Chronique – Lazare attend, James Morrow

J’ouvre une semaine consacrée à des textes où la religion joue un rôle important. Il ne s’agit pas de romans du genre « Med Fan » avec des panthéons peu ou prou inspirés de l’Antiquité mais bien de récits – de SF ou fantastiques – qui font de la réflexion sur le phénomène religieux le thème central. Je vous livrerai trois chroniques issues d’horizons et d’époques différents, qui ont en commun d’être plutôt bienveillantes avec l’idée de foi, peut-être un peu moins – voire par du tout – vis à vis des différents dogmes.

Je commence par Lazare attend de James Morrow. Après L’arche de Darwin – que j’ai abandonné mais que je compte bien reprendre un jour – récompensé du prix de l’imaginaire 2018, l’auteur continue son exploration du christianisme, et de ses dogmes surtout, avec une forme d’anticléricalisme sarcastique que certains caricaturistes français ne renieraient pas. Lazare est un personnage tragi-comique, présent aux moments fondateurs du christianisme (oui oui, au pluriel) et condamné à observer ses errements.

Lazare (de Béthanie) est un saint qui, d’après l’évangile de Jean, aurait été ressuscité par le Christ. Pas dans le roman de James Morrow. Lazare, souffrant, se serait un peu laissé aller au fond de son lit avant de Jésus ne vienne lui secouer les puces. Il devient donc saint – donc chrétien – malgré lui, suite aux interprétations concernant son retour et autres effets du bouche-à-oreille. Entouré des trois Marie (la Vierge Marie, mère de Jésus ; Marie Madeleine, pécheresse et témoin de la Résurrection et Marie Salomé la danseuse), il constate avec surprise la naissance d’une nouvelle religion, autour d’un rabbin qu’il a côtoyé, et dont le caractère divin lui a visiblement échappé. Lazare n’est finalement qu’un simple juif de l’Antiquité, capable de succomber, notamment, à la luxure ou à l’oisiveté, et donc assez éloigné de l’image que l’on pourrait se faire d’un saint. Il est, par l’intermédiaire de l’auteur, doté d’un solide sens de la formule comme ses trois comparses. James Morrow s’amuse énormément, en faisant par exemple de Marie une mère au caractère bien trempé qui n’a pas la langue dans la poche, elle aussi surprise, voire scandalisée, de l’histoire religieuse qu’on lui a collé sur le dos et de sa prétendue virginité. Contraste et anachronismes sont de puissants ressorts comiques

« – Plus que des disciples – une véritable Eglise, expliqua Cornelia. Peu après sa crucifixion, il s’est vu transformer en religion.
– Jésusime ? suggérai-je.
– Chrétienté, rétorqua Cornelia.
– Une secte chrétienne se développa autrefois à Jérusalem, et des congrégations de gentils se sont éparpillées dans tout le Levant, pointant vers l’ouest, professa Pomponia. Leur texte principal est l’Evangile selon Marc, d’autres narrations sont en cours. Les Chrétiens vous diraient que, en tant que divin Fils de Dieu, Jésus le crucifié…
– En tant que
quoi ? s’écria Marie la Nazaréenne.
– En tant que Fils de Dieu, Jésus le crucifié fut contraint de prendre les péchés du monde sur ses épaules. Sa résurrection scella le pacte.
– Sa
quoi ? s’exclama Marie de Nazareth. »

L’anachronisme est assumé jusqu’au bout, devenant même un levier du roman. En fuite après les évènements narrés dans le Nouveau Testament, le quatuor trouve un bateau, piloté par un automate à tête de crocodile, et surtout capable de voyager dans le temps, mais pour un nombre limité de trajets. Oui, c’est loufoque, mais c’est volontaire. Après avoir atteint l’époque contemporaine, dans la New York des années 60, Lazare a accès à toute l’histoire du christianisme, moments fondateurs comme crises et autres schismes, et rencontre accessoirement un couple adorable réalisateur de pornos bibliques. Il retourne ensuite dans le passé pour y rencontrer Constantin, au moment de la guerre civile préalable à son accession au trône. Si vous avez quelques souvenirs de vos cours d’histoire, en sixième et/ou en seconde, vous avez peut-être appris qu’en 312, le futur empereur aurait aperçu une croix enflammée dans le ciel, déclenchant une envie subite de conversion puis d’écrire un Edit de Tolérance l’année suivante. Dans le roman, cet évènement a bien lieu mais est organisé par Lazare – je ne vous révèle pas ses raisons – avec la complicité de Sobek l’automate. James Morrow profite de sa grande érudition pour s’engouffrer dans les failles des différentes hypothèses de l’histoire, en retenant pas exemple l’hypothèse d’un Constantin uxoricide et infanticide. Point de foi chez lui, mais pragmatisme. Cynisme même.

« – Comprendrais-je un jour ces Chrétiens mercuriels ? gémit l’Empereur en se versant un gobelet de vin.
– Je soupçonne que non, Sire, intervint Linus.
– Je pensais que vous étiez l’un de ces Chrétiens mercuriels ajoutai-je.
– La plupart du temps, j’en suis un, répliqua Constantin, mais il n’y a pas de mal à être un païen du dimanche. »

Car James Morrow déboulonne les icones (mes excuses, je ne pouvait résister à cette double référence) en s’amusant à prendre systématiquement le contrepied. Il gratte le doré des vaches sacrées et dresse, par l’intermédiaire de Lazare, une effrayante rétrospective des errements de l’institution chrétienne, et particulièrement quand elle mêle objectifs spirituels et temporels. Le récit du concile de Nicée est à cet égard édifiant. Pour quelqu’un d’éloigné de la théologie – donc une très écrasante majorité de la population – l’arianisme ne parait pas être une alternative incongrue au dogme trinitaire. L’affaire prêterait à sourire si de subtiles différences de traduction – souvent traductions de traductions – ou des interprétations et contradictions des nombreux textes sacrés n’avaient abouti à la discrimination, torture voire exécutions de pans entiers de croyants. Constantin n’est pas le prince tolérant des représentations construites par quelques minutes de cours.

Lazare attend est un texte irrévérencieux qui tourne en dérision les institutions religieuses et qui ne peut qu’interroger dogmes et récits. Très érudit, il demande au lecteur des connaissances historiques et religieuses assez précises, à la fois pour bien comprendre l’ensemble mais pour ne pas non plus en faire un roman historique. James Morrow interprète, pour provoquer et faire rire.

Vous aimerez si vous avec un fond laïcard potache, mais que la religion vous intéresse, paradoxalement.

Les +

  • Une très grande érudition
  • Drôle
  • Lazare, tellement humain
  • Le dénouement

Les –

  • Parfois un peu longuet
  • Ardu

Lazare attend sur la blogosphère : Gromovar émaille la fin de sa chronique de références efficaces pour se faire une idée du ton ; Le nocher a apprécié et a trouvé ça enrichissant.

Résumé éditeur

Tout le monde le sait, parmi ses nombreux miracles, Jésus a ressuscité Lazare. Sauf qu’en réalité celui-ci n’est jamais mort. Et Lazare a beau le clamer haut et fort, on refuse de le croire. D’autant plus qu’il prétend aussi voyager dans le temps à bord d’un vaisseau magique piloté par un être mécanique à tête de crocodile. Impensable ! Pourtant, les trois Marie peuvent en témoigner, tout cela est vrai. De la Judée du Ier siècle au New York des années 1960 en passant par Carthage ou Nicée, Lazare se balade dans l’histoire chrétienne et dynamite bon nombre d’idées reçues !

Lazare attend de James Morrow, traduction de Sara Doke, aux éditions J’ai lu (sortie vo en 2020, première édition VF au Diable Vauvert en 2021, présente édition de 2022), 512 pages.

8 commentaires sur “Chronique – Lazare attend, James Morrow

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  1. Merci pour ta chronique. Il y a un moment que j’avais repéré ce récit, mais sans jamais concrétiser. Je vais à mon avis vite remédier à cela, j’aime bien le thème et la manière dont il semble être traité

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