Chronique – Les meurtres de Molly Southbourne, Tade Thompson

Les meurtres de Molly Southbourne de Tade Thompson

J’aime la collection UHL, dont c’est ma 13e lecture (deux tomes sont encore dans la « pile de la honte », c’est à dire la pile des livres en attente de chronique). J’ai aimé ce que j’ai lu de Tade Thompson, à savoir Rosewater T1 et 2, et dont le premier est auréolé du prix Utopiales 2020. La blogosphère, et sûrement la majorité de gens normaux qui préfèrent lire que causer de livres, a aimé Les meurtres de Molly Southbourne. Après plusieurs lectures ardues, j’avais besoin de me réfugier vers une valeur sûre et cette novella était donc parfaite pour ça. Petite inquiétude tout de même, je craignais un récit purement fantastique, assez effrayant, dans une veine Clive Barker par exemple. Alors oui, c’est un récit effrayant (mais probablement pas trop, vu que j’ai tenu alors que je déteste ça habituellement), sanglant et parfois à la limite du gore mais qui développe avec brio la psychologie de son personnage, tout en étant une œuvre de SF. Dans tous les cas, c’est un nouveau coup de cœur pour Tade Thompson.

Les meurtres de Molly Southbourne est un récit d’horreur, et ça n’est pas la superbe couverture d’Aurélien Police qui me donnera tort. Le ton est donné dès le début, où Tade Thompson nous plonge in media res, et en utilisant la première personne, dans une scène où Molly est bien amochée et enfermée sans savoir pourquoi, ni se rappeler comment. Il dévoile ensuite l’enfance de l’héroïne, qui devait vivre en marge de la société avec ses parents qui l’éduquent dans une optique que l’on pourrait qualifier de survivaliste, tout en respectant des règles étranges. L’auteur est habile : en passant de cette première scène marquée par la vulnérabilité et l’ignorance, à Molly enfant, tout aussi vulnérable et ignorante, il distille les informations petit à petit, car un récit devient moins effrayant quand le lecteur connait les tenants et les aboutissants. Le mystère est la clé. La maitrise du rythme est le second ingrédient et là aussi, l’habileté est de mise. Molly grandit au fil des pages et espère une vie normale, d’autant plus qu’elle respecte les fameuses règles, mais les évènements la rattrapent, toujours de manière un peu plus brutale et sanglante. D’ailleurs, du sang il y en a pas mal. La menace est beaucoup moins asymétrique que dans d’autres récits et Molly a du répondant. Ceci donne de l’intérêt au texte car, même si le danger est réel, la question de la victoire, ou disons de la (sur)vie plus ou moins ordinaire se pose.

« La nuit il arrive à Molly de voir des monstres. Elle n’a plus peur car ça dure depuis aussi longtemps qu’elle s’en souvient. Elle ne les voit que la nuit, cachés dans les buissons. Ils ont un long corps noir et des yeux qui brillent parfois, mais parfois ils n’ont pas d’yeux du tout. Son père lui dit que ce ne sont que des buissons en forme de monstres. Sa mère lui a appris un nouveau mot pour dire ça : paréidolie. C’est vrai que le jour elle ne les voit pas, mais voilà ce que fait Molly : chaque nuit elle se tient devant sa fenêtre et trace les contours des monstres qu’elle observe. Le jour venu, elle compare la forme de la nuit avec la forme de l’herbe, des arbres ou des buissons. Ça ne colle pas. Par nuit de grand vent, quand tous les buissons penchant vers l’ouest, le monstre bouge vers l’est. Il bouge contre le vent, ça ne peut pas être de l’herbe. Mais elle arrête d’en parler à ses parents, parce que les adultes préfèrent en général qu’on soit d’accord avec eux, surtout quand ils affirment que vous dites des bêtises. Et puis les monstres ne lui ont jamais fait de mal, ni même parlé. »

Dire que Molly est un personnage torturé, au sens figuré voire propre, est un doux euphémisme. Elle est isolée par ses parents, par sa « malédiction » et le secret qui en résulte. Sa jeunesse à l’écart, sans amis, même si c’est pour son bien, est un enfermement social. Elle ne connait que peu le monde réel, découvre des informations sur elle-même ou sur l’extérieur de manière fortuite et s’invente des histoires, d’abord comme une enfant, puis comme une adolescente en rébellion contre l’autorité. En grandissant, elle décide puis est obligée de bâtir sa propre vie : études, relations amicales et amoureuses, travail… Reviennent chaque fois les mêmes questions : que peut-elle révéler et peut-elle s’attacher, au risque de mettre en danger autrui ? Finalement, c’est l’humanité même de Molly qui est mise à rude épreuve et questionnée. Seule, sans attaches, elle ne peut s’épanouir, développer ses sentiments et tout simplement vivre. Surtout, les actes qu’elle est obligée d’accomplir pour survivre sont littéralement horribles, d’autant plus qu’ils se répètent fréquemment et qu’ils deviennent une habitude, une routine accomplie mécaniquement, sans se poser de questions.

« Lorsque ses parents arrivent, elle gît sur le monceau de cadavres qu’elle s’est efforcée de nettoyer. La grippe et l’épuisement l’ont plus affaiblie qu’elle ne pouvait l’imaginer. A peine si elle peut suivre du regard ses parents horrifiés. Sa mère lui fait avaler d’un air décidé un liquide noir qu’elle appelle ASD – antiseptique dorogova. Molly en a horreur et elle sent que c’est une source de tension entre ses parents, car son père affiche un air réprobateur pendant que sa mère le prépare.
Plus tard, ils lui donnent de la crème glacée, chocolat et puis fraise, parce que c’est tout ce qu’elle peut avaler. Elle dort entre eux deux, comme quand elle était toute petite, puis se réveille dans son lit, tout propre et tout sec, sans plus de douleur musculaire ni articulaire. »

Donner des explications c’est prendre le risque de tuer le mystère et donc l’élément effrayant. Tade Thompson prend ce risque et décide d’inscrire Les meurtres de Molly Southbourne dans le genre de la SF. Quelques éléments disséminés ici ou là laissent à croire que le récit est légèrement uchronique ou qu’il se déroule dans un futur très proche, sur fond de baisse drastique de la natalité. L’auteur distille au fur et à mesure des éléments d’explication qui prennent sens petit à petit, mais qui nécessiteront tout de même une suspension d’incrédulité. J’ai personnellement trouvé ce choix efficace car il permet de renforcer l’ambiance : Molly se dote d’éléments de connaissance et de compréhension, en sus des armes, sous la forme du mantra et de l’entrainement, que ses parents lui ont légué. Le rapport de force parait donc presque équilibré et le récit nous épargne un affrontement final éculé au profit d’une guerre d’usure. Molly vit et meurt un peu davantage à chaque page, jusqu’au final de la novella.

Vous aimerez si vous aimez les récits d’horreur sanglants, où l’héroïne ne s’en laisse pas compter.

Les +

  • Le rythme qui donne envie de lire la novella d’une traite
  • Molly !
  • La couverture d’Aurélien Police, qui s’est surpassé

Les –

  • Le pourquoi du comment, assez gros finalement

Les meurtres de Molly Southbourne sur la blogosphère : L’ours inculte a beaucoup aimé et spoile tout autant, Célinedanaë replace l’œuvre dans l’histoire de ce thème et spoile un peu moins.

Résumé éditeur

Molly est frappée par la pire des malédictions. Aussi les règles sont-elles simples, et ses parents les lui assènent depuis son plus jeune âge :
Si tu vois une fille qui te ressemble, cours et bas-toi.
Ne saigne pas.
Si tu saignes, une compresse, le feu, du détergent.
Si tu trouves un trou, va chercher tes parents.

Molly se les récite souvent. Quand elle s’ennuie, elle se surprend à les répéter sans l’avoir voulu… Et si elle ignore d’où lui vient cette terrible affliction, elle n’en connaît en revanche que trop le prix. Celui du sang…

Les meurtres de Molly Southbourne de Tade Thompson, traduction de Jean-Daniel Brèque, Couverture de Aurélien Police, aux éditions Le Belial, collection Une Heure Lumière (parution vo en 2017 – traduction et édition de 2019), 140 pages.

Prix Nommo 2018 « Novella », Prix Julia Verlanger 2019, Grand Prix de l’Imaginaire 2020 « Nouvelle étrangère ».

16 commentaires sur “Chronique – Les meurtres de Molly Southbourne, Tade Thompson

Ajouter un commentaire

  1. Il faut que tu arrêtes de me faire ajouter des des livres à ma wishlist avec le 3/4 de tes chroniques 😂 Car celui va la rejoindre.

    Je vais clairement finir par craquer pour tous les UHL à ce stade.

    J’aime

      1. Oui c’est vrai mais je pense que c’est dans l’esprit : un premier contact lent, avec la temporalité de la ville, du héros… si tu n’as pas apprécié, je doute que le 2e ne te réconcilie vraiment 😉

        Aimé par 1 personne

    1. Oui. Après, et je ne sais pas si ça te fait la même chose, j’ai parfois du mal à retrouver la qualités de certains de ces auteurs en format plus long. Il est parfois difficile de maitriser les deux formats. Pour Ken Liu, j’ai du mal à me lancer…

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