entre Méchas et Kaijus, à faire un tour d’horizon de notre société. Rendre crédible de tels affrontements mérite un grand bravo.

Vous aimerez si vous aimez les gros robots des enfants, la réalité des adultes.

Les +

  • Des méchas et des kaijus !
  • Un personnage principal très bien écrit
  • La justesse du dénouement

Les –

  • Une couverture qui ne me vend pas du rêve

Au cœur des méchas sur la blogosphère : Intelligent et amusant pour Steph, une belle réussite pour le Chien critique qui, en prime, nous gratifie d’une belle interview de l’auteur.

Résumé éditeur

Quand on ne peut plus faire l’économie des combats titanesques face aux assauts répétés de la menace extraterrestre, ne reste qu’une solution pour sauver l’humanité : l’amputer d’une fraction de sa population en l’envoyant travailler au cœur des Méchas. Mais pour combien de temps, encore ?

Au cœur des méchas de Denis Colombi, aux éditions 1115, 2024, 96 pages.

11 commentaires sur “Chronique – Au cœur des méchas, Denis Colombi

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  1. J’ai eu exactement ce sentiment.. avec les débuts du Nom du vent 😉
    Ici je ne pense pas que j’y serais allée de moi-même mais ce que tu décris sur le dépassement de sa forme première pour interroger notre société m’intéresse. je note donc !

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