Chronique – 24 vues du Mont Fuji par Hokusai, Roger Zelazny

J’ouvre une semaine dédiée au Japon comme source d’inspiration. Je commence d’abord par ressortir une chronique publiée sur Facebook le 12 avril 2021.

Après le cycle d’Ambre puis Songe d’une nuit d’octobre (la chronique sera surement ressucitée un jour), nouveau Zelazny pour moi. Je commence à peine à mesurer l’étendue de son œuvre et la portée de son talent. Ici, encore un récit à part, une novella où l’auteur déclare son amour à Hokusai. Le parallèle est saisissant : un écrivain connu du « grand public » essentiellement pour une œuvre évoque un peintre extrêmement prolifique, et artiste au sens large, « réduit » à sa Vague.

24 chapitres font voyager le lecteur au Japon, avec une structure à priori simple : un chapitre pour une vue, donc une estampe. Le récit met en scène l’ultime pèlerinage de Mari, qui a décidé avant son décès de contempler une dernière fois le mont Fuji, tel que représenté par Hokusai. Sur la forme, c’est un tour de force de Zelazny : faire avancer son récit, moduler son ambiance, faire évoluer son personnage principal, en lien avec les étapes du voyage et les images de l’artiste japonais. Ainsi, il arrive à associer image et écriture, à mettre en prose la peinture. Pour ma part, j’ai choisi de prendre mon temps : d’identifier chaque estampe (ça n’a pas toujours été facile en raison de la correspondance des noms) associée à chaque chapitre et prendre le temps de la regarder, de passer de l’un à l’autre, voire revenir quelques lignes plus haut. Je connaissais mal les vues d’Hokusai, et j’avais le besoin de m’imprégner de l’ambiance, pour être sur la même longueur d’onde que l’héroïne : voir et ressentir les mêmes choses qu’elle. Certains préfèreront le lire d’une traite, se laisser porter par la vague (désolé…)

« Je m’arrête le long du Tokaido pour regarder le Fuji à travers des pins tordus. Les voyageurs qui passent durant la première heure de ma veille ne ressemble guère à ceux de Hokusai mais peu importe. Le cheval, le palanquin, les vêtements bleus, les grands chapeaux se sont évanouis dans le passé et se déplacent désormais à jamais sur l’estampe. Commerçants ou nobles, voleurs ou serviteurs, je préfère tous les considérer comme des pèlerins qui sont nés, ont vécu puis sont morts. Il m’a fallu augmenter mes doses de médicaments, d’où mes idées morbides. Me voilà stable, désormais, et j’ignore si c’est à la médication ou à la méditation que je dois de percevoir aussi bien les subtilités de la lumière. Le Fuji paraît presque se mouvoir sous mon regard. »

Zelazny choisit logiquement d’écrire son texte à la première personne, pour nous faire partager les émotions de Mari. Elle semble traquée, comme en fuite, et communique peu avec les quelques personnes qu’elle rencontre. L’essentiel de la novella repose sur ses pensées. On sait qu’elle n’en a plus pour très longtemps, sans réellement connaître les causes de cette mort à venir. On devine une maladie, mais aussi autre chose… Il n’y a pas de narrateur omniscient externe ce qui rend le récit volontairement déroutant, et permet surtout de se focaliser d’abord sur le voyage, les émotions et le paysage. Pas de scènes d’exposition ou d’explications ; seuls quelques pensées ou souvenirs dévoilent petit à petit l’histoire. Elle est pourchassée par de mystérieuses entités, qu’elle nomme « épigones », qui semblent liées aux réseaux informatiques et qui souhaitent la capturer ou entraver cet ultime voyage. Il faudra attendre d’avancer dans le livre pour comprendre de quoi il retourne.

Avec cette novella, l’auteur inscrit ses pas dans ceux d’autres auteurs. Ceux, nombreux, influencés par l’œuvre d’Hokusai ; l’artiste japonais lui-même inspiré comme d’autres par l’éternel mont Fuji. Il ajoute également de nombreuses références, plus ou moins explicites, à d’autres auteurs qui ont compté pour lui, comme un clin d’œil, appuyé, à Lovecraft par exemple. Mais en livrant un texte de SF – car oui, c’est bien de la SF qui se dessine petit à petit –, Zelazny ajoute sa pierre à la montagne. Mari contemple d’abord sa propre vie et aussi l’évolution du Japon qui n’est plus tout à fait celui qu’elle a connu, encore moins celui que Hokusai a représenté plusieurs siècles plus tôt. L’auteur décrit un Japon dans un monde connecté, entre nature immobile et technique transcendante. Un texte particulier donc, qui pourra dérouter, mais qui mérite d’être lu – une telle force poétique étant rare dans le genre de l’imaginaire – et qui mérite son prix Hugo.

Vous aimerez si vous aimez les récits courts où la poésie prime, le mont Fuji, Hokusai et Zelazny.

Les +

  • Poétique
  • La couverture, absolument parfaite (pour un texte où c’était peut-être le plus important)
  • Un récit SF, déjà ancien, mais qui reste parfaitement d’actualité

Les –

  • Référencé et érudit, au risque parfois de laisser le lecteur sur le bord de la route
  • L’intrigue qui peut paraitre plaquée
  • Une 4e de couverture qui en dit peut-être déjà trop

Résumé éditeur

Son époux est mort. Ou disons qu’en tout cas, il n’est plus en vie… Pour Mari, le temps du deuil est venu. Un double deuil… Armée d’un livre, Les Vues du mont Fuji, par Hokusai, elle se met dans les traces du célèbre peintre japonais afin de retrouver vingt-quatre des emplacements depuis lesquels l’artiste a représenté le volcan emblématique — autant de tableaux reproduits dans l’ouvrage. Un pèlerinage immersif, contemplatif, au cœur des ressorts symboliques de cette culture si particulière, un retour sur soi et son passé. Car il lui faut comprendre… et se préparer. Comprendre comment tout cela est arrivé. Se préparer à l’ultime confrontation. Car si son époux n’est plus en vie, il n’en est pourtant pas moins présent… Là. Quelque part. Dans un ailleurs digital. Omnipotent. Infrangible. Divin, pour ainsi dire…

24 vues du mont Fuji par Kokusai de Roger Zelazny, traduction de Laurent Queyssi, couverture d’Aurélien Police, aux éditions Le Belial, collection Une Heure Lumière (2017, parution vo en 1985), 136 pages.

Prix Hugo 1986 (roman court)

5 commentaires sur “Chronique – 24 vues du Mont Fuji par Hokusai, Roger Zelazny

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  1. Même si à la première lecture je n’avais vraiment pas tout compris (la novella demande une deuxième lecture), j’avais été impressionnée par sa poésie et son originalité. Et c’est, effectivement, un des plus beaux de la collection. Cette couv’ *_*

    Aimé par 1 personne

  2. J’avais bien aimé cette novella, justement pour son côté poétique. Je me suis un peu ennuyée au départ, mais je retiens surtout ce va et vient comme toi entre texte et œuvre, qui donne quelque chose de plus.
    Je rejoins un de tes + : toujours d’actualité, oui, ce texte n’a pas pris une ride; et aussi sur un de tes – : très référencé; Parfois, je suis restée sur le bas-côté, n’ayant pas toujours les acquis pour tout saisir.

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