Chronique – Conséquences d’une disparition, Christopher Priest

J’aime beaucoup, enfin je crois, ce qu’écrit Christopher Priest. Il s’agit en effet du cinquième roman de l’auteur que je lis (après Le monde inverti, Les extrêmes, Le prestige et La machine à explorer l’espace), même si j’espace un peu ces lectures, histoire de laisser mon cerveau s’en remettre. La réédition de Conséquences d’une disparition chez FolioSF il y a quelques semaines ne pouvait toutefois me laisser indifférent, surtout quand l’auteur le plus dickien (que je connaisse) s’attaque à cet évènement-monde qu’est le 11 septembre.

Le titre d’origine est An american story et je crois que, une fois n’est pas coutume, je préfère ce choix français, à la fois mystérieux et bon résumé des thématiques du livre. De même, l’habile couverture d’Aurélien Police met directement dans l’ambiance, attise la curiosité, sans trop en dévoiler. Ici, l’auteur obsédé par la réalité mêle Histoire, histoires et mathématiques.

On comprendra assez aisément pourquoi le 11 septembre est un élément fascinant pour un écrivain. Malheureusement réel, l’évènement en lui-même coche les cases d’un récit tragique par son intensité, son terrible bilan, ses acteurs et sa symbolique. Fascinant pour l’écrivain, mais également pour les journalistes, les policiers ou les dirigeants, c’est à dire tous les acteurs du second cercle, non frappés directement, mais qui jouent un rôle clé par la suite pour relater, comprendre, décider. Christopher Priest s’empare de cette fascination, en tant que romancier évidemment, mais en choisissant son casting avec un soin minutieux : un journaliste, des victimes, un « complotiste », un homme mystérieux et influent (parfois tout ça mélangé)… Autant de personnages fascinés, voire obsédés, par ces attentats. L’auteur nous relate ces évènements avec précision en multipliant les angles de vue, les moments (l’avant, le pendant et l’après) et il sera difficile au lecteur de ne pas voir ressurgir des souvenirs. Tout le monde se rappelle ce qu’il faisait ce jour-là.

« Tout en moi s’était concentré sur Lil. Lil volait en cet instant même. Quelqu’un derrière moi avait crié que c’était un avion d’American Airlines qui s’était écrasé – est-ce que Lil avait pris American, ce matin ? Elle ne m’avait pas dit sur quelle compagnie elle partait. Mais je savais qu’elle était sur un vol entre Washington et la Californie – quelle raison y aurait-il pu y avoir de faire un détour par New-York ?
Et les vols vers et depuis la côté ouest étaient nombreux – il y en avait des dizaines, à cette heure de la matinée. Logiquement, il y avait peu de chances qu’elle fût concernée.
Mais tout de même… »

Christopher Priest raconte l’intersection d’histoires individuelles – vraiment ? – avec L’Histoire et les évènements du 11 septembre. Il y a d’abord cette histoire d’amour entre Ben Matson, le narrateur (la première personne est importante), et Lil, mystérieuse future divorcée et fan de vampires. L’auteur construit cette histoire par aller-retours dans le temps entre passés et présent. Il provoque ainsi de l’attachement face à cette histoire d’amour naissante, l’angoisse au moment de la disparition que l’on imagine avec Matson, et la nostalgie avec ce deuil impossible et qui n’en finit pas. Le héros vit ensuite une autre histoire d’amour peut-être plus ordinaire dans ses problématiques. Il a des enfants et se pose la question de la maladie, quand sa belle-mère commence à perdre en autonomie et ne peut plus vivre toute seule. On découvre aussi, au hasard d’une conversation, que sa nouvelle famille est également liée aux attentats… Enfin, il y a le mathématicien Tatarov qu’il a côtoyé à deux reprises et qui vient de disparaitre, peu ou prou au moment où une épave mystérieuse – un avion du 11 septembre ? – est exhumée des eaux. Ses travaux semblaient être fondamentaux, sous surveillance du gouvernement étatsunien, dans un lieu qui semble une parenthèse au sein de la réalité.

« L’un des reporters, qui travaillait pour une chaîne du câble indépendante à Boston, affirma à l’antenne que la CIA et le département de la Sécurité intérieure dirigeait les recherches. Ce fût immédiatement démenti par un porte-parole du Conseil national de la sécurité des transports, l’agence responsable des enquêtes sur les accidents aéronautiques aux Etats-Unis. Leur entrée en scène impliquait qu’il s’agissait d’un vol commercial. Pourtant, aucune des grandes compagnies aériennes qui exploitaient la route transatlantique n’avait connaissance d’un avion manquant ni d’un accident passé resté inexpliqué. »

Tatarov et Lil justifient le titre choisi pour cette traduction française. Quelles sont les conséquences d’une disparition ? À minima il y a bien sûr les bouleversements du quotidien mais il y aussi le partage de son histoire avec celles de tous les individus touchés, quelque soit la proximité avec l’évènement, et de l’intrication dans l’Histoire. Justement, tout le monde a une histoire avec le 11 septembre : victimes au sens large, témoins directs, spectateurs à la télévision, spécialistes d’un aspect ou d’un autre, comme par exemple un pilote de ligne ou un architecte qui construit des buildings… Chacun aborde cet évènement avec un biais, avec ce qu’il est, ce qu’il sait, ce qu’il veut. Quelle sera donc la « vraie » histoire du 11 septembre ? Celle que veut imposer le gouvernement, celle de ceux qui doutent de manière raisonnable, celle des complotistes doux ou durs ? Et si les mathématiques permettaient de modéliser la manière dont l’histoire va être construite ou retenue, ce qui questionne l’effet des réseaux sociaux et des algorithmes. Christopher Priest mêle toutes ces questions, en jouant sur son sujet de prédilection : quelle est la réalité d’un évènement ?

Vous aimerez si la question de la perception et donc de la réalité d’un évènement-monde vous intéresse.

Les +

  • Le traitement minutieux et le travail titanesque de l’auteur
  • Le croisement intéressant des thèmes de l’histoire et de la réalité
  • Des personnages bien écrits

Les –

  • Un aspect SF très implicite (est-ce même de la SF ?)
  • Une intrigue à proprement parler très mince
  • Renforcera malheureusement le complotisme de certain.e.s

Conséquences d’une disparition sur la blogosphère : Le chien critique est d’accord avec moi, mais le dit mieux ; Le Maki souligne que seul cet évènement exceptionnel permet de traiter totalement ces thématiques (et que seul Priest pouvait le faire).

Résumé éditeur

2000. Ben Matson noue une relation passionnée avec Lilian Viklund. Il ne le sait pas encore mais, dans moins d’un an, la jeune femme aura disparu. Plus de vingt ans après, le décès de Kyril Tatarov, un scientifique de renom que Matson a jadis interviewé, fait la une des journaux, alors que les débris de ce qui ressemble à un avion sont retrouvés dans l’Atlantique, à une centaine de miles des côtes américaines. Ces deux événements, a priori sans rapport, replongent inexorablement Ben dans les souvenirs de son histoire avec Lil. Se pourrait-il qu’il y ait un lien entre la disparition de la jeune femme, celle de Tatarov et celle d’un avion inconnu ? Et le monde que nous connaissons serait-il en train d’en subir les conséquences ?

Conséquences d’une disparition de Christopher Priest, traduit par Jacques Collin, aux éditions FolioSF (présente édition de 2021, première édition VF en 2018, parution VO en 2018), 432 pages.

7 commentaires sur “Chronique – Conséquences d’une disparition, Christopher Priest

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  1. J’avais beaucoup aimé ce livre mais je n’en ai que peu de souvenirs.
    Je te conseille de lire L’adjacent qui est un parfait mix de tous les romans Priestien. En attendant le prochain de l’auteur qui sortira en avril en Grand Format.

    Et merci pour la citation. 🙂

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